Nos favoris de l’été: le camion de glaces, une invention à l’origine disputée
Véritable madeleine gustative (et auditive), le camion de glaces a beau se faire plus rare, il reste indissociable du retour des beaux jours depuis plus d’un siècle déjà. Mais qui a donc eu la délicieuse idée de l’inventer?
Pour nombre d’enfants, la rencontre avec Beethoven ne se fait pas par le biais du solfège, ni même d’une quelconque initiation à la musique classique, mais plutôt au son des notes stridentes annonçant le passage du camion de glaces dans le quartier. Pour faire aimer un compositeur (tout génie soit-il) mort il y a près de deux siècles aux mélomanes en herbe, rien de tel que de l’associer dans leur esprit à la joie de caracoler jusqu’au camion avec une poignée de piécettes en main et une seule question en tête: quels parfums y aura-t-il cette fois? Et surtout: lesquels choisir?
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Contrairement à d’autres plaisirs enfantins, le camion de glaces est un des rares à rester tout aussi agréable, voir plus encore peut-être à l’âge adulte, car si les palais ont depuis eu le temps de découvrir sorbets aux goûts alambiqués, affogato et autres trous normands, le cornet tendu à-même la fenêtre de son véhicule par le glacier ambulant prend, comme la musique qui accompagne son passage, un goût de délicieuse madeleine. Mais à qui donc doit-on l’invention de ce véhicule qui charrie du bonheur tous continents confondus depuis des décennies? C’est-là que l’histoire se complique.
Un délice venu d’ailleurs
Ce que l’on sait avec certitude, d’abord. L’invention de la crème glacée, ou plutôt, de sa lointaine ancêtre, daterait du 6e siècle avant Jésus-Christ, dans ce qu’on appelait alors la Perse, et où l’on savourait des sorbets toute l’année grâce à l’invention ingénieuse de piscines remplies de blocs de glace. Et c’est dans la région qu’on retrouve les premières traces de la crème glacée (à peu près) telle qu’on la connaît aujourd’hui, dans le livre d’un historien arabe du 13e siècle, Ibn Abi Usaybi’a, qui avait compilé une recette de glace artificielle.
En Europe, il faudra attendre le 17e siècle pour voir l’apparition de glaces et de sorbets à la table des banquets de ceux qui étaient alors encore rares à pouvoir se permettre ces délices givrés. Selon l’Histoire (ou la légende, tout dépend à qui on demande) la popularisation sur le Vieux Continent de ce dessert rafraîchissant au possible serait imputable à Marco Polo, qui en aurait ramené la recette en Italie au retour d’un de ses périples en Chine, avant que Catherine de Médicis n’y initie la cour de France suite à son mariage avec le Duc d’Orléans.
Et le camion de glaces, dans tout ça? Dès le 19e siècle, des marchands de glace à l’italienne parcourent les rues d’une série de pays (mais ironiquement, pas de l’Italie, où les camions de glace sont aujourd’hui encore peu nombreux, vu l’opulence de glaciers) avec une charrette tirée par des chevaux. Voilà pour les faits.
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Ce qui est plus délicat, et surtout, plus contesté, par contre? La paternité officielle du camion de glace. C’est que suivant la source que vous choisissez de croire, celui-ci aurait vu le jour dans les années 20, ou plutôt les années 40, aux États-Unis ou bien non, en Grande-Bretagne, ou tout compte fait, si, au pays de l’Oncle Sam.
Trois hommes pour un camion?
Faute de décision définitive en la matière, le camion de glace a donc peut-être été mis au point par Harry Burt, un confiseur de Youngstown, dans l’Ohio, qui aurait inventé l’eskimo avec l’aide de ses enfants, lesquels trouvaient son idée d’une boule de glace vanille enrobée de chocolat peu pratique à manger, et lui auraient suggéré l’idée d’y ajouter un bâtonnet. Et face à l’engouement (et à la concurrence) suscités par ce nouveau délice à lécher, Papa Burt aurait inventé le camion de glaces dans la foulée, pour permettre à ses vendeurs de proposer sa confection, connue alors sous le nom de « Good Humour Bar » dans un périmètre élargi.
Voilà la paternité établie? Pas si vite, car d’autres sources assurent que le camion de glaces aurait été inventé en 1929 à quelques États de là, à New York pour être précis, où un certain marchand ambulant du nom de Thomas Carvellos, immobilisé avec sa cargaison de cornets glacés par un pneu crevé, aurait eu l’idée de faire des arrêts pour les vendre aux chalands face à l’afflux de curieux venus s’offrir une glace lors de son arrêt forcé. The end? Pas si vous demandez à un sujet de Sa Majesté, qui vous affirmera que le camion de glaces tel qu’on le connaît est dû à un de leurs compatriotes, Bryan Whitby inventeur du Direct Drive System, un mécanisme ingénieux permettant d’alimenter le moteur du véhicule et le refroidissement de sa cargaison sucrée, rendant caducs les lourds et coûteux générateurs auxquels devaient jusque là avoir recours les glaciers ambulants. Opérant depuis 1962 dans la région du Cheshire, sa société de production de camionnettes spécialisées, Whitby Morrison, a toutefois vu le jour six ans après le lancement du premier van Mister Softee à Philadelphia par les frères Conway.
On l’aura compris: tenter de déterminer avec précision qui a inventé le camion préféré des enfants, et quand, a de quoi provoquer une certaine version du brain freeze qui se produit quand on engloutit son cornet trop vite…
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Un souvenir gustatif et auditif
Reste que d’après le journaliste polonais Pawel Wiejski, qui s’est intéressé à l’histoire de ceux dont il assure que « la musique peut déclencher un élan de nostalgie chez toute une génération », « les camions de glaces se font de plus en plus rares en Europe. Que ce soit la faute de l’expansion des chaînes de supermarchés ou des réglementations sur les émissions de voitures, nous devrons bientôt accepter que les musiques de notre enfance ne soient plus qu’un simple souvenir ».
Une fatalité? Pas forcément, surtout quand on sait que le Belge consomme 140 boules de glace par an, d’après les chiffes du groupement de l’Industrice des Crèmes Glacées, et que grâce à l’essor des food trucks ces dernières années, la perspective de grignoter l’un ou l’autre délice servi à même la camionnette fait de nouveaux adeptes.
Tiens, et leur musique métallique, alors, d’où vient-elle? Ici, pas d’équivoque: d’après l’ethnomusicologue Daniel T. Neely, auteur d’un essai dédié à la musique des camions de glaces, c’est bien Harry Burt qui aurait eu l’idée de doter ses véhicules d’un jingle, pour annoncer clairement leur présence et mettre l’eau à la bouche des petits et grands gourmands. Quant à savoir pourquoi la Lettre à Élise et les Quatre Saisons de Vivaldi sont si populaires auprès des glaciers, d’après Daniel T. Neely, ce serait simplement parce qu’il s’agit de morceaux « plutôt anciens, pour des raisons de droits d’auteur, et qui évoquent l’enfance et la jeunesse ». Gare, toutefois, à la déception potentielle: à Taïwan, l’opus de Beethoven n’annonce pas le passage du glacier ambulant mais bien plutôt celui du camion poubelle…
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