Comment une marque de café veut promouvoir les droits des femmes

© Denyse K. Uwera
Eva Kestemont
Eva Kestemont Journaliste Knack Weekend

Angélique Karekezi plaide pour un salaire décent et un pouvoir de décision pour les femmes travaillant dans le secteur du café. « Dans ce contexte, nous devons bien entendu aussi impliquer les hommes, car tous les investissements dans l’égalité des sexes sont voués à l’échec si leur manière de penser ne change pas. »

Vous n’y songez peut-être pas quand vous vous réveillez le matin au-dessus des effluves d’une tasse de café bien chaud, mais ce que vous tenez entre les mains à cet instant même est une part du travail de toute une vie d’agriculteurs du sud. Selon Fairtrade Belgium, nous devrions y penser un peu plus souvent. Ce sont en effet les personnes derrière ce type de produits qui ont la solution aux problèmes majeurs de leur secteur.

Et ces problèmes sont nombreux : cultiver du café est un travail tellement ingrat que beaucoup d’agriculteurs jettent l’éponge. Non seulement ils souffrent énormément des conséquences du réchauffement climatique, mais le prix du café sur le marché est trop bas pour générer un revenu décent au bout de la chaîne. Si nous voulons continuer de savourer du café à l’avenir, il est clair que quelque chose doit changer.

Rassembler les gens

Le tableau n’est cependant pas entièrement sombre car la transition vers un secteur plus durable a déjà commencé ici et là. Avec son organisation Rwashoscco, Angélique Karekezi soutient les caféicultrices au Rwanda. « Angélique est la preuve vivante du principe de Fairtrade selon lequel les personnes derrière la chaîne sont plus importantes que les produits pris séparément. » C’est en ces termes que la présente le porte-parole de Fairtrade Belgium. « En mettant en contact les bonnes personnes, il est possible de créer des produits qui constituent une partie de la solution et qui font véritablement une différence dans la vie des producteurs. Cette manière de faire offre une perspective d’évolution. » Voici l’histoire d’Angélique Karekezi. Une histoire de café corsé et de femmes fortes.

Fille de cultivateurs de café, Angélique grandit dans un monde où les femmes reçoivent moins d’opportunités que les hommes, mais elle réussit à se frayer un chemin jusqu’à l’université. Une fois son diplôme en poche, elle gère les finances de Rwashoscco, une organisation rwandaise qui ambitionne de vendre le café de six coopératives. Elle gravit rapidement les échelons de la hiérarchie et est aujourd’hui à la tête de l’entreprise en tant que directrice. Elle est d’ailleurs la première femme à occuper ce poste depuis la création de la société de distribution en 2005. Dans ce cadre, sa mission est claire : donner aux femmes des communautés caféicultrices le droit d’exister et le pouvoir de décider.

Si vous montez dans une voiture et parcourez le Rwanda, vous pourrez véritablement voir où la production est équitable et où elle ne l’est pas

« De nombreuses femmes travaillent dans le monde du café et elles sont présentes dans tous les maillons de la chaîne, de la production à la transformation », explique Angélique. « Mais là où l’argent est distribué, on trouve principalement des hommes. Nous voulons montrer aux femmes qu’elles peuvent occuper d’autres fonctions et réaliser des bénéfices grâce au café. Dans ce contexte, nous devons bien entendu aussi impliquer les hommes, car tous les investissements dans l’égalité des sexes sont voués à l’échec si leur manière de penser ne change pas. Ils doivent en effet être prêts à accepter les femmes comme des collaboratrices et managers à part entière. »

Cette tâche est-elle aisée ?

« Au Rwanda, oui. Étant donné que de nombreuses femmes siègent déjà au sein des pouvoirs publics, les hommes de notre pays comprennent qu’elles peuvent aussi occuper des positions importantes en entreprise. »

Le Rwanda est en effet cinquième au classement des pays où l’égalité hommes-femmes est la plus élevée. C’est mieux que la Belgique. Comment se fait-il que le Rwanda soit si bonne élève en la matière ?

