Plutôt showman ou méticuleux ? Ce que les desserts disent de nous
Une pâtisserie ne sert qu’à clôturer un repas? Loin de là. Il semblerait même que la manière dont nous finissons le menu dévoile à nos invités notre personnalité…
Un peu de contexte: vous avez passé la journée en cuisine. Après avoir dressé une table de fête, vous avez préparé des pâtes fraîches, fait mijoter un délicieux ragoût et imaginé divers amuse-bouches. Le dessert est la seule tâche que vous avez confiée à votre partenaire. Vous ne le savez pas encore, mais vous allez regretter ce choix. En effet, de quoi vos invités se souviendront-ils en rentrant chez eux? Selon la science, ils garderont surtout la touche finale de ce repas de fête en mémoire. Ce phénomène s’appelle le recency effect. Les expériences les plus récentes sont généralement celles dont on se souvient le mieux, et qui pèsent plus lourd lors de l’évaluation d’un événement. En d’autres termes, vos convives oublieront plus rapidement une croquette de crevettes servie à moitié congelée à l’apéritif qu’une meringue brûlée.
Par ailleurs, une étude menée en 2015 par la Georgia State University montre que le sucre rend les souvenirs plus marqués. Les douceurs gustatives activeraient des neurones dans l’hippocampe, la partie de notre cerveau responsable de notre mémoire épisodique. Il y a donc énormément de chance que ce soit la bûche qui reste imprimée en mémoire le 24 décembre. Autant donc faire attention à ce point d’orgue qui en dit tant, semble-t-il, sur nous-mêmes. Nous avons dressé quatre portaits-robots de cuisiniers et apporté nos conseils. Vous y reconnaîtrez-vous?
1. Le showman
Selon Janny van der Heijden, autrice culinaire néerlandaise, gâteaux et autres sucreries ont toujours servi à impressionner. Dans le cadre de la nouvelle exposition Grand Dessert, elle a retracé, avec le Kunstmuseum de La Haye, l’histoire des desserts en Europe, de 1600 à nos jours. «En observant les banquets élaborés de l’élite européenne au fil des siècles, on constate que rien n’était laissé au hasard, et surtout pas la touche finale, explique-t-elle. Plus vous étiez riche, plus les desserts étaient impressionnants.»
A la fin du XVIIIe siècle, les pièces montées voient le jour. Les pâtissiers assemblent des merveilles architecturales qui servent plus à en imposer qu’à être mangées. Il s’agit de constructions de plus d’un mètre de haut, en forme de pavillons chinois ou de temples romains. Un vrai show. A l’origine de cette tendance: Marie-Antoine Carême, un cuisinier français qui est entré dans l’histoire avec ses créations pour la cour de France. Dans son roman Madame Bovary (1856), Flaubert décrit avec une certaine ironie une fête de mariage au cours de laquelle une telle préparation «a fait pousser des cris» aux invités. Les grandes idées font beaucoup de bruit.
Place au spectacle
Aujourd’hui encore, cet élément de spectacle a toute sa place pendant les fêtes, estime la cheffe pâtissière Sarah Renson, qui a récemment publié le livre de desserts The Sweetest Table. «Après un banquet somptueux, les convives ont souvent le ventre plein. Puis, lorsqu’un dessert spectaculaire arrive, les estomacs semblent moins remplis», observe-t-elle.
Du côté de Waterloo, son confrère Marc Ducobu abonde dans le même sens, lui qui est devenu Chocolatier de l’année selon le Gault&Millau. «Pour ce Noël, nous proposons six bûches classiques – chocolat, café, Passion… – mais aussi une bûche d’exception constituée d’un village en chocolat présenté sous une cloche en verre, à l’image d’une boule de neige. Nous avons aussi un gâteau de Nouvel An comme une bombe prête à exploser avec des feux de Bengale à allumer à la dernière minute. On a une clientèle fidèle qui veut de l’originalité et attend d’année en année ce qu’on va sortir pour épater les invités.»
