Enquête dans l’assiette des petits-déjeuners des palaces (+nos bonnes adresses)

© Anais Lesy

C’est le repas le plus important de la journée, pourtant, on réserve rarement un hôtel pour son petit-déjeuner. Une grave erreur, selon la brigade de cuisine de l’hôtel La Réserve à Genève. Immersion, à l’aube, dans les coulisses d’un festin 5-étoiles.

Genève, 5 h 27. La Réserve dort encore lorsque nous nous faufilons discrètement dans les couloirs, direction la cuisine. Le restaurant Le Loti offre normalement une vue sur le lac Léman et les montagnes environnantes – par beau temps, on peut même apercevoir le mont Blanc. Mais pour l’instant, la nuit plane encore sur l’eau comme une couverture sombre.

« Bien dormi ? », s’enquiert le chef pâtissier Pierre-Alain Rouchon, un sourire aux lèvres. Il a dû voir à nos yeux somnolents que le mot « matinal » était pour nous un concept abstrait. Heureusement, nous n’avons pas le temps de papoter : le petit-déjeuner n’attend pas. Les premiers éléments du buffet doivent être prêts d’ici une heure. Et il ne s’agit pas de verser bêtement du yaourt dans un bol.

Dans les coulisses d’un buffet 5 étoiles

Il n’y a pas beaucoup plus de mouvement dans la cuisine que dans le reste de l’hôtel, pour l’instant. Un homme est seul aux fourneaux. « Abdellah était de garde cette nuit, explique Pierre-Alain Rouchon. Il faut alors rester disponible pour le room service, que nous proposons 24 heures sur 24, et commencer à préparer le petit-déjeuner. Il a déjà mis les croissants au four, par exemple. Son service se termine à 8 heures. »

Le chef nous conduit à son coin préféré dans la cuisine : la section pâtisserie. C’est là que son équipe et lui préparent les pâtisseries et toutes les autres douceurs servies dans l’hôtel, du gâteau que vous trouverez dans votre chambre d’hôtel à votre arrivée aux  pains briochés du buffet du petit-déjeuner. Pierre-Alain Rouchon n’a pas de temps à perdre, et enfourne des muffins au chocolat et à la framboise dans un four qui bourdonne. « Cette pâte a été préparée hier, explique-t-il. Nous pouvons donc la cuire ce matin. C’est essentiel pour maintenir le rythme. » En fond sonore, Miley Cyrus chante à pleins poumons, manifestement aussi bien réveillée que le chef… 

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La dernière impression

La Réserve fête son 20e anniversaire, et la carte du petit-déjeuner a été entièrement repensée pour l’occasion. En plus d’une offre sans gluten, des options plus végétales ont fait leur entrée au menu. Pierre-Alain Rouchon s’occupe de la pâtisserie, et son collègue Benjamin Brial de la partie salée.

« En tant qu’hôtel-restaurant, nous devons absolument répondre aux attentes, raconte Benjamin Brial. Cela fait vingt ans que je travaille dans l’hôtellerie et j’ai pu constater l’évolution de l’importance d’un petit-déjeuner sophistiqué. C’est la dernière impression que vous laissez à vos clients avant qu’ils ne partent. En tant que chef, c’est un chouette défi : vous créez une expérience du matin au soir. Pour ce faire, nous travaillons avec autant de produits frais et locaux que possible, du saumon que nous fumons nous-mêmes aux légumes et aux œufs provenant d’exploitations agricoles locales. »

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Les renforts arrivent. Jean-Pierre, qui travaille dans les cuisines du Loti depuis quatorze ans, commence son service non pas avec un café, mais en se mettant directement au travail. Les fruits frais sont sortis – dans des sacs sous vide – du réfrigérateur et les petits pains briochés sont roulés. Pendant ce temps, le chef enfourne des mini-kouglof de son Alsace natale. Ici, tout est préparé sur place, sauf les viennoiseries (qui sortent du congélateur par manque de place de la cuisine), le pain (fourni par le boulanger genevois Maison Guerrazzi) et les brioches et viennoiseries sans gluten (qui proviennent de boulangers spécialisés en France et en Suisse). 

