Comment bien réussir le gravlax? Enquête, conseils et recette

Chaque saison, notre journaliste-cuisinier
Jorik Leemans traque la meilleure préparation d’un classique du répertoire gastronomique. Cette fois, zoom sur le gravlax.

Il n’arrive pas souvent qu’on ait besoin d’une bêche pour une recette. Ou de terre. Heureusement pour nous, les Scandinaves ont entre-temps découvert le réfrigérateur, parce qu’enterrer un saumon cru dans notre jardin urbain n’aurait pas été simple à mettre en pratique.

Petit flash-back dans le temps pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire du gravad lax, ou gravlax. Le nom de ce plat signifie littéralement « saumon enterré dans le sol » : autour de l’an 1300, les pêcheurs du Moyen Age cherchaient une technique pour conserver plus longtemps leurs denrées, surtout pendant les mois d’été. Le saumon était enterré avec diverses herbes et épices dans de l’écorce de bouleau, à proximité d’une rivière, de manière à fermenter sans pourrir dans cet environnement froid et humide. Si aujourd’hui, on voulait suivre cette recette, on arriverait plutôt à un résultat proche du sürstromming, le fameux hareng fermenté suédois. Ou à une intoxication alimentaire.

© Anaïs Lesy – Assistante Maaike Dubruqué


« Heureusement, nous aussi, nous avons évolué, dit en riant Richard Tellström, un des plus importants experts suédois en matière de culture culinaire et d’histoire de l’alimentation. La manière la plus courante de préparer le gravad lax aujourd’hui est de suivre la méthode qui a été initiée en 1800. On « enterre » encore le poisson, d’une certaine manière, mais dans un mélange de sel et de sucre. C’est seulement depuis les années 90 que ce plat s’est largement démocratisé, quand l’industrie poissonnière norvégienne s’est lancée dans l’élevage du saumon. Avant cela, ce poisson a longtemps été réservé aux classes les plus élevées. Moi-même, je mange plusieurs fois par semaine une version faite maison. »

© Anaïs Lesy – Assistante : Maaike Dubruqué


En soi, il y a très peu de difficulté à préparer ce saumon mariné. L’étape la plus cruciale se passe probablement chez le poissonnier, où il faut choisir le morceau de filet de saumon le plus beau et le plus frais possible, avec la peau. De cette façon, le poisson garde bien sa forme quand on le découpe. Pour notre première tentative, nous nous en tenons à la version classique et nous couvrons le saumon d’une écorce de sel, de sucre, de poivre et d’aneth frais.

Question de timing

La durée du séjour du saumon mariné dans le réfrigérateur semble se décider « à la tête du client ». Richard Tellström ne sort son gravad lax qu’après deux à trois jours au frais, alors que le chef danois Nikolaj Kovdal affirme que 24 heures peuvent déjà suffire.

© Anaïs Lesy – Assistante : Maaike Dubruqué


« Après un jour de marinade, votre poisson a déjà une belle texture, bien ferme, estime ce dernier, qui gère à Anvers les restaurants Fiskebar et Fiskeskur. Mais on peut aussi les laisser plus longtemps, en fonction de ses préférences. Ce qui est intéressant dans ce plat, c’est qu’on peut commencer à jouer soi-même avec ce qu’on en fait. Quand je le prépare pour moi, je le fais en fonction de ce que j’ai au réfrigérateur. On peut utiliser de la betterave, des tomates, ou même du miso ou de la sauce soja… N’hésitez pas à expérimenter tout au long de votre quête. »

‘Le saumon est comme une popstar : il doit toujours rester sous le feu des projecteurs.’

Dans les nombreuses recettes que nous avons pu parcourir pour mieux connaître ce plat apparaissent en effet un tas de variantes. Des graines de fenouil aux baies de genièvre, de la vodka au gin : 
il faut déjà aller loin pour choquer les Scandinaves avec son interprétation personnelle de leur plat ancestral. « Nous sommes un peuple assez libéral, sourit Richard Tellström. On ne va pas se fâcher aussi facilement que les Italiens si vous préparez une variante de nos plats traditionnels. »

© Anaïs Lesy – Assistante Maaike Dubruqué

Saumon popstar

La cheffe et autrice de livres de cuisine islandaise Dagny Ros Asmundsdottir croit elle aussi au pouvoir de l’expérimentation. Sa propre recette au gin tonic est ainsi apparue il y a quelques années dans différents médias. « C’est ce qui est plaisant dans un plat aussi intemporel que le gravad lax : chacun peut y mettre ses propres touches. Même s’il y a toujours un risque d’exagérer. Le saumon est comme une popstar : il doit toujours rester sous le feu des projecteurs. »

Et de rappeler que la tradition a néanmoins du bon. « Je prépare aussi la recette old school de ma grand-mère, où le saumon doit reposer pendant trois à quatre jours sur un lit d’aneth dans le réfrigérateur. Selon elle, l’important c’est de retourner le saumon chaque jour, pour être sûr qu’il absorbe tout le sel et le sucre. Une vérité scientifique ? Je ne sais pas, je suis juste les règles qui m’ont été transmises », s’amuse-t-elle.

