Kéfirs et kombuchas, des boissons magiques?

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Attrait du fait maison, origines mystérieuses, mode des aliments fermentés… Les kéfirs et les kombuchas cochent « les bonnes cases ».  Mais sont-ils vraiment si bons pour la santé ? Tentative de réponse.

Kéfirs et kombuchas: ces breuvages naissent de l’action de dizaines de micro-organismes. « Ça coche les bonnes cases » précise d’emblée le chercheur Christophe Lavelle qui, au Muséum national d’Histoire naturelle, étudie les kéfirs sous l’angle sociologique comme microbiologique.

Premièrement, il y a un engouement pour les aliments fermentés depuis 10 ou 15 ans, sur fond de profusion de messages grand public et de littérature scientifique sur l’importance du microbiote intestinal.  Deuxièmement, c’est fait maison et c’est facile à produire. Donc ça coche la case du +je maîtrise ce que je fais, ce sont mes ingrédients+. Après, le fait d’en produire soi-même n’empêche pas aussi d’en acheter. Là-dessus arrive l’intérêt gastronomique: les recettes se diversifient. Jusqu’à récemment, on lisait sur les forums des positions presque extrémistes: « Le kéfir c’est ça, il ne faut surtout pas en dévier ». Maintenant, au contraire il y a un autre discours très exploratoire: « Amusons-nous, je vais mettre des feuilles de sauge, tiens moi j’en fais un à l’hibiscus… » Les premiers kombuchas il y a dix ans, il fallait aimer le vinaigre. Maintenant, on a compris la maîtrise des fermentations pour éviter d’exacerber ce côté vinaigré qui était presque attendu au départ par les amateurs historiques. On voyait des discours: « J’aime pas ça mais comme c’est bon pour la santé, j’en bois ! » »

« C’est aujourd’hui une niche particulière », résume Christophe Lavelle. « Il y a quelque chose de très mystérieux. » Que sont les kéfirs, et leurs cousins, les kombuchas ? Ils ont en commun d’être produits par l’action de dizaines de bactéries et de levures différentes, que l’on laisse agir pendant plusieurs jours ou semaines dans de l’eau –pour le kéfir– ou du thé –pour le kombucha– sucrés.

Des microbes nombreux et divers

Dans le kéfir, ces microbes sont rassemblés sur des grains mous et translucides. Chez le kombucha, ils sont réunis sur une « mère », une membrane visqueuse semblable à celle utilisée pour transformer le vin en vinaigre. A chaque fois, une colonie à l’équilibre unique va travailler pour transformer le sucre en de nouveaux composants qui font naître des boissons gazeuses et acidulées. Certes, ces mécanismes de fermentation sont aussi à la base de boissons bien connues, comme la bière. Mais la spécificité des kéfirs et kombuchas, au-delà de leur caractère très peu alcoolisé, c’est la richesse et la diversité des microbes utilisés pour une seule boisson.

Kéfir comme kombucha, ce sont des dizaines d’espèces de bactéries et de levures. Ce sont les seules boissons qui reposent sur des symbioses. Alors que pour les bières, les vins, on ensemence en général avec une seule espèce.

Autre spécificité, ce sont des boissons majoritairement vendues non pasteurisées, donc vivantes: les espèces qui sont dedans sont actives.  Ça véhicule beaucoup de croyances, avec parfois quelque chose d’assez ésotérique dans les discours. Ça va assez loin. Certains se font allumer sur les forums parce qu’ils congèlent leurs grains, presque comme si c’était un animal de compagnie et de la maltraitance !

Enfin, on ne connaît pas l’origine des grains actuels de kéfir (ils sont constitués d’un gel généré par les microbes eux-mêmes, NDLR). On est en train de reconstituer des phylogénies pour faire des grandes familles chez tous les kéfirs qu’on a récupérés. L’enjeu, c’est de montrer qu’il y a éventuellement eu un grain primordial qui a essaimé en un siècle et que tous les kéfirs du monde ont cet ancêtre commun. Mais on n’en est pas encore là ! »

Kefirs et Kombucha, bon pour la santé?

