Le retour en force de Frédéric Nicolay, l’homme derrière (presque) tous les cafés de Bruxelles
En sourdine depuis la crise sanitaire, le concepteur de bars bruxellois refait surface à travers une salve d’idées et de nouveaux projets – dont au moins deux à venir.
Catch him if you can. Attraper Frédéric Nicolay entre quatre yeux relève habituellement de la performance. Pouvoir lui poser des questions au calme, sans qu’il soit interrompu par son téléphone ou qu’il vous emmène voir ailleurs s’il y est relève de la gageure. Mais peut-être était-ce là le Nicolay d’avant… Le voici plus calme et moins provocateur le temps d’une conversation dans son chez lui mansardé. On laisse courir l’enregistreur pendant qu’il déjeune à sa façon: morceaux de truite fumé enroulés dans des feuilles de shiso (cueillies dans son jardin installé sur le toit), tomates marinées dans leur eau et saucisse crue. « Je ne mange plus de pain et presque plus de sucre, c’est dingue l’énergie que cela donne », confie-t-il.
Vous vous êtes fait connaître en ouvrant des endroits dans des quartiers dits « difficiles », voire impossible commercialement. Il semble que le quartier de l’Alhambra résiste. Au bout de la rue de Laeken, le Flamingo ne prend pas…
Frédéric Nicolay : C’est vrai que j’en suis un peu à la version 6.8 de cette adresse. J’ai pensé à un nouveau nom, Rocco Pantalòn, en hommage au fleuriste de la rue de la Clé. Je pense que ce qui a manqué jusqu’ici pour que la sauce prenne, c’est l’urgence. En réalité, je ne réussis un endroit que si je suis stressé ou amoureux. Il faut que je sois totalement immergé dans un projet.
Si c’est vrai, on peut en déduire que vous étiez sérieusement angoissé en imaginant Château Moderne qui est toujours plein. Est-ce que cet endroit vous a remis le pied à l’étrier?
Cet endroit est particulier. Quand j’y suis, je sais que je ne peux pas intervenir. C’est comme si je me baladais avec un tanker dans le canal de Suez. Dans de grands endroits comme ça, il n’y a pas vraiment de manœuvre possible. Mais il est vrai qu’un projet qui marche bien comme celui-là me donne confiance en moi et me permet d’aller de l’avant.
Il y a quelques années vous ne vouliez plus avoir d’adresses à vous, vous vous contentiez d’imaginer des concepts pour d’autres. Pourquoi ce revirement?
Ce n’est pas comme si j’avais le choix. A un moment donné, j’avais une autre source de revenus (Frédéric Nicolay a relancé avec succès la bière Vedett pour le groupe Duvel Moortgat, ndlr). Vu que mon contrat était terminé, j’ai essayé d’autres trucs qui n’ont pas marché. Du coup, je me suis remis à faire ce que je savais faire, des bars. Le bon côté des choses, c’est que je n’ai pas d’associé, je suis donc entièrement libre. Je dois également dire que la crise sanitaire m’a mis dans la merde. Je n’ai pas d’autre choix que de continuer. En même temps, je me rends compte que le fait d’être dans le pétrin, c’est positif. C’est l’urgence dont je parlais plus haut. Je vous plein de gens autour de moi qui arrêtent tout parce qu’ils ont de l’argent. Il n’y a plus rien à faire pour eux. Pour moi, le proverbe « pierre qui roule n’amasse pas mousse » est à comprendre comme une incitation à ne pas se fixer. Arrêter, capitaliser, c’est mourir. On devient vieux, con et dépassé.
Je me souviens d’une époque où vous étiez dur avec le secteur de l’HoReCa…
C’est un secteur qui reste difficile. En plus de gérer une entreprise, il faut assurer une ambiance, une convivialité. Et, comme si cela ne suffisait pas, on est soumis à un prix du marché. On ne peut pas faire n’importe quoi. La bière, il y a un prix du marché. C’est la même chose avec les frites ou le café. Nous sommes coincés entre les fournisseurs, qui ne sont pas en contact avec le client final, et le consommateur. Les bars et les restaurants sont coincés entre le marteau et l’enclume.
