Pierre Marcolini, Meilleur pâtissier au monde: « C’est un merveilleux cadeau pour mes 40 ans de carrière »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Présidée par un aréopage de journalistes et de professionnels, l’édition 2020 du World Pastry Stars vient d’attribuer le titre de Meilleur pâtissier au monde à Pierre Marcolini (1964). Une sacrée consécration pour les 40 ans de carrière d’un homme qui a redoré le blason du chocolat belge en prônant le retour à la fève par le biais d’une quarantaine de boutiques dans le monde.

Je reconnais avoir été désarçonné. Car bien que je sois pâtissier de formation, et que j’aie déjà remporté un titre en 1995, je dois avouer que la maison Marcolini fait de moins en moins de pâtisserie, à l’exception des éclairs et des bûches de Noël. Ce prix inattendu émane d’une association italienne sérieuse et indépendante qui questionne le devenir de la pâtisserie. Doit-elle devenir plus citoyenne? Comment faut-il qu’elle aborde les réseaux sociaux? Autant d’interrogations salutaires pour une profession qui a trop souvent le nez dans le guidon. Il reste que c’est un merveilleux cadeau pour mes 40 ans de carrière et pour les 25 ans d’existence de la marque. C’est aussi une bonne nouvelle dans ce contexte plombé. Ça fait du bien!

La pâtisserie doit se remettre en question. Nous ferions bien de regarder ce que font les restaurateurs. Ils sont précurseurs en ce qu’ils ont quitté leurs cuisines pour aller à la rencontre des clients en salle. Au contraire du pâtissier qui reste dans son atelier. De la même façon, les chefs ont raccourci les cartes. Est-ce que nous n’aurions pas intérêt à faire trois ou quatre gâteaux plutôt que vingt-cinq? Imaginer quelque chose de plus agile par rapport au produit et de plus poétique que l’éternel javanais… Nous devons également nous brancher sur les circuits courts.

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Demain la boutique va devenir un lieu d’expérience. Les magasins tels que nous les avons connus, soit des lieux où l’on choisit et on achète, vont disparaître. Pas question de les remplacer par de l’e-commerce pour autant. Pour redonner du sens à cet endroit, notre démarche est de placer au centre de celui-ci un vendeur que l’on aura formé au point de devenir un expert cacao. Il sera là pour transmettre la quintessence de la marque. Tout un chacun qui entre saura d’où viennent les fèves, comment elles sont travaillées. La boutique deviendra un lieu où l’on prend son temps.

La Belgique n’est plus une référence en matière d’enseignement des métiers de la gastronomie. Nous avons les talents qu’il faut, le public qu’il faut, les produits qu’il faut… mais nous manquons d’un bon enseignement. Celui-ci a été détricoté avec les structures politiques du pays. Quand on me pose la question du bon endroit pour se former, je renvoie, avec énormément de regrets, vers l’école Ferrandi à Paris. Il y a, de plus, un problème de valorisation de l’artisanat. En France, lorsque quelqu’un reçoit un prix, c’est le Président de la République qui le décerne. Chez nous, cela se passe entre professionnels.

Ce qui m’empêche le plus de trouver le sommeil , c’est de ne pas savoir où je vais. C’est terrible pour quelqu’un qui dirige une société. Je ne peux rien prévoir quant aux six prochains mois. Cette année, tous les chocolatiers ont raté Pâques, j’ai très peur de passer également à côté de Noël. Pire, mon personnel me pose des questions auxquelles je ne peux pas répondre. « On fait rentrer des noisettes ou pas monsieur Marcolini? » La vérité est que je n’en sais rien. Pour le moment, je suis un funambule. Entre la matière première dont je ne suis pas certain qu’elle arrivera et les clients qui ne seront peut-être pas livrés à heure et à temps. On met sans cesse notre nom en jeu, nom qui est désormais auréolé du titre de Meilleur pâtissier au monde… c’est très difficile à vivre.

Jusqu’ici Marcolini a toujours volé à du 300 km/h. Le ralentissement dû à la situation sanitaire nous permet d’inspecter l’avion dans ses moindres composants et de se repenser. On a décidé de revoir toutes nos recettes, remplacer tout ce qui est colorant par des purées de fruits. Plutôt qu’utiliser certains chocolats de couverture faits maison pour enrober des ganaches, nous partons désormais d’une liqueur de cacao, ce qui a pour effet de réduire considérablement le sucre. C’est tout bénéfice car cette recette explose en bouche.

Je reste super optimiste, c’est ma nature. Et j’ai plein de projets. J’ai eu envie de revisiter la biscuiterie comme j’ai revisité le chocolat, on va donc sortir une gamme, ce seront des « kumo », ce qui veut dire « nuage » en japonais. Cela se fera au Sablon dans ce qui était mon premier magasin, celui qui m’a porté chance. On va aussi ouvrir un magasin à la Grand-Place. A Anvers, nous allons inaugurer une boutique où tout le chocolat « grand cru », désormais labellisé bio, sera produit devant les clients. Et il y a de bonnes nouvelles. En Chine, où nous avons des boutiques en propre, les chiffres sont à la hausse, comme si rien ne s’était passé. Le Japon remonte lui aussi. L’Asie va se remettre sur pied beaucoup plus rapidement que l’Europe.

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