Une brochette de grands chefs venus du monde entier réunis dans trois cuisines bruxelloises pour un dîner extraordinaire
Pas moins de deux douzaines de chefs issus de quatre continents se sont retrouvés samedi dernier dans trois restaurants étoilés de Bruxelles (Bon-Bon, Bozar Restaurant et Le Chalet de la Forêt), le temps de trois dîners caritatifs au profit de l’oeuvre Isabelo – Feeding Hungy Minds créée en Afrique du Sud par la chef Margot Janse. Nous avons fait le déplacement pour assister, depuis les cuisines du Chalet de la Forêt, l’élaboration d’un de ces menus pluriels.
Tous les cuisiniers de la planète vous le diront : ils adorent se retrouver dans une cuisine entre têtes connues et moins connues et « sortir » un menu 10 services dans lequel chacun s’exprime selon le plat qu’il a choisi, de l’entrée au dessert. C’est ce qui s’est passé samedi dernier dans trois restaurants en vue de Bruxelles : Bon-Bon, chez Christophe Hardiquest, Bozar Brasserie, chez Karen Torosyan et Le Chalet de la Forêt, chez Pascal Devalkeneer.
Ces trois repas exceptionnels étaient organisés au profit de l’oeuvre caritative « Feeding Hungry Minds » (Nourrir des esprits affamés) créée par la chef d’origine hollandaise Margot Janse. (voir encadré ci-dessous)
Parmi les têtes étoilées les plus connues, on a pu remarquer chez Bon-Bon Alain Passard (L’Arpège – Paris) ou la Slovène Ana Ros (Hi¨a Franko à Kobarid), rendue célèbre par la série Netflix. A Bozar se sont retrouvés outre les locaux Karen Torosyan, Isabelle Arpin, Sang Hoon Degeimbre et David Martin, deux grands chefs parisiens que sont Pascal Barbot et Christophe Pelé et un chef autrichien, à savoir Heinz Reitbauer du restaurant Steirereck à Vienne, classé dans les dix meilleurs restaurants de la planète.
Le casting des chefs entourant Pascal Devalkeneer était tout aussi remarquable, voire plus hétéroclite encore. Par ordre de célébrité, on citera en premier lieu Mauro Colagreco (Mirazur, Menton) qui caracole dans le trio de tête du 50Best et qui vient de recevoir sa troisième étoile. Virgilio Martinez, un de cuisiniers les plus respectés d’Amérique latine (Central, Lima) occupe, lui, la cinquième place du 50Best mondial. Il était accompagné de son épouse Pia Léon qui a ouvert son propre restaurant voici quelques mois (Kjolle à Lima) et qui a été sacrée meilleure femme chef d’Amérique latine. Autre femme impressionnante, May Chow (Little Bao Hong Kong) est aussi meilleure femme chef de l’année, mais pour le 50Best Asie cette fois.
Margot Janse
Arrivée en Afrique du Sud au milieu des années 1990, La Hollandaise Margot Janse s’est d’abord fait un nom en reprenant les rênes du restaurant « Le Quartier Français » à Fransschhoek, un des épicentres du vignoble d’Afrique du Sud. Sensibilisée par la nutrition pitoyable des enfants les plus pauvres de la région du Cap, elle a mis sur pied Isabelo Feeding Hungry Minds en se fixant un objectif aussi clair que précis : apporter à manger chaque jour à 1500 de ces enfants. Les bénéfices des trois repas bruxellois seront d’un apport substantiel à ses caisses.
Un défi à 8 saveurs
Les menus proposés avaient tous le même fil rouge, une sorte de défi auquel les grands chefs qui voyagent sont souvent confrontés : il s’agissait d’utiliser 8 ingrédients différents, tous originaires d’Afrique australe, quasi totalement inconnus chez nous.
En effet, la graine de sorgho mise à part, qui a déjà entendu parler du sel sacré de Baleni, du Buchu, une plante médicinale réputée pour être un élixir d’éternelle jeunesse, des fruits du Baobab réduits en poudre ou du samp, un maïs blanc dont les grains sont séchés et cassés en morceaux de la taille d’un grain de riz pour être cuisinés de manière similaire.
Tous ces ingrédients ont été expédiés à l’avance aux chefs afin qu’ils puissent élaborer leur recette, celle-ci s’intégrant dans le flux de chacun des trois menus.
Au Chalet de la Forêt, C’est le Chilien Rodolfo Guzman (Boragó, Santiago) qui a ouvert le feu en confectionnant une sauce à partir de la poudre de baobab. Celle-ci agrémentait un plat entièrement végétal, à savoir des champignons cuits en papillote dans une algue qu’il avait amenée en direct du Chili. Joris Bijdendijk, du restaurant Rijks du Rijksmuseum avait opté pour le sel de Baleni. « En fait, j’ai demandé à mon éleveur d’esturgeons d’affiner le caviar avec ce sel d’une grande richesse minérale. Ce sel est mythique en Afrique du sud car il est élaboré exclusivement par les femmes d’une petite communauté à l’intérieur des terres. Leur travail qui a lieu en hiver consiste par diverses opérations de séparer ce sel du sable auquel il est mélangé. » Pour compléter les saveurs de son plat, Joris avait amené la seule sauce soja élaborée en Europe, en l’occurrence la Tomasu Soy Sauce de Rotterdam.
