Dans le potager urbain des chefs
L’agriculture urbaine est bien davantage qu’un engouement écologique. Dans le sillage des fermiers urbains, on assiste progressivement à l’arrivée de restaurants liés à l’agriculture urbaine.
Un apiculteur urbain récolte du miel dans des ruches installées sur le toit du Vooruit à Gand. L’or doux est servi dans de nombreux restaurants du quartier. La terrasse de 350 m2 qui s’étend sur les toits de la bibliothèque royale au coeur de Bruxelles est un potager écologique pourvu d’une serre et de 500 sacs de culture pour une récolte maximale, dont une partie est servie dans la cafétéria de la bibliothèque. Alors que dans le pays tout entier, les listes d’attente pour l’obtention d’un jardin communautaire prennent des proportions folkloriques, les adeptes de la guérilla potagère urbaine conquièrent subrepticement parcs et parterres publics.
L’agriculture urbaine est bien davantage qu’un engouement écologique. Dans le sillage des fermiers urbains, on assiste progressivement à l’arrivée de restaurants liés à l’agriculture urbaine avec, derrière les fourneaux, des chefs tels que Seppe Nobels et Joachim Haemers, qui optent résolument pour une production ultralocale.
TOUR À TOUR CHEF ET FERMIER
Dans la vie de Joachim Haemers, le chef du Petit Botanique à Gand depuis l’été 2014, tout paraît logique, même ses diplômes. Après avoir étudié à l’école hôtelière Ter Duinen à Coxyde et accumulé 10 ans d’expérience en cuisine, Joachim a décroché un diplôme de maraîchage biologique chez Landwijzer. Une combinaison parfaite pour montrer la voie et tenir l’un des tout premiers restaurants agricoles urbains.
« Je ne vais plus au champ tous les jours, c’est le fermier agricole Martin Rebry qui s’en charge aux côtés d’une équipe composée de personnes défavorisées sur le marché du travail ordinaire », dit Haemers. Cet emploi social est d’ailleurs une autre caractéristique majeure du restaurant, car tant le projet d’agriculture urbaine que Le Petit Botanique sont des initiatives de deux ASBL gantoises, Labeur et Compaan. Le potager urbain du Petit Botanique est une parcelle en friche située à Sint-Amandsberg. Elle fait près d’un hectare et appartient au CPAS.
« Je travaille en très étroite collaboration avec Martin, et c’est là un grand luxe pour un cuisinier. Il m’arrive de donner un coup de main lors des récoltes, mais c’est surtout un privilège rare de pouvoir composer chaque jour un nouveau menu avec les légumes frais arrivés en droite ligne du jardin. Je sais d’où viennent les légumes et les herbes condimentaires, et comment ils ont été cultivés. Je peux aussi suggérer aux fermiers de cultiver certains légumes oubliés à l’intention du Petit Botanique. C’est une belle interaction. D’ailleurs, le pain que nous servons ne vient pas du premier boulanger venu non plus. C’est du pain au levain fabriqué par Compaan avec des farines biologiques de culture locale. »
Haemers est un grand partisan de ce type d’initiatives : « Durant des décennies, les fermiers ont été chassés de la ville et de la banlieue et tout était placé sous le signe de l’industrie. Aujourd’hui, on assiste à un changement. Les gens veulent savoir d’où vient leur nourriture et ils veulent même aller s’en rendre compte par eux-mêmes. Les consommateurs s’intéressent de plus en plus à l’agriculture urbaine et aux légumes cultivés localement. Cela explique aussi le succès des formules suivant lesquelles les citadins ont un abonnement chez un fermier de la région qui cultive des légumes pour eux et qu’ils vont aider à récolter. »
L’agriculture urbaine élargit-elle la vision d’un cuisinier ? « Sans aucun doute », réagit Haemers. « Dans le circuit ordinaire, on travaille avec des ingrédients qui vous sont tout simplement livrés, on ne sait quasi rien de leur origine. Le fait de suivre une formation de maraîcher biologique m’a permis d’acquérir de nouvelles connaissances dans les modes de culture, l’importance de la fraîcheur, le transport et la durabilité. Et tous ces aspects, je tiens à les intégrer dans la cuisine du Petit Botanique. Nos clients ont une attitude très positive à l’égard de cette philosophie, de même qu’ils approuvent totalement les choix que nous avons faits dans l’aménagement de notre restaurant : les couteaux, les assiettes, les verres, les chaises, les tables… tout cela vient d’un magasin de seconde main. Les gens ne s’en formalisent pas, au contraire : ils apprécient qu’une telle option soit possible. »
110 VARIÉTÉS D’AROMATES SUR 1 SEUL TOIT
Le jeune Seppe Nobels a longtemps hésité entre l’école agricole et l’école hôtelière, entre deux passions qui, à l’époque, paraissaient incompatibles. Il finit par opter pour l’école hôtelière (Ter Duinen à Coxyde). Diplôme en poche, il part travailler chez Wout Bru en Provence (Bistrot d’Eygalières), à la Villa Bellerose à Saint-Tropez, à La Loggia à Sienne. En août 2010, il ouvre sa propre enseigne, Graanmarkt 13 (à la même adresse) en plein coeur d’Anvers, et se concentre sur ce qu’il connaît : une cuisine aux allures étoilées, tant sur l’assiette que sur l’addition. Six mois plus tard, il redécouvre l’autre passion, l’agriculture, et sur le toit de son restaurant, il se met à cultiver des légumes et à élever des abeilles. Sa récolte se retrouve dans l’assiette. Une assiette pleine de saveurs, comme le constate Gault et Millau qui qualifie Nobels de « meilleur cuisinier de légumes de Flandre ».
