Bientôt mainstream le vin nature? « Les gens sont curieux, il y a une vraie demande »
A la veille de la seconde édition de Grrrabuge, un festival engagé autour du vin et des boissons fermentées qui se tient à Bruxelles, la sommelière et co-organisatrice Clémentine Rétif fait le point sur le succès – excessif? – du phénomène nature.
Depuis son exposition médiatique dans les années 2010, le vin nature n’a pas cessé d’essuyer les critiques. Toutefois, et malgré le fait qu’ils aient été jugés trop chers, pas aboutis ou sans consistance, ces jus continuent de faire des inconditionnels près de 15 ans plus tard.
Il s’agit bien sûr d’une niche, moins de 2% des vignerons en France, mais qui ne semble pas céder de terrain – pour preuve, l’application Raisins qui répertoriait 800 domaines à sa création en 2016 en aligne aujourd’hui plus de 2500. Qualifiées de « flacons pour bobos des villes », ces bouteilles possèdent une dimension générationnelle. On en veut pour preuve une anecdote rapportée par la papesse du vin nature aux Etats-Unis, Alice Feiring, sur le média RadioVino. Invitée en Caroline du Nord, un Etat réputé pour son conservatisme, elle s’attendait à prêcher dans le désert. Etonnée de finalement s’adresser à une salle comble de sexagénaires, l’autrice du « Vin nu » a compris que le public s’était massivement déplacé pour comprendre ce que buvaient… ses enfants.
Loin de se limiter à une question d’âge, cet engouement s’explique également pour d’autres raisons. Explications avec la sommelière Clémentine Rétif (33 ans), l’une des cinq chevilles ouvrières de Grrrabuge, un évènement qui tout à la fois réunit 50 producteur·ice·s venu·e·s d’Europe, orchestre des débats autour des enjeux de la viticulture et des boissons fermentées, et, cerise festive sur le gâteau, organise une soirée avec le label bruxellois Magma.
Comment êtes-vous arrivée dans le vin nature?
Clémence Rétif: Mon premier job était chez Gramm, rue de Flandre, à Bruxelles. Il y avait là un sommelier passionné par le nature. J’ai été initié à un moment où il y avait pas mal de vins avec des défauts mais aussi avec une vibration unique. Je ne comprenais pas tout, en revanche j’éprouvais des émotions inédites, cela changeait tellement de ce que je buvais auparavant. Cela m’a touché.
Une des vertus du vin nature, c’est d’être un laboratoire du goût, une sorte d’ouvroir sensoriel potentiel. La première vague de ces ovnis viticoles craignait moins qu’aujourd’hui les potentiels défauts…
C’est exact. Cette notion du « défaut » pose beaucoup de questions. Qu’est-ce qu’un défaut? Qui peut dire ce qu’est un défaut? Au départ, c’est moins le cas aujourd’hui, les personnes qui découvraient ce type de vins étaient effrayées par les aromes organiques. C’est intéressant de constater que l’on ne les rejette pas pour toute une autre série de produits. Pas plus tard qu’hier, je dégustais un vin avec plein de « défauts » mais une énergie incroyable. C’était magnifique malgré le fait qu’on distinguait des Brettanomyces, de l’acidité volatile et même des pointes d’acétate. Avec l’oxygénation, cela s’est dissipé pour faire place à quelque chose de grand.
C’est exactement le genre de profil organoleptique qui n’aurait pas passé les portes d’une dégustation classique…
Pour moi, la dégustation analytique telle qu’elle s’exerce dans les concours ne parvient pas à restituer l’expérience sensorielle que représente le vin. C’est l’émotion qui doit guider. Si je parle d’un vin en termes analytiques, c’est déjà le signe qu’il ne me plaît pas. C’est la même chose devant un tableau ou une chanson.
Quelle est votre définition du vin nature?
Ce sont des vins vivants sans intrants, sans artifices, sans maquillage. Au centre de ce processus, il doit y avoir des levures indigènes. Par exemple, je suis contre la filtration qui coupe le vin de ses levures. Sans elles, le vin est lissé, il n’est plus enrichi, il est comme séparé de sa vibration. En revanche, je ne suis pas dogmatique sur la question du soufre car il y a une réalité économique qui existe, il peut arriver qu’un vigneron se retrouve dans la situation de devoir ajouter une dose minimale afin de ne pas tout perdre.
Comment est né Grrrabuge?
