Chefs locavores au secours d’un héritage culinaire en péril

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

En remettant leur terroir à l’honneur, de nouveaux ambassadeurs culinaires nous font découvrir des gastronomies jusqu’il y a peu cantonnées à leur pays d’origine. Et inscrivent leurs restaurants parmi ceux qui comptent.

Les temps sont durs pour la sacro-sainte gastronomie française. Fini de se regarder le nombril. Après avoir subi de plein fouet la concurrence de la world food, de l’Espagne, du Japon et du Danemark, force est de constater qu’aujourd’hui tout pays est un adversaire potentiel sur le grand échiquier gastronomique.

René Redzepi, chef du Noma à Copenhague
René Redzepi, chef du Noma à Copenhague© Reuters

La faute à qui ? Assurément au Danois René Redzepi, l’homme qui a ouvert la voie en prouvant que tout un chacun, où qu’il soit dans le monde, disposait d’un vrai terroir à portée de main. Et qu’il n’avait qu’à se baisser pour en glaner les fruits.

La démarche locavore a fait mouche, elle a ouvert de nouvelles perspectives aux restaurateurs étrangers, trop contents de fouiller les moindres recoins de leur patrimoine national plutôt que signer une assiette internationale sans âme, ni relief. Du coup, les talents éclatent aux quatre coins du globe. Pas question d’évoquer la Scandinavie dont les ambassadeurs culinaires n’ont plus rien à prouver, pas plus que le Pérou dont la réputation de « next big thing » n’est plus à faire. Non, les symptômes de cet élargissement de la « it-list » des chefs qui comptent se trouvent du côté de territoires jusqu’ici peu identifiés sur la carte des restaurants en vue.

A la télévision, Arte a même consacré une série d’émissions à ce phénomène. On y faisait, entre autres, la connaissance d’un cuisinier de campagne comme Wojciech Modest Amaro.

Wojciech Modest Amara
Wojciech Modest Amara© Reuters

Dans son établissement de Varsovie, L’Atelier Amaro, il s’emploie à retrouver l’honneur perdu de la gastronomie locale – selon lui, la Pologne aurait perdu ses lettres de noblesse culinaire durant la période soviétique.

Pour la reconstruire, Amaro arpente sans cesse la forêt et les rives de la Vistule. Ces lieux lui donnent une matière première de choix composée de mousses, d’herbes, de baies et de gibiers. Mais il est aussi parti à la rencontre des gens, agriculteurs et anciens, véritables mémoires du patrimoine gourmand du pays. Le tout pour une démarche qui lui a permis de reconstruire une identité de la cuisine polonaise.

Autre personnalité en vue, Ana Ro¨ et son auberge familiale Hi¨a Franko attirent des voyageurs venus de la planète entière. Cette maison d’hôtes se situe dans la région de Kobarid, en Slovénie. Proche de l’Italie et de l’Autriche, ce terroir déjoue, à lui seul, toutes les idées préconçues.

Ana Ros
Ana Ros© Belga Image

A 42 ans, cette ancienne championne de ski s’y est attelée à 100% – son locavorisme est total, elle pratique ce qu’elle appelle le « kilomètre zéro » – à concevoir une gastronomie à la fois technique et émouvante mettant l’accent sur le cru. Pour se hisser au sommet de sa « cuisine de rivière et d’alpage », Ro¨ n’a pas hésité à voyager à travers l’Europe, particulièrement l’Espagne, afin de mieux comprendre la situation actuelle, elle qui n’est pas du sérail. El Bulli, El Celler de Can Roca, Arzak, Martin Berasategui, Mugaritz… elle les a tous goûtés.

But de la manoeuvre ? Comprendre comment sublimer l’incroyable matière de base à sa disposition.

Enfin, last but not least, il faut aussi compter avec Mehmet Gürs, chef turc qui pratique ce que l’on a nommé la « nouvelle cuisine anatolienne ».

Le chef turc Mehmet Gürs
Le chef turc Mehmet Gürs© DR

Après avoir étudié aux Etats-Unis et en Suède, Gürs est revenu à Istanbul pour créer Mikla, un restaurant qui se trouve au sommet d’un hôtel. De père turc et de mère finlandaise, il incarne un nouveau type de brassage. Afin de dessiner les contours de cette fusion, le Stambouliote dispose d’un complice ethno-gastronome, Tangor Tan, qui fouille pour lui les produits et les traditions culinaires à travers tout le pays.

Après avoir étudié aux Etats-Unis et en Suède, Gürs est revenu à Istanbul pour créer Mikla, un restaurant qui se trouve au sommet d’un hôtel. De père turc et de mère finlandaise, il incarne un nouveau type de brassage. Afin de dessiner les contours de cette fusion, le Stambouliote dispose d’un complice ethno-gastronome, Tangor Tan, qui fouille pour lui les produits et les traditions culinaires à travers tout le pays. L’homme accumule des échantillons, des photos et des informations qu’il rapporte à Gürs afin que ce dernier puisse s’en inspirer. En le frottant à la modernité, le chef redonne vie à un héritage alimentaire jusque-là en péril. Pas de doute, la gastronomie a encore de beaux jours devant elle.

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