Expérience totale: le boom des restaurants immersifs

L’univers marin d’Under the Sea, à Paris. © SDP

Installé récemment à Paris, le restaurant Under the Sea propose un repas hors du commun: décors marins, vidéos, son et lumière, les clients sont comme plongés au fond de l’océan. Venue d’Asie, l’immersion sensorielle fait désormais sensation aux tables européennes également. Au grand bonheur des touristes entre autres.

Shanghai, Mexico et maintenant Paris, les restaurants proposant des expériences immersives ont le vent en poupe. Ainsi, le dernier-né du groupe Ephemera, Under the Sea, a fait son apparition dans la capitale française, il y a quelques semaines à peine (lire aussi l’encadré «On a testé» ci-dessous). Au programme: un plongeon au cœur de l’océan où tout est calculé pour rendre l’expérience la plus marquante possible avec des lumières, des sons et des décorations qui rappellent le thème. Si le phénomène est récent dans nos contrées, Ephemera n’en est toutefois pas à son coup d’essai. Une «version beta» comme l’appelle Jade Frommer, sa cocréatrice, avait déjà fait fureur à Lyon, autour de l’univers de Charlie et la Chocolaterie. Ce concept avait ainsi permis à cette entrepreneuse et ses deux associés, tous diplômés de l’Institut Bocuse, de se démarquer dans l’offre de restauration. «En deuxième année, nous avions déjà ce projet de créer un restaurant immersif, explique la conceptrice. Le fait de stimuler plusieurs sens rend l’expérience culinaire plus intense que dans un établissement classique. Nous nous rendions compte qu’il s’agissait d’un genre qui se développait beaucoup en Asie mais à des budgets souvent élevés. Nous voulions la rendre accessible.»

Après l’essai lyonnais, Annaïg Ferrand, Jade Frommer et Loris de Vaucelles ont dès lors lancé Under the Sea, en mars, dans le complexe cinématographique MK2 Bibliothèque, situé dans le XIIIe arrondissement. Et, à leur grande surprise, le succès est déjà au rendez-vous avec pas moins de 500 couverts par jour alors qu’ils n’en visaient que 200 à 300. Mais l’équipe n’en oublie pas l’essentiel: «Le propre de la restauration, c’est de manger correctement, pour un bon rapport qualité-prix, avec un service à la hauteur», insiste Jade Frommer, qui projette déjà d’autres ouvertures en France.

On a testé: Under the sea à Paris

A l’heure du lunch, je quitte la lumière crue d’été pour pénétrer dans la semi-pénombre de ce restaurant qui promet une immersion sous l’eau. Quelques pas sur une moquette motif écume et me voilà attablée sous un ciel de coraux et étoiles de mer, dans un bel espace entouré de cloisons-écran. C’est un ballet de méduses en images de synthèse qui m’accueille, suivi par un «bienvenue sur mon bateau», lancé par une serveuse en tenue de marin revisitée. Je pêche dans la carte courte un cocktail (gin et algues) et un ceviche de maigre (avec courgette, fraises et pistache). Après quelques gorgées, l’ambiance change. Direction le lagon. 10 mètres de profondeur, 2 bars de pression, me précise l’écran. Une tortue géante nage d’un écran à l’autre autour de clients souvent happés par leur conversation. Mais, seule à table, je guette les bancs de poissons colorés entre deux bouchées puis les mouvements des baleines et requins dans le tableau vidéo suivant. C’est divertissant et plutôt relaxant. Bémol: fourchette à la main et les yeux dans les flots, difficile de ne pas penser au fait qu’on n’est pas vraiment en train de sauver Nemo.

160, avenue de France, à 75013 Paris, ephemerarestaurant.com

La recette du succès

Avant d’arriver en Europe, ce type d’expérience immersive s’est donc surtout développé en Asie, avec plusieurs restaurants à Shanghai, Tokyo, Singapour ou Bangkok, associant technologie et gastronomie afin de proposer un moment original à leurs clients. L’un des plus connus: l’Ultraviolet, table du chef français de haut vol Paul Pairet, à Shanghai, qui met la technologie à son menu depuis 2012.

Désormais, le phénomène a aussi fait ses premiers pas en Belgique avec l’Immersive Theater et Fever qui ont lancé des soirées mêlant cocktails, petite restauration, projections vidéo et activités interactives à Bruxelles. Leur dernier projet s’intitule 7 Deadly Sins et se tient dans une salle secrète de Plein Publiek, l’ancien palais de la Dynastie, au pied du Mont des Arts, dans la capitale. Le Diable communique tout au long de l’expérience avec les invités pour redécouvrir les sept péchés capitaux à travers des extraits de films, de musiques ou d’évocations de moments marquants de l’histoire. «C’est la deuxième collaboration entre Immersive Theater et Fever. La première, «Old But Gold: 360° Cocktail Experience», qui s’est tenue également à Plein Publiek, ne s’est terminée qu’en janvier dernier après plusieurs semaines de prolongation, nous explique Luc Faure, responsable presse de Fever. Ces événements sont victimes de leur succès: il est nécessaire de réserver longtemps à l’avance pour pouvoir en profiter.»

L’Ultraviolet du chef français Paul Pairet, à Shanghai.
L’Ultraviolet du chef français Paul Pairet, à Shanghai. © Scott Wright

Sens en éveil

Derrière ces initiatives d’immersion sensorielle, qui sollicitent les cinq sens tout au long du repas et permettent de se distinguer dans l’offre pléthorique de restaurants, on retrouve une théorie, celle de la neurogastronomie. Sous ce terme introduit par le professeur de neurologie de Yale Gordon Shepherd au début des années 2000, plusieurs études ont déjà été menées pour comprendre comment les sens modifient l’expérience gustative. En effet, notre appréciation d’un plat ne dépend pas uniquement de la qualité des produits ou de la façon dont ils sont préparés. Les facteurs extérieurs ont tout autant d’impact sur la manière dont le cerveau, et le système nerveux central plus précisément, interprète le goût. Si le rôle des odeurs est connu, en revanche, celui des autres sens l’est nettement moins. Ainsi, en 2007, le chef britannique Heston Blumenthal expérimentait déjà la chose à sa table triplement étoilée, le Fat Duck, en proposant un plat de fruits de mer servi avec un bruit de ressac, grâce à un système MP3 caché dans un coquillage. Et les spécialistes observaient qu’une telle mise en scène pouvait amplifier le goût et créer une image mentale plus forte chez le client. Dans le sillage de ce précurseur, en 2014, le professeur et chercheur en marketing sensoriel à l’Université d’Oxford Charles Spence publiait avec d’autres confrères et consœurs une étude prouvant que la musique, par exemple, influençait notre perception. Les sons plus aigus font ainsi ressortir les notes sucrées tandis que les sons graves révèlent les notes amères. Chaque détail a son importance, de l’ambiance lumineuse de la pièce jusqu’au poids des couverts utilisés par les convives.

Ces constatations ouvrent le champ des possibles aux restaurateurs qui peuvent ainsi utiliser la science au service de leurs plats… et du marketing. Si aujourd’hui, ces expériences culinaires peuvent paraître exclusives, elles tendent à se démocratiser. Et d’aucuns imaginent déjà d’autres débouchés à la neurogastronomie, notamment pour épauler des patients souffrant de troubles alimentaires ou d’obésité, ou encore pour aider les enfants à développer leur goût. Une terre à encore explorer, et déguster.

Par Shirine Ghaemmaghami.

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