Notre recette de couscous végétarien parfait

© ANAÏS LESY
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Chaque saison, Michel Verlinden traque la meilleure préparation d’un classique du répertoire gastronomique. Ce printemps, zoom sur le couscous de légumes.

C’est une tradition qu’Ahmed a initiée entre sa petite-fille et lui. Certains vendredis, Sofia et «Dada», tel est le surnom de l’aïeul, préparent le couscous pour la famille. Entre le vieil homme et la pré-adolescente de 12 ans, la complicité est totale. Bien plus que de cuisine, il s’agit ici de transmission transgénérationnelle, d’une mémoire qui s’inscrit à même le corps, d’une célébration du plaisir d’être ensemble.

A voir Sofia travailler délicatement la semoule entre ses paumes, sous les yeux malicieux de sa petite sœur Naomi, invitée elle aussi à mettre la main à la pâte, on se dit que le couscous n’est pas un plat comme les autres. «C’est trop satisfaisant», commente Sofia. «C’est comme du savon, c’est doux», lui répond sa petite sœur. Peut-être le duo ne réalise-t-il pas encore pleinement la chance d’une telle immersion. Car pour qu’elle soit totale, l’initiation débute au plus jeune âge.

Un plat traditionnel aux arcanes détenus par les femmes

Bien qu’elle le prépare depuis longtemps, Isabelle Nizet, une restauratrice du centre-ville de Bruxelles, laisse toujours Omar, son compagnon, manipuler la semoule. La cheffe d’Horia a compris que cette opération nécessitait une sorte de contact tacite avec les ingrédients doublé d’une solide dose d’intelligence de la main.

Traditionnellement, le couscous se déguste lors de la prière du vendredi, le fameux «Jumu’ah». Il s’agit d’un plat dont les arcanes sont détenus par les femmes qui le préparent pendant que les hommes écoutent le prêche de l’imam. Au retour de la mosquée, tout le monde se retrouve devant un large plat qu’il faut entamer à la cuillère en veillant à prélever une part humectée sans excès. Pas question d’aller chercher un morceau de carotte de l’autre côté de la montagne de légumes, chacun sait qu’il convient de manger devant soi.

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Jihad Assabi, propriétaire des restaurants bruxellois Babdar et Kif-Kif, se rappelle l’impatience avec laquelle il attendait ce jour, lui qui a grandi à Casablanca. Dans son esprit d’enfant, les sept légumes consacrés du mets correspondaient aux sept jours qui séparaient deux de ces réunions festives.

Quand on interroge Ahmed pour savoir d’où il tient son savoir-faire, la réponse de ce Tangérois d’origine s’impose: «En regardant ma mère et ma grand-mère le faire.» De fait, une grande partie de la préparation mobilise l’œil, le toucher d’une façon indirecte, presque inconsciente: il est question de sentir quand les légumes sont parfaits, c’est-à-dire à mi-chemin entre le fondant et le «al dente». P

our Jihad Assabi, la transmission a été moins rectiligne: «Je ne me suis intéressé à la cuisine qu’à partir du moment où je me suis retrouvé seul en Europe, cela a été ma façon de trouver du réconfort, de revenir d’une manière détournée sur les lieux de mon enfance.»

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Un plat aux multiples visages

Avertissement: le «vrai» couscous n’existe pas. C’est un fantasme. Comment pourrait-il en être autrement alors que plusieurs pays – la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, la Lybie… – possèdent leur version du genre et que chaque famille perpétue sa propre interprétation? Laquelle varie dans le temps, au gré du goût du jour mais aussi des oublis et des ajouts des unes et des autres.

Il reste que le couscous décrit dans cet article est d’inspiration marocaine, logique au vu de l’importance de cette communauté en Belgique. Autre précision, la variante aux légumes est-elle un sacrilège, elle qui ne peut pas se revendiquer traditionnelle? Au Maroc, les versions au poulet, à l’agneau ou au bœuf sont les plus populaires. Mais là comme ailleurs, les choses changent, ne serait-ce qu’en raison des problématiques de santé liées au cholestérol. Oui, la semoule aux légumes se trouve désormais aux quatre coins du pays, tout comme le thé à la menthe sans sucre.

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Sainte semoule

L’un des grands malentendus entretenus sous nos latitudes concerne la semoule, trop souvent négligée. Or, elle constitue un temps fort de la préparation. Acmé totalement impossible à suspecter si l’on a coutume de préparer cette farine granulée en l’arrosant d’eau bouillante, ce qui ne constitue rien de moins qu’un crime de lèse-majesté.

«Je me souviens de ma grand-mère qui faisait la semoule à partir de la farine. Elle accomplissait ce travail de grande patience, qui prenait des journées entières. Il faut un vrai doigté pour y parvenir, sinon on fabrique des sortes de mauvaises pâtes. Hélas, je n’ai plus jamais vu personne le faire, c’est un geste qui se perd», précise Ahmed, qui avoue par ailleurs qu’enfant il préférait au repas du vendredi midi le goûter préparé par sa mère avec la semoule de la veille, du lait chaud, du sucre et de la cannelle. Un poignant souvenir pour celui qui se rappelle avoir préparé un couscous pour cent personnes à l’occasion d’un concert du jazzman Steve Houben.