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Rouchon termine rapidement une autre tarte aux poires, tandis que Jean-Pierre prend des photos des différents mets. « Ce n’est pas pour Instagram, précise-t-il. J’étais en vacances et ce sont des nouveautés. C’est pour me rappeler de la présentation. »

6 h 28. Le buffet ouvre dans deux minutes. La responsable de salle, Mayssan, astique les derniers plats. C’est à elle qu’il incombera de signaler à temps si un élément du buffet doit être réapprovisionné. Quinze minutes plus tard, le premier client arrive. C’est un jour de semaine, en basse saison, et l’hôtel ne tourne pas à plein régime. « Lorsque les 102 chambres sont réservées, tout le monde est sur le pont, assure Pierre-Alain Rouchon. Le buffet est dévalisé en un rien de temps. »

Tartines aux sushis

Le petit-déjeuner de La Réserve n’a rien de classique. Certes, on y retrouve la sélection habituelle de fromages, confitures, yaourts et croissants, mais c’est la première fois que nous voyons des sushis et des gyozas sur un buffet matinal. « C’est un clin d’œil au Tsé Fung, le restaurant étoilé chinois qu’abrite également La Réserve, explique le chef Benjamin Brial. Nous voulions apporter des touches asiatiques – des rouleaux de printemps aux nems – pour les personnes qui dînent déjà à l’hôtel la veille et prolongent ainsi l’expérience le lendemain… »

Dans la cuisine, le calme a désormais laissé place à une activité structurée. Tandis que dans le coin de Pierre-Alain Rouchon, les douceurs sont préparées et cuites en abondance, le cœur de la cuisine se penche sur la mise en place des autres repas de la journée. Les crustacés sont cuits, les légumes coupés, mijotés puis remis au frais. Dans le même temps, on assure aussi le service en chambre et on répond aux commandes spécifiques du petit-déjeuner. Car en plus du buffet, chaque client a droit à un plat sucré ou salé supplémentaire. La liste des options est longue : pancakes au sirop d’érable, pain perdu caramélisé, avocado toast et œufs Bénédicte, etc. Un autre souhait ? La cuisine fera au mieux pour l’exaucer, en fonction des ingrédients disponibles.

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Un service de personnalisation perfectionné

« Pour moi, la différence entre un petit-déjeuner d’hôtel ordinaire et un petit-déjeuner 5-étoiles, c’est la personnalisation, détaille Benjamin Brial. Cela va des jus de fruits pressés aux plats exigeant des restrictions alimentaires. Il y a quelque temps, nous avions un client tunisien qui aimait manger de l’ojja, un ragoût à base de tomates, de poivrons et d’œufs, le matin. Je ne connaissais pas cette recette, mais nous avons fait nos recherches, et l’avons préparé pour lui. C’est un vrai défi, mais tout se joue dans les détails. »

Une cuisinière utilise une spatule pour placer les jaunes de deux œufs au plat exactement au centre de la poêle. Ensuite, elle en découpe méticuleusement les bords imparfaits. On pourrait parler de dévouement, mais cela ressemble plutôt à une routine.

Au saut du lit

Maintenant que le soleil brille au-dessus des montagnes, les clients affluent. Le service en chambre commence également à tourner à plein régime. En cuisine, des tickets indiquent ce qui a été commandé et quand cela doit être prêt : omelette aux épinards, composition de fruits frais digne d’une œuvre d’art, pudding aux graines de chia et à la mangue… Nous suivons un plateau jusqu’au sous-sol de l’hôtel. Là, Nitin s’assure que les chariots du service d’étage sont parfaitement nappés. Il place les plats chauds sur un plateau spécial et traverse un réseau de couloirs souterrains, en passant par la cantine du personnel et la laverie, jusqu’au bon ascenseur.

