Pénurie de moutarde: la France mise sur la relocalisation

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L’un des condiments favoris des Français, la moutarde de Dijon, manque depuis des mois dans les rayons: pour remédier à la pénurie, les cultivateurs français vont plus que doubler leur production, jusqu’alors largement supplantée par la concurrence canadienne.

Dans les supermarchés et épiceries à travers la France, les pots de moutarde de Dijon se font rares, s’ils ne sont pas absents. « Un pot par foyer », proclament nombre d’affichettes apposées dans les rayons. 

La pénurie, largement antérieure à la guerre en Ukraine, est liée à la vague de chaleur qui avait amputé de moitié environ la récolte 2021 de graines de moutarde au Canada.

Premier producteur mondial, ce pays fournit quelque 80% des graines, les 20% restants étant presque entièrement produits en Bourgogne, dans le centre-est de la France.

« Il est très important de faire grossir ce pourcentage pour affronter les aléas climatiques qui sont différents d’un pays à l’autre », explique à l’AFP Luc Vandermaesen, président de l’Association moutarde de Bourgogne, qui regroupe les moutardiers et les cultivateurs de graines de moutarde.

Jadis très répandue, la culture locale des graines avait fait la réputation de la région de Dijon depuis le Moyen-Âge, mais une multiplication d’attaques d’insectes, que la filière ne peut plus combattre avec des produits chimiques désormais interdits, a divisé la production par trois en quatre ans, de 12.000 tonnes en 2017 à 4.000 tonnes en 2021 alors que les moutardiers en voulaient 16.000.

Mais « les problèmes canadiens ont relancé toute l’importance de la filière en Bourgogne », explique Fabrice Genin, président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne.

« Oui, il y a un souci de relocalisation. On ne peut pas mettre tous nos œufs dans le même panier », estime M. Vandermaesen, également directeur général de « Reine de Dijon », troisième producteur français de moutarde.

Un appel a donc été lancé en juin auprès des producteurs locaux avec pour but de multiplier par 2,5 les surfaces plantées en graines, soit 10.000 hectares contre 4.000 en 2022.

Prix plus que doublé

Pour les motiver, les moutardiers ont mis la main au pot: « on a fait plus que doubler le prix » offert pour la graine de Bourgogne entre les récoltes 2021 et 2023, note M. Vandermaesen.

De 900 euros en 2021, les cours sont passés à 1.300 euros en 2022, provoquant déjà une hausse de moitié de la production. Pour 2023, les moutardiers offrent 2.000 euros la tonne.

A ce prix-là, les candidats ont afflué. « L’appel a été entendu: nous avons un peu plus des 10.000 hectares voulus et le nombre de producteurs est passé de 160 à plus de 500. C’est plus qu’espéré », explique Jérôme Gervais, expert moutarde à la Chambre d’agriculture de Côte d’Or. 

Car le prix alléchant a fait revenir à la moutarde des brebis égarées. Comme François Détain, cultivateur à Agencourt: « le prix qu’on nous propose nous permet de rentrer dans nos clous », même avec la flambée des engrais due à la guerre en Ukraine, explique-t-il.

François Détain avait abandonné cette culture en 2019 en raison d’un « rendement catastrophique avec un printemps très sec et les insectes ». Mais aujourd’hui, « la graine se place bien » par rapport aux céréales, colza ou tournesol. « D’autant plus qu’il y a eu une dégringolade des cours des céréales et des oléagineux ». 

« Pour nous, c’est une sorte de revanche de pouvoir replanter une culture locale », se félicite-t-il.

Le coût du fret, qui a explosé depuis 2021, a aussi relativisé le prix plus élevé de la graine de Bourgogne par rapport à la canadienne, de « 15-20% », selon M. Gervais. 

Résultat, « on devrait produire en 2023 15.000 tonnes », soit 40% des besoins de moutardiers. « On sera les deuxièmes producteurs de graines servant à la (moutarde de) Dijon », derrière le Canada, se félicite l’expert.

« Les rayons vont donc se regarnir en octobre » grâce à la récolte bourguignonne de 2022, déjà plus importante, puis « la pénurie va totalement disparaître début 2023 », prévoit M. Vandermaesen.

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