Envie d’en faire trop? Pourquoi pas! Puisqu’il semblerait que la surprise redonne l’appétit. A voir toutefois si vous oserez assumer la réalisation vous-mêmes, ou pas. Histoire que le stress ne vous tombe pas… sur l’estomac.
2.Le tranquille
En fait, on ne parle vraiment de «desserts» que depuis le XIXe siècle. Jusqu’à cette date, les repas étaient servis à la française: tout arrivait en même temps sur la table. Puis, le service à la russe s’est imposé, d’abord en France puis dans le reste de l’Europe, au début des années 1800: les plats sont présentés dans l’ordre. Le bouquet final? Le dessert, dérivé du verbe «desservir», qui signifie «débarrasser la table».
«A cette époque, il était presque exclusivement réservé à la population aisée, précise Janny van der Heijden. Le travailleur moyen s’estimait heureux s’il pouvait mettre un plat copieux sur la table. Par contre, si vous étiez autorisé à vous asseoir avec la classe supérieure, après le repas, vous dégustiez des mets à base de produits coûteux tels que les œufs, la crème et les fruits.» Les desserts se sont démocratisés au fil du XXe siècle, le changement le plus important intervenant dans les années 60, lorsque des plats prêts à l’emploi font leur apparition sur le marché. «Cela a commencé par des puddings que l’on préparait en mélangeant une poudre et du lait à l’aide d’un fouet, poursuit l’experte. Les desserts sont devenus de plus en plus accessibles, faciles et bon marché. C’est une belle évolution, car de cette manière, même les personnes les moins aisées peuvent en profiter.»
Simple, mais efficace
Au départ, Sarah Renson ne voulait pas vendre de desserts de Noël prêts à l’emploi dans sa boutique de Louvain, tout simplement parce qu’elle savait, grâce à son expérience dans l’équipe de Joost Arijs, entre autres, que cela demandait beaucoup de travail. Face aux nombreuses demandes, elle a tout de même cédé. «Nous avons commencé par un millefeuille, mais nous proposons maintenant aussi une bûche. Il y a des boutiques qui proposent cinq variantes, mais ce n’est pas mon truc. De cette façon, les clients n’ont pas non plus le stress du choix. De nombreuses personnes sont soulagées de ne pas avoir à préparer leur propre dessert, car elles sont déjà suffisamment stressées comme ça.» Une anxiété que ressent aussi Marc Ducobu qui se félicite d’enlever cette charge à ces clients et de «l’ambiance festive» qui règne quand ils viennent choisir leur gâteau.
Il n’empêche, à côté des créations de ces spécialistes, la solution prête à l’emploi des fêtes de fin d’année reste pour certains… la Viennetta. Ce gâteau industriel à la crème glacée se retrouve sur les tables de fête de millions de ménages en Europe, selon les chiffres de vente. Un succès logique selon Sarah Renson: «Il y a vraiment tout ce qu’il faut pour un bon dessert, de la glace fraîche à une couche de chocolat croustillant. Certains hôtes insistent pour faire tous les desserts eux-mêmes, même si le résultat laisse à désirer. Je me dis alors qu’ils feraient mieux d’acheter une Viennetta, qui ne coûte presque rien.»
3.Le méticuleux
Ces dernières années, les aliments (ultra)transformés ont été la cible de nombreuses critiques. Alors que plusieurs scientifiques et journalistes les ont principalement dénoncés pour des raisons de santé, les «trad wives» sur TikTok – ces femmes revenues au foyer – l’ont fait pour correspondre davantage à leurs valeurs plus traditionnelles. Alors qu’Ottolenghi est un gourou pour les Millennials qui aspirent à la performance, une influenceuse comme Nara Smith s’adresse aux femmes ultraconservatrices. Faire sa propre confiture avec les fruits de son jardin, c’est sympa. Baratter son propre beurre avant de préparer un gâteau, c’est carrément too much.