Virgilio Martinez a basé les saveurs de son plat sur un de ses thèmes préférés, à savoir les racines et les tubercules. Outre ceux-ci son plat proposait une langoustine marinée dans un bouillon de racines, lui-même aromatisé avec du thé Honeybush, qui donne une infusion de couleur rougeâtre et sans théine, à l’image du Rooibos bien plus connu et répandu.
L’Irlandais JP McMahon, est implanté à Galway avec 3 restaurants, dont Aniar son établissement étoilé et deux autres lieux plus informels, l’un de cuisine italienne, l’autre de tapas espagnoles. Il a marié ses coquilles saint-jacques à un bouillon infusé de la chair et des petites graines de la figue acide. Celle-ci n’a de figue que la ressemblance. Il s’agit en effet du fruit d’une plante grasse qui pousse dans la région du Cap, dont la partie externe est très astringente.
Pascal de Valkeneer, le maître des lieux avait choisi le samp, ce maïs blanc éclaté qu’il a travaillé dans une pâte à beignets pour accompagner une rare délicatesse à savoir des coeurs de canard gras grillés, le tout agrémenté de betterave rouge et d’une gourmande quenelle de foies de volaille et de foie gras.
Une découverte venue de Gand
Pour le second plat de viande, un travers de porc braisé, Mauro Colagreco avait opté pour le buchu, un ingrédient à découvrir tant sa puissance aromatique dans ses notes végétales est multiple. Utilisé en poudre, en infusion dans une huile et dans une sauce crémée il a véritablement boosté le porc et complété les notes de fraîcheur du yaourt, du gel de citron vert épicé et du cédrat légèrement confit qui complétaient ce plat. On notera au passage que les deux autres grands chefs français qui préparaient une viande dans les autres restaurants ont aussi choisi le buchu : Alain Passard pour accompagner une poularde et Pascal Barbot avec du canard.
Restaient trois desserts (en ce compris le fromage) venus de 3 continents. May Chow a utilisé les grains de sorgho pour donner du croquant à son dessert composé de lamelles de kaki au sommet de sa saveur et de tofu fermenté, un ingrédient typique de la cuisine chinoise bien que totalement méconnu chez nous. Le tofu sec inoculé à partir d’un champignon et placé dans une saumure saline développe des arômes lactiques qui font singulièrement penser au fromage.
Une des découvertes de cette soirée ne venait pas des antipodes mais bien de Gand. Débarqué de son Islande natale, Vilhjalmur Sigurdarson a d’abord fait ses classes dans deux restaurants mythiques : In de Wulf de Kobe Desramaults et Hertog Jan de Gert de Mangeleer. Il a récemment déménagé son restaurant Souvenir de Ypres pour s’installer à Gand, en gardant le même nom. Son dessert est à l’image de sa cuisine dédiée aux saisons ; il incorpore du topinambour à un caramel liquide et à un croustillant basé sur une des noix méconnues d’Afrique australe, celle du marula encore appelé arbre éléphant et cousin de l’anacardier qui nous offre les noix de cajou.
C’est Pia Léon qui venait conclure ce menu riche en découvertes gustatives et en styles de cuisine. Épouse de Virgilio Martinez, Pia a littéralement tenu le restaurant Central pendant que son mari faisait le tour du monde pour faire connaître les richesses culinaires du Pérou.
Pia a donc proposé un dessert à base de chirimoya frais, agrémenté de cacao et d’une infusion de honeybush.
Au moment où chacun range ses effets, où les commis font briller les cuivres et aciers inox de la cuisine, Pascal de Valkeneer tire un premier bilan. « Il se fait que je n’avais jamais travaillé avec aucun des chefs présents. Découvrir ainsi leur monde c’est du pur bonheur. Tout s’est déroulé de manière très fluide, sachant qu’il fallait servir plus de 600 assiettes sur la soirée, accompagnées d’une sélection de vins d’Afrique du Sud. Et puis ce genre d’expérience est inoubliable – et profitable – pour nos équipes.«
The World Restaurant Awards débarque !
Ce lundi soir 18 février, le monde de la gastronomie sera réuni à Paris à l’hôtel de ville. Six cents invités triés sur le volet sont attendus pour un événement qui entend devenir la cérémonie des Oscars de la gastronomie. L’objectif de cette manifestation : se présenter comme une alternative plus ludique et plus originale au 50Best, devenu une institution mondiale, à la fois décriée pour la partialité du classement et incontournable pour la publicité que celui-ci amène à un restaurant élu.
À cette occasion, 18 restaurants et chefs répartis dans 18 catégories différentes seront récompensés au cours d’une cérémonie orchestrée et télévisée par IMG, une multinationale de l’événement spécialisée entre autres dans les (gros) contrats pour top sportifs et mannequins. D’ici là à ce que ce star-system à outrance s’applique aux cuisiniers, il n’y a qu’un pas.
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