Le boozy brunch est-il le nouvel « after de l’after »?
À rebours du Dry January et de la montée en puissance d’une sobriété perçue comme cool, les formules de boozy brunch tablent sur une consommation festive d’alcool. Une tendance aux relents de soufre plus ou moins assumée par un nombre croissant d’adresses en vue.
Le boozy brunch, ou brunch alcoolisé, fait son retour dans le paysage de la restauration. Né dans les années 90 aux États-Unis, notamment à New York, ce concept séduit les « young urban professionals », ou « yuppies », du nom de cette jeunesse urbaine en quête de réussite matérielle.
Sunday boozy sunday
Désireux de moments de détente sophistiqués loin du carcan familial – souvent vécu comme la réplique plus ou moins feutrée du cadre professionnel –, ces ambitieux aux dents longues délaissent alors les repas traditionnels pour une convivialité décontractée et transgressive savourée en extérieur dans des adresses prisées de Manhattan comme le célèbre Balthazar, brasserie mythique signée Keith McNally devenue « Balzac » dans l’épisode 5 de la saison 1 de Sex and the City.
Au cœur de cette expérience, l’alcool, avec des cocktails comme le mimosa ou le Bloody Mary, prolonge l’euphorie du week-end pour quelques heures, offrant une parenthèse d’insouciance avant le retour aux réalités du lundi matin.
Dans un contexte économique tendu, le dimanche révèle deux visages. Côté face, il devient le moment privilégié d’un rituel social, symbolisant un hédonisme sophistiqué. Côté pile, il apparaît comme une manière de s’anesthésier après une soirées festive, une façon de court-circuiter la sinistre « hangxiety » – mot-valise, forgé au croisement de « hangover » et « anxiety », qui désigne cette phase de dépression caractérisée dont les effets sont causés par le déséquilibre des neurotransmetteurs et le contrecoup physiologique d’une consommation excessive.
Du côté des restaurateurs, les boozy brunchs riment avec retour sur investissement, à l’image de l’emblématique mimosa, cocktail simplissime mélangeant champagne ou vin mousseux et jus d’orange, souvent servi en carafe. Avec un coût de revient de quelques euros pour une bouteille de prosecco et un jus de qualité moyenne, ce mélange peu digeste est souvent facturé entre 8 et 15 euros le verre. Un rapport qualité-prix qui joue rarement en faveur du client, on l’aura compris. Ce type de marge confortable en fait un pilier économique d’un genre prisé par des restaurateurs souhaitant optimiser leurs bénéfices tout en fidélisant une clientèle à fort pouvoir d’achat.
Ad fundum?
Dans un contexte peut être encore plus individualiste et anxiogène, ces brunchs témoins de rituels sociaux datés et d’une époque que l’on pensait révolue refont surface en se multipliant aux quatre coins du pays. La plus remarquable, et aussi la plus assumée, est signée par le Vertigo à Bruxelles. « Ce nouveau rendez-vous hebdomadaire a été imaginé pour les courageux en lendemain de la vieille, certes, mais aussi pour ceux qui désirent pimenter leur week-end » promet le communiqué de presse. Celui-ci insiste également sur la programmation musicale. « Chaque moment du brunch est rythmé par l’énergie du dj-set où les classiques disco rencontrent les beats House dans une ambiance progressive qui s’anime au fil des heures », peut-on lire.
Offensive, l’offre fait renaître le spectre effrayant de la tarification, très nineties elle aussi, dite « bottomless », à savoir des boissons – mimosa, spumante, champagne mais également cocktails – proposées à volonté à un tarif fixe (entre 15 et 60 euros pour 1h30). Une incitation à peine voilée au binge drinking ? Difficile de ne pas y penser quoi qu’il en soit. La porte-parole de l’établissement revendique un parti-pris fort émanant d’une adresse ayant « la fête pour ADN ». Pour rappel le Vertigo est adossé au Jalousy, un club privé « enfoui dans les sous-sols voûtés » d’une bâtisse à deux pas du Sablon. Mais pour qui serait choqué, la responsable rappelle que la nourriture préparée par le chef Mehdi Karam Ziani peut également s’accompagner de… mocktails.
Approche différente pour Lazy Sun Days Brunch, un concept créé par Flora, une marque de bières élaborées à partir de fleurs évoluant aux frontières de l’art et de la musique. Le scénario ? Un évènement se déroulant chaque premier dimanche du mois (à l’exception de janvier 2025) dans un lieu insolite (edmond, Palazzo…) de la capitale. Chaque brunch met en présence « une cheffe d’avant-garde » (Lina Berrahal, Morgane Brees) et un mixologue – Alexandre Szczesny de l’hôtel Fleur de Ville et du restaurant Era, signant des créations spécifiques – sur fond de programmation musicale calibrée.
Facturée 42,50 euros, la formule comprend cocktail de bienvenue, brunch 3 services et accès au DJ set. Outre la boisson offerte, Szczesny imagine à chaque fois une carte de trois cocktails disponibles à la commande et facturés en supplément.
Quand on parle de « boozy brunch » à Thibault Ernst, un des deux concepteurs du projet, la réponse ne se fait pas attendre. « Nous cherchons avant tout à faire vivre une expérience food et musique. Les boissons alcoolisées sont optionnelles, personne n’est obligé de boire. »
Du côté de Liège, c’est l’hôtel Yust qui se fend d’un « Boozy Saturday Brunch » (37 euros pour une version comprenant un cocktail à l’arrivée et buffet à volonté. On notera qu’il est également possible de souscrire à l’option « full monty » sans foi ni loi à la faveur d’un supplément de 8 euros donnant droit à deux heures de mimosas illimités. Pointons toutefois que les connaisseurs optent plutôt pour le combo cocktails – assiettes signées, un dimanche par mois, au Fabrice Malpas au bar d’atmosphère Volga.
Il reste que sous leurs airs de fête sans fin, ces brunchs arrosés posent question. Le principe de très en vogue de l’« after de l’after », repoussant sans cesse la rencontre avec la frustration, ne façonne-t-il pas un inévitable épuisement des corps et des esprits, une anesthésie de la conscience citoyenne et politique ? À mesure que se prolonge ce rituel dominical, où cocktails et musique tiennent lieu de baume, c’est peut-être une autre réalité qui se dessine, celle d’un cycle d’excès où la fête se heurte à ses propres limites. Une « fête de trop », dirait Eddy de Pretto.
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