Sans aller jusqu’à la faire soi-même, une semoule digne de ce nom nécessite une attention soutenue, qu’il s’agisse de son imprégnation d’eau, de sel ou d’huile d’olive – si la semoule fine, plus délicate mais aussi plus difficile à travailler, convient aux couscous estivaux, la plupart des Marocains utilisent de la semoule moyenne ou un mélange des deux.

Il importe que son goût infuse le plat, «que les grains filent entre les mains comme du sable», commente Jihad pour qui cet ingrédient permet de tracer une ligne de démarcation entre un bon et un mauvais couscous. Un indice imparable? Sa couleur. Il faut qu’elle soit plutôt blanche – un parti pris qui va à l’encontre de l’imagerie courante, raison pour laquelle certains restaurateurs s’appliquent à en renforcer la teinte à coups de colorant.

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Le bon outil

Il nous semble aussi essentiel d’investir dans une couscoussière. On peut très bien se débrouiller avec un four à vapeur mais il serait plus que dommage de ne pas faire profiter la semoule de la diffusion des arômes des légumes chauffés dans le bouillon. Il y a là une alchimie cruciale.

Reste la question des légumes. Liégeoise sensibilisée à la durabilité et à l’environnement, Isabelle Nizet a ouvert en 2016 une cantine orientale à Bruxelles, Horia, dont les contours sans chichis attirent un public mixte. «La cuisine orientale est celle qui façonne le mieux les légumes, notamment grâce à l’apport des épices», commente cette passionnée du monde arabe en général et du Maroc en particulier.

Se tenant loin de toute prétention au «vrai couscous», elle décline une version faisant place aux produits bio et aux légumes de proximité. De fait, il est crucial de noter que la version aux sept légumes, présentée ici, n’est pas la seule à avoir droit au coup de cuillère. Du chou de Bruxelles aux fèves des marais, en passant par les panais, le fenouil, le potimarron, différentes variétés de carottes ou les racines de cerfeuil, un tas de végétaux sont susceptibles d’apporter des nuances gustatives à la composition. On notera que les Berbères de l’Atlas, la chaîne montagneuse qui traverse le pays, sont connus pour préparer un «couscous vert» à base de courgettes longues et rondes, de fèves et de petits pois – seuls les haricots ne sont pas les bienvenus.

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La magie des épices

Côté épices aussi, chacun possède sa botte secrète. Ainsi d’Isabelle Nizet qui ajoute du safran dans le bouillon pour en intensifier la saveur. Bien entendu, la configuration idéale consiste à pouvoir faire venir ses épices du Maroc. «Il existe là-bas un paprika assez unique, plus rouge, il possède une saveur chaude de piment doux qui transforme le mets», précise la cheffe.

Même constat pour le fameux ras-el-hanout, sorte de curry du Maghreb dont la grande distribution diffuse une version particulièrement insipide. Très populaire avec certains tajines, le «tfaya», ce confit d’oignon ponctué de cannelle, de raisins secs et de fleurs d’oranger, dont on vous livre la recette, est sans hésiter le bon plan pour donner du relief à un couscous de légumes. Enfin, quiconque choisit de prendre du temps pour préparer un tel plat ne devrait pas accepter de s’en remettre à une sauce harissa industrielle. Très facile à faire, en version rouge classique ou même verte (on remplace le poivron rouge long par un vert), cette pâte fait la différence en version maison. Suivez-nous, on vous dit comment faire.

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Les 5 commandements

1. S’il y a bien un ingrédient qui n’a pas sa place dans le couscous, c’est la pomme de terre. Le mariage féculent-céréale déséquilibre le plat.

2. A quoi reconnaît-on un Belge qui mange du couscous? Au fait qu’il arrose son plat du bouillon servi en accompagnement. Les Marocains appellent cela «la pataugeoire» ou encore «la piscine». En plus de ne pas être très esthétique, cette opération est indigeste, la semoule gonflant dans l’estomac.

3. Un vrai couscous se mange à plusieurs, il célèbre la convivialité et le temps long. L’idéal consiste à le savourer autour d’un même plat avec une cuillère, ce qui évite de mettre de la semoule partout.

4. Les tomates pelées sont à proscrire. Mieux vaut, comme dans la recette proposée ici, utiliser de la tomate fraîche râpée. Hors saison, on aura tout avantage à faire l’impasse sur cet ingrédient et préparer un «couscous jaune», donc sans tomate et paprika, ou «vert» comme celui des Berbères de l’Atlas.

5. Le dressage du couscous est très important puisque sa signature visuelle ouvre l’appétit. On crée une pyramide, au centre de laquelle on enfonce le poing pour verser le bouillon sans excès, puis la «tfaya». Par-dessus, on pose le bouquet de coriandre et persil plat placé dans le bouillon ainsi que les quatre bâtons de cannelle utilisés pour le confit d’oignon. Les légumes sont disposés sur les flancs de la pyramide, en les alternant. En accompagnement: un petit bol pour la harissa, un grand pour le bouillon. Terminer en arrosant délicatement les légumes de bouillon et en parsemant des pois chiches sur l’ensemble.

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