On peut les faire soi-même (des forums existent pour s’échanger grains de kéfir et mères de kombucha) ou en acheter. Le marché s’est beaucoup développé ces dernières années dans les pays anglo-saxons et gagne désormais d’autres pays. Derrière l’attrait pour ces boissons figuraient d’abord des motivations de santé. Les amateurs historiques, ainsi que certains producteurs, vantent une vaste série de bienfaits supposés, notamment grâce à l’action « probiotique » qu’exerceraient les micro-organismes une fois présents dans le système digestif.

« On n’a pas beaucoup de grain à moudre. Il y a quand même de bonnes indications pour mettre en avant de réels effets bénéfiques, (mais) il manque pour l’instant des preuves concordantes et validées par la science. Le discours qui me va, c’est: +Le kéfir, il y a de bonnes chances que ce soit bon pour la santé » dit encore Lavelle. « Après, pour comprendre exactement ce qui se passe, ça peut être long. Et pour prouver un effet bénéfique sur la santé, ce qui est in fine ce qu’on recherche, ça peut être encore plus long.

S’il y a bien une action, elle vient soit directement des micro-organismes qui se stabiliseraient dans notre microbiote, soit de ce qu’ils sont capables de générer dans notre corps avant d’être éliminés eux-mêmes, soit des composants qu’ils produisent dans la boisson lors de la fermentation.  Les trois sont possibles, cumulés ou distincts, et c’est le grand débat: si effet sur la santé il y a, est-ce qu’il est majoritairement probiotique, prébiotique ou post-biotique ? »

Pour l’instant, rien ne prouve que ces boissons ont un réel effet. Plusieurs études –la dernière date de 2018 dans la revue Annals of Epidemiology– ont conclu à l’absence presque totale de travaux évaluant sérieusement les effets réels sur la santé humaine de ces boissons. « Il y a pas mal de probiotiques, c’est riche en anti-oxydants, mais est-ce que ça a un réel impact sur la santé? Je me permets d’en douter », déclare encore la nutritionniste Anne-Laure Laratte, se méfiant de tout « aliment magique ». Soulignant par ailleurs que ces boissons contiennent encore une toute petite quantité d’alcool et sont donc à éviter chez les enfants et les femmes enceintes, elle admet toutefois un intérêt diététique, mais pas pour leurs effets directs. « Ce sont des boissons quasiment sans sucre, donc on va préférer ça aux sodas », indique Mme Laratte. « C’est intéressant pour varier sa boisson (au lieu) de se dire: +l’eau ça me lasse, je prends du Coca+. »

 Kiwi-persil

Or, c’est bien cet angle qui commence à intéresser le monde de la gastronomie. Certains sommeliers réalisent que les kéfirs et kombuchas libèrent de nouvelles possibilités pour leurs clients. Par leur complexité gustative, ils donnent la possibilité d’accompagner sans alcool –ou presque– des mets complexes, à côté desquels il serait inconcevable de boire un jus de fruits par nature très sucré. La sommelière argentine Paz Levinson, qui travaille au côté de la cheffe étoilée Anne-Sophie Pic, propose ainsi des accords sans alcool où le kombucha tient une part importante. Cette optique anime aussi une nouvelle génération de fabricants issus du monde de la gastronomie, comme Hugo Chaise qui élabore ses boissons dans les locaux de la boulangerie Poilâne à Paris. « La fermentation va vraiment transformer les produits de base », comme les thés utilisés pour les kombuchas, et « apporte de nouvelles saveurs », explique à l’AFP ce trentenaire, passé par les cuisines de l’emblématique restaurant danois Noma, qui dit concevoir ses boissons comme de véritables plats. 

Par exemple, « le thé vert se dirige vers les pêches blanches, quelque chose d’hyper floral », remarque-t-il, détaillant ensuite son travail d’aromatisation: « J’ai pris le parti de faire un kiwi-persil. Le kiwi est très rond, limite gras en bouche, alors que le persil est végétal, presque poivré. Ça se marie très bien avec ce truc de fleurs blanches. »

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