© Anaïs Lesy – Assistante : Maaike Dubruqué


Selon Dagny Ros Asmundsdottir, il est aussi important de garder en tête que le saumon « cuit » plus vite lorsqu’on y ajoute de l’alcool ou de l’acide comme du jus de citron. « On obtient alors le même effet qu’avec un ceviche et il vaut mieux ne pas le laisser tel quel pendant trois jours. »

Inspiré par sa recette au gin tonic, nous avons décidé d’ajouter un trait d’alcool à notre marinade pour un nouvel essai de recette. Après un jour de repos, le saumon est sorti du réfrigérateur un peu sombre, avec une texture soyeuse. Très bon, mais un peu plat. Le mélange aurait probablement nécessité un peu plus de gin tonic.

© Anaïs Lesy – Assistante : Maaike Dubruqué

Patrimoine partagé

Même si pour l’instant la plupart des Belges associent le gravlax à un petit repas rapide et rafraîchissant après des heures à parcourir les allées d’Ikea, dans de nombreux foyers scandinaves, c’est un plat qui se retrouve presque tous les jours à table. Contrairement à de nombreux plats nationaux, on peut dire que le gravad lax est un patrimoine culinaire partagé. « C’est une vraie tradition scandinave avec différentes variantes en Suède, en Norvège, au Danemark et en Islande, explique l’historien Richard Tellström. Personne ne peut revendiquer la recette originelle, parce qu’à cette époque, les pays actuels n’existaient même pas. »

Par exemple, alors que pour les Danois le gravad lax est une des garnitures les plus utilisées sur le Smørrebrød (une tartine), pour les Suédois, c’est un des éléments essentiels du Smörgåsbord (une sorte de buffet froid, littéralement « table de tartines »). On l’organise notamment lors des jours de fête et il se compose de hareng au vinaigre et d’autres préparations froides de poisson, suivis de plats de viande froids et clôturé par des plats chauds, accompagnés de bière et d’Aquavit. « C’est un élément indisociable de la période des fêtes, avance Richard Tellström. Ce mets se mange comme une sorte d’entrée, sur un toast de pain de seigle beurré, accompagné d’une sauce à la moutarde et à l’aneth. » Pour sa part, Nikolaj Kovdal ne peut plus voir ce plat. « Peut-être parce que j’en ai trop mangé quand j’étais jeune », rit-il. Aujourd’hui, il lui préfère quelques légumes marinés et de la crème aigre comme accompagnement.

© Anaïs Lesy – Assistante : Maaike Dubruqué


De notre côté, après plusieurs tentatives, nous sommes arrivés à une recette sans baies de genévrier (trop dominant) et sans betterave, mais avec beaucoup d’aneth, du citron et un trait de gin. Ces deux derniers ingrédients apportent de la fraîcheur et une légère touche épicée, mais ils permettent aussi d’obtenir en 24 heures seulement un gravlax avec une belle texture, sans devoir attendre un jour de plus.

Mesure de précaution

A noter que nombre de recettes conseillent de congeler le saumon avant de le consommer, par mesure de précaution. Les gens du Nord de jadis qui mangeaient leur poisson sorti d’un trou creusé dans le sol lèveraient certainement les yeux au ciel en entendant cela. « En principe, c’est suffisamment sûr de faire mariner et de manger directement son poisson cru, mais vu que le sucre forme un environnement idéal pour les bactéries, je conseillerais quand même de laisser d’abord un jour le poisson dans le congélateur », affirme Richard Tellström. Dagny Ros Asmundsdottir, pour sa part, dit qu’elle ne connaît personne en Islande qui congèle d’abord son poisson. « Par contre, c’est important de savoir d’où il vient. Moi je choisis toujours un poisson avec un label MSC ou ASC. »

Pour ses restaurants, Nikolaj Kovdal congèle toujours son poisson, mais pas pour son usage privé. « Mais si vous utilisez la même technique pour d’autres poissons – merlan ou cabillaud –, mieux vaut ne pas prendre de risque », ajoute-t-il.

Les faux pas à éviter

Acheter son saumon au supermarché. Tout dépend de la qualité du produit, mieux vaut privilégier le poissonnier.
Ajouter trop d’ingrédients. Gardez le rôle principal pour le saumon.
Aller trop vite. Accordez à votre poisson un repos bien mérité au réfrigérateur.

Retrouvez notre recette du gravlax ici

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