Bruxelles : l’ancienne adresse tri-étoilée « Bruneau » va fermer ses portes

Jean-Pierre Bruneau. © Belga

Sur les lèvres depuis le mois de juin lorsque le staff en a été informé, la fermeture du restaurant étoilé « Bruneau »*, situé avenue Broustin à Ganshoren (Bruxelles), se précise pour la fin janvier, comme l’a confirmé mardi son propriétaire à l’agence Belga.

L’institution ouverte depuis mars 1975 par le chef d’origine namuroise Jean-Pierre Bruneau a été l’un des rares triples étoilés de la capitale, de 1988 à 2004.

La cuisine classique de « Bruneau » a toujours su faire la part belle aux produits frais, le chef de 74 ans n’ayant jamais renoncé à se rendre quasi quotidiennement au marché matinal. Il est l’un des derniers toqués de Bruxelles à encore arpenter les allées du Mabru aujourd’hui. « J’y étais encore ce matin. J’ai toujours proposé une cuisine correcte et honnête, toujours près du produit », confie-t-il. « La cuisine c’est de la cuisine, pas de la chimie. Je travaille avec un vrai fond de veau que je fais moi-même, pas avec des poudres. Ça prend du temps mais le résultat est là. Aujourd’hui, les gens sont juste émerveillés parce qu’ils voient des assiettes avec plein de bazar et de couleurs dedans », déplore le chef.

Elevé au rang de fournisseur breveté de la Cour sous le règne du roi Albert II, le rôtisseur et saucier a beaucoup cuisiné pour la famille royale durant sa carrière, multipliant les diners au Palais royal et accompagnant régulièrement le Roi dans ses déplacements. Attirés par le service haut de gamme et la cave à vins saturée de flacons issus des plus grands millésimes (environ 15.000 bouteilles), les personnages politiques y ont également défilé. On se souviendra de la dernière réunion Reynders-De Wever qui avait fait grand bruit et mis encore un peu plus à mal la formation d’un gouvernement en août 2010.

Faisant fi de la cuisine moléculaire ou encore des tendances culinaires à la mode qu’il rejette en bloc, Jean-Pierre Bruneau a su garder son style tout en se modernisant. « Sauce bien montée, cuissons parfaites, gourmandise et finesse publiant leurs bans sous le sceau de produits nobles sélectionnés avec sagesse, autant de raison de fréquenter cette maison », souligne le guide Gault&Millau 2017. « Une table de renom, véritable ambassade du classicisme culinaire. Le chef sélectionne des produits de grande qualité, de préférence de la région, au service de recettes de goût et de caractère », rapporte pour sa part le guide Michelin de cette année.

Entre les années 70 et 90, Bruxelles a compté quatre restaurants triplement étoilés, dont « Bruneau ». La liste était complétée par le « Comme chez Soi »** (de 1979 à 2006), « La Villa Lorraine »* (de 1972 à 1984) et la « Maison de bouche » de Pierre Romeyer (de 1983 à 1994, année de sa retraite). Aujourd’hui, la capitale n’en compte malheureusement plus aucun. Une situation provoquée par les pouvoirs publics, selon un Jean-Pierre Bruneau amer. « A l’heure actuelle, les indépendants sont traqués de toute part par les autorités juridiques et le fisc. Nous sommes d’emblée traités comme des escrocs. Toute ma vie, j’ai formé des gens sans jamais être récompensé alors que j’ai toujours fait mon métier honnêtement », explique celui qui est en discussion avec plusieurs repreneurs. « Lorsque j’ai obtenu ma troisième étoile, nous étions trois à avoir cette distinction du Michelin. Il n’en reste plus qu’une peau de chagrin. Bruxelles avait du potentiel à l’époque, mais plus maintenant. Les autorités ne sont pas compréhensives envers le secteur horeca et n’ont pas conscience de la réalité de terrain. »

L’adresse qui dispose d’un salon privé et d’une terrasse, pouvant accueillir jusqu’à 40 couverts grâce à une équipe d’une douzaine de personnes, fait partie des « Grandes tables du monde » (qui compte treize tables belges) et affiche un 18/20 au Gault&Millau (guide qui lui a également attribué un 19/20 durant plusieurs années). La maison a vu défiler dans ses cuisines des chefs reconnus aujourd’hui, notamment Filip Claeys (« De Jonkman »**), Eddy Munster (« Wine in the city »*) ou encore Karen Torosyan (« Bozar Brasserie »*).

« C’était pour moi avant tout un défricheur, qui en son temps prenait le risque de nouveaux accords inédits, comme du crabe et des ris de veau, des langoustines crues et du caviar, de la saint-jacques et des pieds de porc… Jean-Pierre Bruneau est tellement avant-gardiste que ses créations, qui ont parfois plus de vingt ans, sont toujours contemporaines », souligne d’ailleurs David Martin (« La Paix »*) qui a secondé le chef durant deux ans.

Jean-Pierre Bruneau a décidé de mettre fin à son activité, après 60 ans de carrière dans le secteur horeca. Il se murmure une fermeture des portes de la maison gastronomique le 22 janvier exactement. D’ici là, menus et classiques de la maison, tels que la rosace de homard aux truffes, la viennoise de turbot sauvage ou encore le blanc de coucou de Malines Demi-Deuil, seront encore proposés aux clients désireux de découvrir ou redécouvrir une dernière fois la cuisine du « patron », comme le nomment quelques-uns de ses pairs.

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