« Room service », dit-il en frappant à la porte de la suite. Il installe le chariot dans la chambre et dresse la table avec attention. « J’ai testé presque tous les petits-déjeuners des hôtels parisiens pour voir comment les autres font, précise le chef Benjamin Brial. Comment agencent-ils leur présentation ? A quel niveau cherchent-ils à faire la différence ? »

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Jusqu’à la moindre miette…

« Un chef doit sans cesse s’améliorer et se remettre en question, ajoute Pierre-Alain Rouchon. En restant à l’écoute des clients et en proposant régulièrement de nouvelles choses, vous ne pouvez que grandir. » Cette attitude et ses impressionnantes créations ont déjà valu au pâtissier de 31 ans plus de 17 000 followers sur Instagram. « Au cours des trois dernières années, j’ai pu travailler ma signature en tant que chef à La Réserve. Je suis satisfait de ce que nous servons, mais il reste toujours une place pour l’amélioration. Nous essayons donc de rester à la hauteur. »

Il est presque 10 h 30, la fin du petit-déjeuner approche. Qu’advient-il des nombreux excédents laissés sur le buffet ? « Ce qui peut être réutilisé est conservé pour le lendemain, mais ce n’est pas le cas de la charcuterie et des autres produits frais. Ils sont donc apportés à la cantine du personnel. » Le message est clair. Nous attrapons un autre kouglof et d’autres friandises au buffet. Après avoir passé cinq heures en cuisine, c’est maintenant à nous de déplacer des montagnes. 

Une chambre à La Réserve Genève coûte 715 euros la nuit. On peut y prendre le petit-déjeuner sans y séjourner, pour 58 euros par personne.

D’autres petits-déjeuners étoilés

Les hôtels font de plus en plus souvent appel à des chefs célèbres pour superviser le menu du petit-déjeuner. Voici trois nouvelles adresses où se lever de bon matin est un vrai plaisir.

Dovetale, à Londres

Cet été, 1 Hotels a ouvert son premier hôtel au design durable sur le sol européen dans le quartier de Mayfair à Londres (près de Hyde Park). Copenhague, Paris et la Crète devraient bientôt suivre. Dans le restaurant, le chef 2-étoiles Tom Sellers est également responsable du petit-déjeuner. Oubliez le british style (même s’il est possible d’en commander un) : l’homme propose des options plus créatives avec biscuits aux figues grillées et graines de fenouil, flocons d’avoine épicés aux dattes pochées et lait d’amande, ou céréales maison.

3, Berkeley Street, à Londres, 
1hotels.com

La Rigue, à Knokke-Heist

Alors que la fin du Hof van Cleve approche, Peter Goossens se consacre à son restaurant de La Réserve, qui vient de rouvrir ses portes à Knokke. « Ne vous attendez pas à un buffet sans fin avec dix sortes de confitures, huit granolas et des œufs brouillés conservés en bain-marie, précise le chef triplement étoilé. Je trouve cela épouvantable. » Comme pour le dîner, il opte pour des classiques de haut niveau : brioche maison, spécialités de saison comme les crêpes farcies aux fruits, ou viennoiseries signées par son ancien chef pâtissier Joost Arijs.

160, Elizabetlaan, à Knokke-Heist, 
la-rigue.be

Kitchen by Stéphanie Le Quellec, à Paris

Avec ses huit mètres de hauteur sous plafond, le nouveau restaurant Belle Epoque de la cheffe Stéphanie Le Quellec est pour le moins impressionnant. L’établissement a ouvert ses portes cet été à l’Hôtel Madame Rêve, à Paris, ce qui a obligé la cheffe à élaborer une carte de petit-déjeuner. Loin de l’intérieur grandiose, elle opte pour un luxe très sobre : soit un petit-déjeuner français classique avec croissants au beurre, petits pains au chocolat, œufs brouillés fraîchement préparés ou toasts au levain avec de l’avocat.

48, rue du Louvre, à Paris, 
madamereve.com

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