L’estomac sur pattes à Megève: Le Domaine de la Sasse

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

A la table de l’homme qui murmurait à l’oreille des bisons. Une expérience unique…

Dominique Méridol, Domaine de La Sasse, 74120 Megève. Uniquement sur réservation. Tél. +33 6 09 90 30 29.

Quand on évoque Megève et la gastronomie, c’est souvent le nom d’Emanuel Renaut qui sort. Forcément, le chef aux 3 étoiles s’affiche incontournable. Pourtant, une expérience d’un autre genre est possible. Le petit village des Alpes fait aussi valoir le Domaine de la Sasse de Dominique Méridol. L’homme est un puriste de la montagne.

Marqué par une enfance montagnarde, il a depuis son plus jeune âge été habitué à quitter l’école avant les autres pour partir en alpage ainsi qu’à vivre reclus pendant au moins un mois au plus fort de l’hiver. « La montagne que j’ai connue, c’est la vraie, celle de la bougie et de la terre battue », aime-t-il à répéter.

Il y a un petit côté Jean de Florette dans son parcours car, contrairement à ses frères et soeurs, il décide de rester au pays et de devenir agriculteur pour travailler les terres de son grand-père « qui ne voulait pas qu’on vende ». « Mon père a reçu le domaine de mon grand-père, il fallait que quelqu’un s’inscrive dans la lignée, je m’y suis collé », explique-t-il. Malheureusement, une ombre assombrit rapidement le tableau. « La politique agricole française avec ses quotas et ses réglementations ne me permettait pas de m’en sortir. Il a fallu que je change mon fusil d’épaule et que je me reconvertisse. »

Sans aucun diplôme, il y a plus de 20 ans, Domique Méridol va alors élaborer un projet fou auquel il sera le seul à croire : élever des bisons et transformer la ferme d’alpage familiale en une sorte de « restaurant » – il déteste le mot – où l’on pourra manger les produits finis qu’il aura élaboré seul. En clair, un défi proche du délire.

Sans l’aide de personne, il va tout apprendre seul. D’abord, à élever ces bêtes dangereuses pour en obtenir de la viande. « Je les côtoie le moins possible non seulement parce qu’il y a un risque mais aussi qu’il faut les laisser en paix pour que la viande soit la meilleure possible. J’ai dû apprendre à les abattre moi-même, à transporter la viande, à la conserver et à la transformer », détaille-t-il.

Parallèlement à cela, Dominique Méridol aménage la ferme en endroit où accueillir des gens. Il réussit un vrai chef d’oeuvre de bois avec une grande baie vitrée qui s’ouvre sur les écuries où il élève des purs sangs arabes. L’intérieur est aménagé avec un tel soin qu’on dirait qu’un décorateur s’en est mêlé. Une magnifique et imposante cheminée en bois et en verre occupe le centre de pièce.

Devant l’étonnement du visiteur face à un tel ouvrage, le concepteur n’a qu’une réponse : « je fais également des guitares, quand on sait faire une guitare, on sait tout faire, la guitare c’est l’horlogerie du bois. » D’autres détails surprennent : la cuisinière au gaz magnifiquement intégré dans un ancien chaudron à tome utilisé autrefois par sa grand-mère, les couverts fabriqués en côtes de bison ou le bison entier empaillé sur place par un ami taxidermiste.

Un concept extraordinaire Aujourd’hui, deux décennies de travail, Dominique Méridol fait valoir une maîtrise totale. Il gère ses bisons de main de maître. Il aime se définir non comme un restaurateur mais comme « un agriculteur qui vend son produit fini avec une traçabilité maximale ».

Côté nourriture, il a également atteint le top. Des chefs comme Philippe Rochat du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, le Genevois Philippe Chevrier du Domaine de Châteauvieux ou encore Guy Savoy comptent parmi les addicts. Il faut dire qu’il a affiné la démarche.

A sa table, le menu s’affiche monothématique puisqu’il tourne autour de la viande de bison qu’il décline en saucissons – myrtilles, noix, pistaches, Beaufort… – terrines, carpaccios, viandes séchées, tartares et morceaux nobles. Le tout accompagné d’un pain divin qu’il fait lui-même et de confit de pommes de terre aux échalotes. Deux menus sont proposés, en version « L’Approche » ou « Le Top », à respectivement € 100 et € 120.

Manger au Domaine de la Sasse se mérite. S’il reçoit toute l’année, Dominique Méridol ne travaille que sur réservations car un repas nécessite une vraie mise en place logistique de sa part. « Il ne faut pas que je sois trop occupé par la ferme. Je ne reçois jamais plus de trois soirs de suite et seulement des groupes qui comprennent au minimum 6 personnes et au maximum 30. Je me refuse de travailler plus, je perdrais l’âme du projet… », commente-t-il.

L’accès à la ferme d’alpage n’est pas aisé : il n’y a pas de route. L’ascension qui dure 20 minutes est plutôt raide mais pour environ 400€ un hélicoptère dépose directement sur le site.

L’homme qui murmurait à l’oreille des bisons n’aime pas communiquer sur les personnalités en vue qui lui rendent visite. Parce qu’on est belge, il concède tout au plus que le baron Empain est un fidèle. Pour les autres, on repassera.

On a également appris que de nombreuses entreprises aiment à louer l’endroit pour des séminaires. L’occasion pour Dominique Méridol de rire sous cap en écoutant les conseils des coachs. Le self-made man ne peut s’empêcher de penser à son parcours qui est une ode à la différence face à des discours qui valorise la compétition et la conformation à un modèle social imposé. La différence, il continue de la cultiver au jour le jour, sans télé, sans vacances, ni lectures. Sa seule distraction ? Ecouter la radio. France Culture.

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