Nous avons eu la révélation de ce qu’il fallait faire en découvrant un salon alsacien appelé « Brut(es) ». L’idée est de faire un salon militant, avec un propos. La première édition, qui a réuni plus de 1000 personnes, nous a montré qu’il y avait une demande claire pour ce type d’évènement, notamment auprès d’un public jeune, je parle de gens qui sont dans la vingtaine.
Quels sont les critères en termes de « naturalité » des vins sélectionnés?
Nous nous inspirons du label « Vin Méthode Nature ». Il faut idéalement que les cuvées ne contiennent pas de sulfite ajouté. Toutefois certaines peuvent afficher moins de 20 milligrammes par litre de soufre ajouté à la mise en bouteille (quand c’est le cas, cela sera précisé de manière visible, ndlr). Il est également essentiel qu’il n’y ait pas de filtration, pas de collage, pas de chaptalisation, ni de thermovinification, ni de cryo-extraction et que bien sûr les levures soient indigènes… L’idée est également de s’intéresser aux boissons fermentées qui fonctionnent avec certes une base différente mais un processus semblable.
Quels sont les objectifs du salon?
Permettre aux jeunes domaines de se faire connaître mais également de créer le lien entre cette jeune génération et des vignerons plus expérimentés. Nous voulons aussi ouvrir la réflexion sur le vin que nous voulons pour demain, particulièrement quand on sait la difficulté que c’est de produire aujourd’hui dans un contexte bouleversé par les changements climatiques.
Quelles sont les nouveautés de cette seconde édition?
En plus de la moitié des vignerons renouvelés par rapport à l’année passée, nous sommes particulièrement fiers d’accueillir trois distilleries françaises issues du mouvement de la « Gnôle naturelle », une mouvance guidée par un manifeste entrée en résistance contre l’opacité des spiritueux. Il y aura les « dompteuses d’alambics » de la maison de création spiritueuse Disent-Elles mais également les bouilleurs de cru L’eau des vivants et ceux de la Distillerie du Chant du Cygne. Côté nourriture, il y aura de super adresses qui seront présentes comme Le Repos de la Montagne, El Camion, Bistrot Mentin… soit beaucoup d’endroits pointés par le Fooding.
On attaque souvent le vin nature sur la question de son prix, qu’en pensez-vous?
A Bruxelles, je constate que le problème vient souvent des marges de l’Horeca. Celles-ci font grimper le prix du vin en flèche sans toutefois permettre au restaurateur de se payer. La situation est critique. C’est donc trop cher mais pas assez cher pour en vivre. Je ne sais pas quelle est la solution.
Le modèle du vin nature est vertueux par essence, il est celui d’une petite exploitation en phase avec son environnement. La difficulté réside souvent dans son prix, élevé, qui est souvent lié à cette question d’échelle réduite versus une demande qui explose. Comment résoudre cette tension? Plusieurs pistes sont avancées comme le négoce ou la mécanisation des vendanges. Quelle solution est la meilleure selon vous?
Si l’on veut rester le plus fidèle possible à l’esprit du vin nature, il me semble que boire moins mais mieux est une piste intéressante. C’est d’autant plus vrai dans un contexte favorable à ce questionnement, de nombreuses initiatives prouvent qu’il est possible de se faire plaisir en buvant des boissons non alcoolisées. Les restaurateurs qui râlent parce que des clients ne consomment pas d’alcool doivent se remettre en question, ils ont raté quelque chose. Par ailleurs, sur le festival, on essaie de favoriser des prix abordables, notamment en faisant venir des vignerons issus de régions moins prestigieuses dans lesquelles les rouages économiques sont différents. Il y a un mouvement de fond qui valorise les vins dits de vignerons ou de vigneronnes qui sacre un travail, une vision, plutôt que la notoriété d’un terroir ou d’une AOC. Je pense par exemple à quelqu’un comme Alexandre Bain qui est sorti de l’appellation Pouilly-Fumé.
Est-ce qu’il est souhaitable selon vous que le vin nature se diffuse, au risque de devenir mainstream?
Dans les faits, si je me réfère encore une fois à Bruxelles, je constate que le nature est de plus en plus présent. Les gens sont curieux, ils veulent en boire, il y a une vraie demande. Il faut répondre à ces attentes, le vin nature doit être partout.
Grrrabuge, LaVallée, 39, rue Adolphe Lavallée, à 1080 Bruxelles. salongrrrabuge.be Le 23 et 24 novembre. Tarifs : à partir de 15€ / jour.
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