«Je suis ravie que les ingrédients et leur origine reviennent au cœur du débat, déclare Janny van der Heijden. Non pas pour des questions de valeurs, mais parce qu’il est important de savoir ce que l’on mange.» Et de citer le sociologue américain Michael Pollan qui affirme que «peu importe ce que vous mangez, pourvu que vous cuisiniez vous-même».
Un retour aux goûts justes
Par conséquent, vous et vos invités êtes beaucoup plus conscients de l’ensemble du processus qui se cache derrière un dessert. Il ne s’agit pas de revenir à des valeurs anciennes, mais de s’élever contre les nombreux colorants et arômes dont nous n’avons absolument pas besoin. «Le marché du prêt-à-manger a rendu le monde culinaire fade, déplore la curatrice. A cause des nombreux additifs, les gens ne connaissent souvent plus les vraies saveurs d’origine. Pensez à la vanille industrielle: elle n’a rien à voir avec celle vendue en gousse.»
Selon l’autrice, aujourd’hui, le prestige se traduit aussi par le fait maison, même si la recette est simple. C’est une valeur ajoutée à votre repas. Vous avez fait un effort, vous vous êtes investi, et vous pouvez aussi être plus attentif aux éventuelles intolérances de vos convives. «Cela montre à quel point vous vous souciez de l’autre», résume-t-elle. En voilà un joli présent pour Noël.
4.Le nostalgique
Une enquête rapide révèle qu’il s’agit peut-être du groupe le plus représenté. «Personnellement, je suis adepte de la forme en demi-lune allongée. Il ne faut pas être original pour être original sinon on risque vite de basculer dans le kitsch. Et puis, c’est pratique à découper, relève Marc Ducobu. Nombre de nos clients restent accrochés à la tradition… C’est un peu comme pour les restaurants. Certains cherchent des nouveautés mais beaucoup aiment finalement retourner au même endroit.»
C’est ainsi que certaines recettes se transmettent depuis des centaines d’années, observe pour sa part Janny van der Heijden: «Prenez un dessert comme le bavarois, également servi lors des fêtes: il était déjà célèbre au XVIIIe siècle. Les Britanniques, quant à eux, préparent leur Christmas Pudding des mois à l’avance.» L’autrice elle-même prépare chaque année une Charlotte Russe pour les fêtes, en hommage à sa mère. «C’était sa recette de prédilection. Par coïncidence, c’est ainsi que nous avons découvert qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer. Je me souviens que mon fils avait remarqué qu’il y avait des morceaux de gélatine dans le gâteau, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. La fois suivante, elle avait complètement oublié d’en ajouter. Ce dessert est tellement lié à la famille et à la convivialité que j’ai continué à le préparer après sa mort. C’est de la vraie comfort food.»
Le poids des traditions
Mais pour beaucoup d’autres familles, c’est la bûche de Noël qui reste ancrée dans les traditions. Ce que confirme la Néerlandaise: «Ce dessert fait référence à la bûche que l’on mettait de côté pour réchauffer la famille pendant l’hiver. Avant la messe de minuit, elle était jetée sur le feu, afin de pouvoir retrouver une maison bien chaude au retour. C’est peut-être le symbole ultime de la connexion.»
Cependant, même au sein de ces traditions, les choses évoluent, comme le souligne le Chocolatier wallon de l’année: «Même ceux qui ont l’impression de suivre les traditions sont guidés par les tendances. Je pense notamment au côté sucré. J’ai 50 ans et quand j’ai commencé le métier, je mettais 150 g de sucre pour 1 litre de crème fraîche. Aujourd’hui, on est à 40 g seulement! Qu’on le veuille ou non, notre secteur a évolué: désormais, on veut du dessert raisonné!»
S’il nous reste encore un peu de temps pour réfléchir à notre menu, de la bûche maison à la Viennetta du supermarché, il ne faut en tous cas pas sous-estimer son importance. La cheffe américaine Julia Child l’a bien résumé: «Une fête sans gâteau n’est qu’une réunion.»
L’expo Grand Dessert se tient jusqu’au 6 avril 2025 au Kunstmuseum de La Haye, kunstmuseum.nl.
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