Cava: les producteurs locaux contre-attaquent
Les Belges sont les plus grands buveurs de cava… au monde. De leur côté, les petits producteurs espagnols s’agacent face aux grandes marques industrielles qui écrasent les prix. Pousse-t-on le bouchon un peu trop loin?
Le cava, une passion belge
«Le cava est LE produit espagnol à succès de ces vingt dernières années, déclare Wim Vanleuven, le plus grand importateur de vins espagnols en Belgique. Selon les derniers chiffres, chaque année, 253 millions de bouteilles de cava sont vendues dans le monde, ce qui représente un chiffre d’affaires record de plus de 2 milliards d’euros. Environ 23 millions de bouteilles sont écoulées par an en Belgique, alors qu’on était à 10 millions il y a quinze ans. Notre pays occupe la troisième place au niveau mondial. Mais si on compte les ventes par habitant, nous sommes les champions du monde.»
Pourquoi buvons-nous autant de cava? Les Belges adorent les bulles. Et son prix abordable ainsi que l’évocation de l’Espagne, pays de vacances ensoleillées, le rendent encore plus attrayant. En Flandre notamment, dans la catégorie des vins mousseux, ce breuvage recouvre pas moins de 63% du marché. Mais le torchon brûle dans la péninsule ibérique.
La raison? Les grands producteurs industriels dominent le secteur et écrasent les prix. Aujourd’hui, dix producteurs détiennent royalement 90% du marché. Les trois quarts sont aux mains de deux géants: Codorniù et Freixenet. Ces producteurs optent pour une distribution via les supermarchés, où l’on peut trouver une bouteille de cava pour moins de 10 euros.
‘Environ 23 millions de bouteilles sont écoulées par an en Belgique.’
«Mais les plus grands casseurs de prix sont Vallformosa et Grupo García Carrión, précise Wim Vanleuven. Ils mettent la pression sur notre marché en l’inondant de quantités astronomiques, et en menant des campagnes de promotion très agressives. Ce qui fait qu’il arrive que les prix atteignent moins de 5 euros la bouteille, alors qu’en Belgique, les accises s’élèvent déjà à 2,31 euros!» Impossible de proposer de la qualité à ce prix. Dans ce contexte, les entreprises familiales qui travaillent de manière artisanale et qui veulent maintenir une qualité élevée ne peuvent plus rivaliser. Elles ont donc décidé de contre-attaquer.
Le meilleur comme le pire
Sant Sandurní d’Anoia est au cava espagnol ce qu’Epernay est au champagne français: le cœur battant de la production de vin mousseux. Dans cette commune de 10 000 habitants située à 40 kilomètres à l’ouest de Barcelone, les producteurs de cava sont légion. On y repère immédiatement les enseignes
de Freixenet et Codorniù, qui dominent les rayons de nos supermarchés. Nous nous trouvons dans la région viticole du Penedès, lieu de production principal du cava, là où la révolte contre les grands producteurs industriels a démarré. Car c’est ici que les petits producteurs familiaux ont ressenti en premier les conséquences de la guerre des prix.
«L’image du cava était en chute libre, précise Wim Vanleuven, d’où la difficulté de vendre des bouteilles de qualité à un prix permettant de couvrir les frais. De plus, il est interdit d’indiquer sur l’étiquette les raisons pour lesquelles un certain produit est meilleur et plus cher. Cette règle est défendue bec et ongles par les grands producteurs. Par conséquent, le label cava englobe le meilleur comme le pire.» Plusieurs petits producteurs du Penedès ont pris le taureau par les cornes et ont décidé de ne plus mentionner la dénomination «cava» sur leurs bouteilles au profit de l’appellation «Clàssic Penedès».
Et ils ont imposé des règles plus strictes. Ainsi, seuls les raisins cultivés au Penedès sont autorisés – dans le cas du cava, ils peuvent provenir d’autres régions, et il est même interdit d’en indiquer l’origine. Autre règle: les fruits doivent être cultivés de manière biologique dans le vignoble et être exempts d’additifs. Un signal fort adressé aux producteurs industriels. Enfin, le Clàssic Penedès doit mûrir au moins quinze mois sur lies avant d’être commercialisé, un point essentiel pour la qualité – pour le cava classique, cette maturation ne dure que neuf mois. «C’était un grand pas en avant, selon Wim Vanleuven. Mais les quatorze producteurs qui font partie de l’appellation Clàssic Penedès se sont vite rendu compte que le consommateur continuait d’appeler ces vins mousseux «cava». Le changement prend du temps pour s’amorcer.»
Le top des cavas
En 2019, une nouvelle contre-offensive a eu lieu. Cette fois, elle a été menée par neuf producteurs qui ont renoncé à la dénomination «cava» et qui ont lancé leur propre label: Corpinnat, qui signifie «né au cœur du Penedès».