« Quand j’y repense ! », lance Nobels dans les chambres d’hôtes aménagées au-dessus du restaurant et dont les fenêtres donnent sur son jardin urbain. « J’ai toujours travaillé pour des chefs qui affichent une, deux ou trois étoiles. Ils servaient du concombre en hiver, des tomates en hiver, des aubergines au printemps. À l’époque, je trouvais cela normal, mais lorsque j’y réfléchis aujourd’hui… Ce n’est pas possible ! Pour des raisons écologiques, mais aussi pour une question de goût. Les légumes de saison sont plus savoureux et moins chers. J’ai accordé une importance toujours plus grande à l’idée de présenter les saisons sur l’assiette. À présent, j’ai le sentiment d’avoir trouvé ma propre voie grâce à l’agriculture urbaine. »
Désormais, chez Graanmarkt 13, les légumes jouent le premier rôle. « La suite logique de ce choix a été mon souhait de disposer de mes propres herbes et de mon propre miel. Grâce un ami photographe culinaire, je suis entré en contact avec Rik Janssens, un jeune apiculteur de Boechout (dans la province d’Anvers). Entre-temps, cela fait trois ans que nous tenons une apiculture urbaine. Ici, dans le jardin de ville, nous avons deux ruches. Elles produisent 50 à 100 kg de miel que nous utilisons en cuisine. Quel goût ! Sa saveur est tellement plus riche que ce qu’on trouve en magasin. De plus, le miel urbain est bien meilleur pour la santé que le miel cultivé à la campagne. En ville, les services des espaces verts n’utilisent aucun pesticide. Les gens qui vivent en ville et disposent d’un petit jardin ou d’un balcon ne recourent pas non plus aux produits phytosanitaires. Le calcul est très simple : des fleurs saines = du miel sain. À la campagne, par contre, des produits phytosanitaires sont pulvérisés et les modes agricoles basées sur la monoculture offrent une moins grande variété de fleurs. Une abeille parcourt environ deux kilomètres – dans ce rayon, on trouve ici le jardin botanique, le pré fleuri aménagé à la Place du Théâtre (Theaterplein), 26 tilleuls au Marché aux Grains (Graanmarkt) et les fleurs qui poussent dans mon propre jardin condimentaire. Entre-temps, nous avons installé quatre ruches supplémentaires sur le toit de l’Opéra flamand. »
« Nous cultivons aussi nos propres herbes. La première année, nous cultivions aussi des légumes sur le toit, mais nous nous sommes vite rendu compte que la production n’était pas proportionnelle à la capacité requise par un restaurant. Aujourd’hui, nous avons 15 grandes corbeilles en osier de deux mètres sur deux pleines à craquer, dans lesquelles nous cultivons 110 herbes différentes. Deux corbeilles sont réservées à la culture de plantes dunaires et salines, deux autres sont consacrées aux méditerranéennes. Et là, je ne me limite pas au thym et au romarin. J’y cultive de délicieuses espèces de myrte et d’hysope, des herbes moins connues mais que j’utilise beaucoup en cuisine. »
« Dans notre jardin, il y a aussi un Ginkgo biloba. J’utilise ses feuilles pour confectionner, notamment, un bouillon. Le résultat est très goûteux et constitue un remède efficace contre les maux de tête ou les migraines. Ce sont des aspects qui m’intéressent énormément. Nos clients sont très intéressés par toute l’histoire qui sous-tend les mets, par les ingrédients, les herbes. »
Le Petit Botanique, Kammerstraat 19, 9000 Gent
PAR DIRK REMMERIE
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