« C’est lié à l’évolution rapide que connaît notre pays depuis plusieurs années. Après la tragédie de 1994 (le génocide des Tutsi au Rwanda, NDLR), nous avons dû reconstruire entièrement notre pays et nous ne voulions laisser personne sur le bord de la route. Nos pouvoirs publics ont par conséquent nommé des femmes à des postes importants afin que tout le monde puisse participer à la reconstruction de notre pays. »

Angélique Karekezi
Angélique Karekezi© Denyse K. Uwera

Vous avez commercialisé la marque Angelique’s Finest, un café d’origine 100% féminin.

« Notre marque propose un café d’une qualité exceptionnelle, cultivé et transformé par 200 femmes engagées. De la culture des cerises de caféier à la commercialisation en passant par la torréfaction des grains, toutes les étapes du processus sont réalisées par des femmes. Angelique’s Finest démontre qu’il est parfaitement possible de progresser en matière d’égalité hommes-femmes. Les femmes peuvent véritablement gagner en empowerment en travaillant ensemble dans des coopératives. Même si elles ne représentent qu’une partie infime de l’entreprise, nous pouvons leur rendre leur honneur professionnel. Nous voyons les femmes redevenir fières de leur propre produit.

La label Fairtrade est connu de tous

« En un an, nous avons réussi à en vendre onze tonnes. Cette quantité impressionnante montre que notre histoire est un succès. J’ai toujours rêvé de voir la vie des cultivateurs s’améliorer et les femmes prospérer sous ma direction. C’est merveilleux que ce voeu se réalise. »

En quoi cela améliore-t-il la vie des agriculteurs de vos coopératives ?

« Nous sommes une organisation de commerce équitable. Cela signifie que l’on garantit des prix minimums à nos agriculteurs pour leurs produits. Ils sont dès lors beaucoup mieux protégés contre les fluctuations du marché. À cela s’ajoutent les primes du commerce équitable, qui doivent être investies dans les communautés des coopératives de café. Cet argent permet par exemple de construire des écoles, d’aménager des routes ou d’installer l’électricité. Si vous montez dans une voiture et parcourez le Rwanda, vous pourrez véritablement voir où la production est équitable et où elle ne l’est pas. »

Comment se fait-il dès lors que toutes les entreprises de café ne pratiquent pas le commerce équitable ?

« Pour obtenir le certificat Fairtrade, une entreprise doit remplir un certain nombre de conditions. En raison des contrôles stricts, elle doit aussi être beaucoup mieux organisée que les autres. Il n’est en outre possible d’obtenir le certificat tant convoité que si on travaille déjà pleinement selon les principes du commerce équitable. Cela signifie qu’il faut déjà procéder à des investissements durant la période de transition alors qu’on n’obtient encore rien en retour. Cela coûte donc de l’argent et les nouvelles coopératives n’en ont pas toujours. Il s’agit d’une tâche importante pour la communauté internationale en général et pour l’Union européenne en particulier : elles devraient soutenir les petites coopératives dans leurs efforts pour obtenir la certification. »

Comment une marque de café veut promouvoir les droits des femmes
© Denyse K. Uwera

Un tel soutien est-il suffisant pour accroître les volumes de café équitable ?

« C’est la chose la plus importante, même si les coopératives doivent également miser sur une bonne organisation et une administration efficace. Ces aspects sont en effet nécessaires pour réussir l’audit. »

Est-ce principalement le marketing autour du label qui facilite la vente de café équitable ?

« À l’heure actuelle, je ne qualifierais pas la vente de café quel qu’il soit de chose aisée. Mais il est vrai que tout ce qui touche au commerce équitable a la cote. Ce label est connu de tous. Il s’agit d’une certification qui s’applique non seulement au café, mais aussi à une large gamme de produits. C’est précisément cela qui en fait une marque forte. Par ailleurs, notre propre histoire reste aussi extrêmement importante. Une histoire de café corsé et de femmes fortes. »

Angelique’s Finest n’est pas encore disponible en Belgique.

Traduction : virginie·dupont·sprl

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