Bien que ces producteurs représentent seulement 1% de la production de cava, leur action a fait l’effet d’une bombe car ils sont généralement considérés comme le top des cavas, notamment parce que leur qualité et leurs prix sont comparables à ceux du champagne: Gramona, Recaredo, Torelló, Llopart, Nadal, Sabaté i Coca, Mas Candí, Can Feixes et Júlia Bernet (entre-temps rejoints par Can Descregut et Pardas).
Corpinnat a adopté des règles encore plus strictes que celles de Clàssic Penedès. «Parce qu’ils veulent absolument que le consommateur sache pourquoi certains cavas coûtent moins de 5 euros la bouteille et d’autres plus de 20 euros, explique l’importateur belge. Les producteurs industriels ont toujours empêché l’apposition d’une telle justification sur les bouteilles de cava, qui entraînerait irrémédiablement une fracture.»
Les premières bouteilles portant le label Corpinnat ont été lancées sur le marché en 2020. Sur leur étiquette, on peut notamment lire: «Vino Espumoso de Calidad, Método Tradicional» («vin mousseux de qualité, méthode traditionnelle» ). La durée de la maturation sur lies y est également indiquée. Elle s’élève à dix-huit mois, soit plus que celle du Clàssic Penedès, et le double de la norme applicable au cava habituel.
Comme les «rebelles» de Clàssic Penedès et de Corpinnat n’indiquent plus le mot «cava» sur leurs bouteilles, ils ne bénéficient plus des efforts commerciaux et publicitaires que l’association générale de producteurs de cava fournit pour ses membres. «C’est pourquoi certains plus petits producteurs de qualité décident quand même de garder le label cava», explique Wim Vanleuven.
Lui-même croit fermement aux deux nouveaux labels: «On fait ainsi la distinction entre les produits de bonne et de moins bonne qualité, car en Belgique, l’image du cava se dégrade. Seul le prix compte encore. Le respect pour le bon cava se perd, et a fortiori celui pour le cava haut de gamme. Si un bon cava est vendu au même prix qu’un champagne médiocre, la plupart des consommateurs opteront quand même encore pour un mauvais champagne. J’espère que Clàssic Penedès et Corpinnat changeront la donne, et que les consommateurs seront disposés à payer un prix proportionnel à la qualité.»
Une chose est sûre: la guerre du cava n’est pas encore terminée.
‘Si un bon cava est vendu au même prix qu’un champagne médiocre, les clients opteront pour le second.’
Plus d’infos: cava.wine, dopenedes.cat, corpinnat.com
Le cava, c’est quoi?
Produit en Espagne depuis 1872, il s’appelait à l’origine «champán» ou «champaña», car le processus de production est identique à celui du champagne. La plus grande différence réside dans le climat, méridional, et les cépages, qui sont généralement espagnols (parellada, macabeo et xarel-lo). Mais certains cavas sont produits avec les mêmes cépages qui doivent obligatoirement composer le champagne (comme le pinot noir et le chardonnay).
En 1970, sous la pression des producteurs de champagne français, les Espagnols ont dû renoncer à la dénomination «champagne» et ont opté pour «cava», en référence à la cave où le vin mousseux vieillit sur lies. En 1972, une D.O. (dénomination d’origine) a été créée pour le cava. Ce territoire protégé est vaste: il comprend 160 communes, dix provinces et six régions. Mais la plupart des cavas (95%) sont produits en Catalogne, plus précisément dans la région du Penedès, à l’ouest de Barcelone.
La différence de prix se goûte-t-elle?
Le prix peu élevé est l’atout du cava industriel, qui offre la sensation festive des bulles et un vin mousseux correct. Les cavas haut de gamme sont, eux, plus frais, plus équilibrés, plus crémeux et plus mousseux.
Moins de 10 euros
- Marque populaire de Vallformosa, la quatrième plus grande maison de cava. Tapez « Vallformosa cava wants Belgians to make more babies » sur YouTube et découvrez pourquoi il faut en boire (ou pas !).
- Un cava typique et assez sucré, produit par Castell d’Or, une entreprise qui englobe 16 bodegas, 6 200 hectares de vignobles et 2 200 viticulteurs.
- Un des deux plus grands producteurs propose plusieurs cavas sous la même marque, dont cette cuvée élaborée à l’occasion de son 150e anniversaire.
Plus de 10 euros
4. Pour ce prix raisonnable, vous avez un cava fin, frais, crémeux, qui a mûri pendant deux ans et qui porte le nom du fondateur de ce domaine familial artisanal du XVIIe siècle.
5. Le cava maison d’El Celler de Can Roca, 3-étoiles Michelin et deux fois primé meilleur restaurant du monde, est à présent disponible sur le marché belge.
6. Cette maison cultivant en biodynamie et située en plein cœur de la région du cava compte parmi les meilleures d’Espagne et peut même rivaliser avec le top des champagnes.
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