Vous avez rouvert Jaja, rue d’Alost, et même Au Charbon, porte de Halle. Y a-t-il d’autres projets à venir?
En ce moment, je suis occupé à faire un assez gros projet sur la place Poelaert. Reprendre Au Suisse. Cela va être un beau et grand café. J’hésite encore sur le nom. Ce sera peut-être « Schwalbe », hirondelle en Allemand. Ou « Schmet », cela m’amuserait qu’un lieu faisant face au Palais de Justice, avec tous les représentants du Droit et les policiers, consacre la vie « en douce », la roublardise. J’aime ce mot qui est issu de l’arabe et qui s’est immiscé dans le bruxellois.
Jaja, Au Charbon et Château Moderne restaurent aussi. Au centre, il y a ce super bon pain moelleux des Balkans qui semble être désormais votre signature…
Le pain est devenu central. On propose aussi beaucoup de sandwichs. Le pain permet de nourrir quelqu’un en restant dans une gamme de prix tournant autour de 5-6 euros. On propose aussi des burgers, c’est un peu plus cher, 11 euros.
Vous êtes passé par l’école hôtelière, vous aimez la haute cuisine. Chaque fois qu’un chef comme Kobe Desramaults est à Bruxelles, vous ne ratez pas ses évènements. Cela ne vous titille pas de proposer autre chose dans vos endroits?
Non, absolument pas. Kobe Desramaults est génial, c’est un chef incroyable mais il s’adresse à une élite économique. C’est une élite de gens qui se permettent de goûter sa cuisine. Tant mieux mais ce n’est pas le public auquel je veux m’adresser.
Est-ce que vous allez déployer la même grammaire formelle chez « Schwalbe » ou « Schmet »?
Les chiens ne font pas des chats. Je me souviens d’un échec cuisant, le lancement du « Roi des Belges » place Saint-Géry. J’avais fait un truc épuré, ça n’allait pas du tout. Je me suis dit « plus jamais ».
Je me suis laissé dire que vous alliez lancer quelque chose du côté du quartier Saint-Boniface, c’est vrai?
Oui, j’ai repris « Au Vieux Bruxelles » que je vais complètement changer. C’est rare de ce côté-là de la ville car on y vend des fonds de commerce qui empêchent de réinventer un endroit. Ce ne sera pas mon cas. Ce que j’aime beaucoup, c’est que cette adresse possède un pied dans Matonge. Il y a pas mal de dealers dans cette rue. Comme nom, j’ai pensé à « Grosse Freiheit », qui est le nom d’une rue chaude à Hambourg, ou peut-être « Grosse Liberté ». Je ne sais pas si tout le monde goûte l’humour germanique. On m’a également proposé un projet très chouette du côté du Cimetière d’Ixelles. Je suis en train d’y réfléchir.
Depuis le temps que vous signez des projets à Bruxelles, est-ce que vous aimez toujours cette ville?
Oui mais je constate qu’elle change. Elle devient plus bureaucratique. Entre le télétravail et les nouveaux congés scolaires, qui ne sont pas alignés pour les francophones et les flamands, la ville se vide. Même le week-end les gens se barrent. Après, on est ouvert sept jours sur sept, on s’adapte.
Vous avez toujours émaillé vos adresses de références architecturales pointues, je pense à Lina Bo Bardi ou Kenzo Tange. Est-ce que les architectes continuent à vous inspirer?
Oui, certainement. D’autant plus qu’à Bruxelles on a Office, le bureau de Kersten Geers et David Van Severen. J’aime particulièrement l’architecture qui se mêle à l’urbanisme. A Barcelone, je suis passionné d’un professeur d’architecture qui s’appelle Edouard Cabay. Il construit des maisons de terre en 3D. Je me dis qu’à Bruxelles ce serait génial de créer des abribus ou des toilettes publiques sur ce principe. En terre, ce serait beau.
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