Le Rooh Afza, boisson secrète qui rafraîchit l’âme

Le Pakistan et l’Inde se sont livrés trois guerres et entretiennent une vieille et violente inimitié, pourtant quand vient l’été caniculaire, leur population partage la même passion pour un sirop rose foncé dont la recette demeure secrète depuis 115 ans.

« Rooh Afza » signifiant en ourdou « rafraîchissement de l’âme », est une décoction sirupeuse d’herbes, de fruits, de légumes, de fleurs et de racines, qui a non seulement survécu à la partition de 1947, mais a su prospérer de part et d’autre de la frontière. 

Dans le vieux Delhi accablé par une chaleur de fournaise, Firoza, vendeuse de Rooh Afza dans la rue, pile, dans un large récipient métallique, un bloc de glace qu’un motocycliste vient de lui livrer.  

Avec son couteau, la quinquagénaire, au nez orné d’un bijou d’or, décachète une bouteille de Rooh Afza et verse le sirop rose foncé sur la glace avant d’ajouter du lait et des morceaux de pastèque.

« Boisson d’amour »

C’est sa spécialité baptisée « Sharbat e Mohabbat » ou « Boisson d’amour » qu’elle vend à 20 roupies (25 centimes) le gobelet. Chaque vendeur propose sa version. 

« Nous utilisons plus de 12 bouteilles de Rooh Afza par jour et 20 briques de lait, parfois 30 même 40 quand les affaires sont bonnes », explique-t-elle à l’AFP d’une voix éraillée. 

« J’ai repris ce commerce il y a une dizaine d’années à la mort de mon mari », dit-elle, « il avait commencé à vendre du Rooh Afza ici même, il y a 40 ou 50 ans. C’est ma seule source de revenus ». 

Au Pakistan, la boisson est particulièrement appréciée pendant le mois du Ramadan, elle sert alors d’apéritif sans alcool avec le festin de l’Iftar, au coucher du soleil, quand les fidèles musulmans rompent le jeûne.

Le sirop est utilisé dans des desserts et des crèmes mais surtout servi dans du lait ou de l’eau, tout au long de la saison chaude où les températures atteignent habituellement des sommets. Le mois dernier, les thermomètres ont affiché jusqu’à 50°C au Pakistan.

Dans la mégapole de Karachi, la populaire échoppe de Muhammad Akram, le Rooh Afza et l’argent coulent à flots. 

« Un sans-abri m’a suggéré un jour de mélanger du Rooh Afza avec des cubes de pastèque », raconte-t-il à l’AFP, « le goût est merveilleux ». 

« Cela apaise l’esprit »

Son employé Abdul Qahar travaille douze heures par jour et dirige une équipe de douze serveurs qui distribuent des chopes de Rooh Afza, garnie d’une paille et débordant de morceaux de pastèque couleur rubis, réhaussés d’une datte.

« Cela apaise l’esprit », estime Neelam Fareed, une femme au foyer de 25 ans qui a parcouru cinq kilomètres à mobylette avec son mari pour déguster cette boisson. 

Le Rooh Afza est apparu pour la première fois en 1907, à Old Delhi, vieux cœur surpeuplé de la capitale indienne. Créée par Hakim Hafiz Abdul Majeed, un docteur en Yunâni, médecine traditionnelle indienne, la boisson aux vertus médicinales est censée prévenir les coups de chaleur et la déshydratation.  

En 1947, lors de la partition des Indes britanniques, un de ses fils est resté en Inde tandis qu’un autre a pris la route pour le Pakistan qui venait de naître. 

Ils ont établi les entreprises Hamdard India et Hamdard Pakistan avec des usines dans chaque pays notamment au Pakistan oriental, devenu le Bangladesh en 1971 après une guerre d’indépendance sanglante. 

Hamid Ahmed, arrière-petit-fils du fondateur, patron de l’entreprise indienne, affirme que la recette originale et confidentielle n’a jamais varié en 115 années d’existence. 

« C’est un grand secret, ignoré par le personnel de l’usine même (…) je crois que seules trois personnes le connaissent », confie en riant à l’AFP l’homme de 45 ans.

Servi glacé, le sirop est d’autant plus apprécié en période de « loo » qualifiant en hindi un vent chaud aux poussières sableuses qui souffle dans le nord du sous-continent. 

L’Asie du Sud est de plus en plus sujette à d’éprouvantes canicules, que les scientifiques imputent au changement climatique, aussi le sirop des entreprises Hamdard a encore de beaux jours devant lui. 

« Le Rooh Afza n’est pas prêt de disparaître », se réjouit M. Ahmed, « les ventes sont en hausse ». 

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© Agence France-Presse

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