Rencontre avec Alexandre Gauthier, chef anti-Michelin de l’Anecdote à 2h50 de Bruxelles (2/2)

Alexandre Gauthier, et son restaurant l'Anecdote à Montreuil sur Mer © DR
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

On vous annonçait l’ouverture imminente d’Anecdote, le nouveau restaurant d’Alexandre Gauthier à Montreuil-sur-Mer… Désormais, c’est testé, approuvé et rencontré après seulement trois jours d’ouverture.

Quel est le pari que vous faites avec cette nouvelle adresse ?

Alexandre Gauthier : le pari c’est le même que La Grenouillère ou le Froggy’s, c’est Montreuil-sur-Mer. Croire en cette ville, croire qu’il peut se passer des choses ici, des choses intelligentes, bonnes et gouteuses. Toute la difficulté, c’est de faire venir les gens. Si ça ne résonne pas, je mourrai comme un con ici.

Ça résonne plutôt bien habituellement, à part le Michelin…

C’est vrai. J’avoue que pour le Michelin, c’est une énigme. Je me dis qu’ils ne me comprennent pas ou que peut-être ils sont embarrassés par ma liberté. Allez savoir…

L’idée d’Anecdote c’est d’effectuer un retour dans le passé ?

La cuisine pratiquée ici est une cuisine qui a 35 ans. C’est la première carte de mon père en tant que chef-propriétaire à la Grenouillère. Pour ne pas perdre sa clientèle, il avait fait un mix entre la carte des anciens propriétaires – le steak au poivre, la côte à l’os, la tarte tatin – et ses premiers plats à lui qu’il a appris dès ses 13 ans quand il est entré à l’école hôtelière – la lotte aux petits légumes, la caille aux écrevisses, le gravlax à l’arabica… On a gardé ces plats intacts en changeant un peu le dressage. Ce sont des plats d’une cuisine bourgeoise honorable qui ont tendance à disparaître. Je considère qu’il s’agit de plats de mémoire pour lesquels il y a une amnésie collective. Même pour les préparations simples, il faut absolument apprendre à toute une génération qu’un steak au poivre, ce n’est pas un morceau de bidoche avec une sauce industrielle dessus. On a standardisé les goûts parce que l’on n’a plus le temps de faire un vrai jus de viande. On ne sait même plus qu’un steak au poivre c’est flambé et que le coup de cognac avec trois cuillères de jus et une cuillère de crème, ça change tout. La seule variable sur une recette comme celle-là doit être la quantité de poivre. Un élément important du restaurant doit encore arriver, un vivier, indispensable pour les écrevisses.

Il y a plein de références dans les préparations que vous proposez…

Oui, il y a des clins d’oeil, comme les courgettes et les carottes présentées en demi-sphère dans la lotte en nage de petits légumes, on les fait avec une cuillère à pommes parisiennes. Il y a aussi les pommes Anna qui accompagnent certaines viandes qui sont cuites au four Josper. Il y a aussi un jambon de boeuf assaisonné à l’huile d’olive, à l’huile de noix, à la fleur de sel et un petit verre de Calvados. Ce n’est pas encore à la carte mais il y aura de la truite au bleu, un autre plat de mémoire, préparé dans un court-bouillon vinaigré. Il s’agit de truite fario, à chair blanche, et pas de truite saumonée comme on en voit trop souvent.

Quel est le principe du gravlax arabica ?

C’est un gravlax, soit 115 grammes de sucre au kilo de poisson, 30 grammes de sel et 30 grains d’arabica avec du paprika et du curry. On laisse reposer 24 heures et l’arabica donne la teinte et l’amertume.

Comment s’est présentée cette opportunité ?

Je me suis désengagé depuis 1 an et demi des Grandes Tables du Channel à Calais car ce n’était plus possible. J’adorais ce projet mais je n’étais pas payé, il fallait que j’optimalise mon temps. J’avais envie d’ouvrir une adresse moules-frites à Berck… là aussi, impossible parce que trop cher à l’achat, du moins face à la mer. Puis, j’ai eu vent de ceci, soit le Jéroboam, l’ancien bistrot du Château de Montreuil. Je me suis dit que c’était une façon de mesurer ma concurrence par rapport au Froggy’s, le bistro qui m’appartient.

Et puis c’était une façon de rendre hommage à votre père, Roland Gauthier ?

En 2003, quand je suis arrivé à La Grenouillère, j’ai un peu poussé mon père dehors par la force des choses. Parce qu’il fallait le faire, il fallait renouveler cette maison. Ce qui me gêne c’est que quand on parle de mon père, on a l’impression que c’était un petit chef de province mais papa a eu pendant 18 ans une étoile au Michelin. Il a été un très bon chef de cuisine qui n’a pas brillé comme il aurait peut-être pu briller parce qu’il est comme moi, un peu timide et introverti. C’était important pour moi de rendre hommage à ce qu’il a réalisé.

Propos recueillis par Michel Verlinden

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