Viande à part: le retour de la charcuterie artisanale
Zéro déchet et durable, deux mots qui ne viennent pas forcément à l’esprit quand on parle cochonailles. Pourtant, à l’époque préindustrielle, c’était un moyen d’utiliser tout de l’animal et de le conserver plus longtemps. Pas étonnant donc que leur production traditionnelle reprenne aujourd’hui des couleurs. Zoom sur quatre initiatives qui vont dans ce sens.
Une initiative urbaine
La bonne charcuterie n’est pas uniquement une affaire d’établissement doté d’une longue tradition. C’est ce que des jeunes Bruxellois nous montrent avec le projet Saint-Octave, en nous proposant charcuterie et fromages artisanaux. L’institution a été créée il y a quelques années par Octave Laloux (30 ans), originaire de Namur: « Mes grands-parents et arrière-grands-parents étaient charcutiers dans les Ardennes, c’est de là que me vient la passion pour la viande », affirme-t-il.
Mes amis m’ont traité de fou, moi qui étais destiné à faire carrière dans les affaires et qui ai tout quitté pour ouvrir un petit magasin de 20 m2
Pourtant, sa vie avait d’abord pris une autre direction. Titulaire d’un diplôme en marketing, il occupait un beau poste dans l’industrie filmographique. Mais il l’a abandonné pour ouvrir une minuscule fromagerie et charcuterie dans le quartier des Marolles à Bruxelles: « J’ai toujours été anticonformiste, d’où le nom assez ironique de ma boutique. Mes amis m’ont traité de fou, moi qui étais destiné à faire carrière dans les affaires et qui ai tout quitté pour ouvrir un petit magasin de 20 m2. Mais je voulais d’abord voir si mon projet allait fonctionner sans prendre de trop gros risques financiers. »
La nouvelle s’est très vite répandue en ville: « J’avais sous-estimé le travail que j’allais devoir fournir. J’ai déjà dû parcourir 4500 kilomètres en France pour rencontrer quinze producteurs. Et je devais en même temps m’occuper de la boutique. Rencontrer les fournisseurs chez eux est une étape cruciale. Je veux que la charcuterie soit préparée de manière artisanale, mais aussi que la viande provienne d’élevages traditionnels. Il existe en effet de la charcuterie préparée avec les techniques d’antan, mais à partir de viande venant d’élevages industriels. C’est inacceptable. Et pour ne prendre aucun risque, je vais vérifier sur place. »
Il y a deux ans, Octave Laloux a pu reprendre une boucherie rétro des années 60 à Saint-Gilles, et ainsi ouvrir une deuxième adresse, plus grande. Il a récupéré un ancien fumoir et peut maintenant fumer sa viande lui-même. Le charme nostalgique des lieux a été conservé avec soin.
Pour mener à bien l’agrandissement, il s’est associé à un ami d’enfance, Tom Flon, également originaire de Namur: « Nous avons aussi embauché des employés, uniquement des jeunes passionnés par ce type de projet. Nous travaillons autour de trois mots clés: artisanal, local et durable. Nous proposons d’ailleurs beaucoup de charcuterie belge et les saucisses et jambons d’autres pays européens viennent toujours de petits producteurs. »
En mai, Saint-Octave s’agrandira encore en s’implantant à Uccle: « Finalement, ma formation en marketing m’est utile. Car même si la qualité est au rendez-vous, il faut s’assurer que les clients le sachent, et qu’ils ne l’oublient pas. » Sur les réseaux sociaux, Saint-Octave prouve que « traditionnel » ne rime pas avec « démodé ». Artisanal, jeune et branché: un mélange parfait au XXIe siècle.
1.0#saintchill 💆♂️saint_octavehttps://www.instagram.com/saint_octave2235587672282026552797619560_223558767Instagramhttps://www.instagram.comrich658Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Un circuit ultracourt
Dans les Ardennes, la charcuterie fait partie du patrimoine gourmand local. Notamment à Our, où officie le chef doublement étoilé Maxime Collard. Pour sa Table de Maxime et sa brasserie, le cuisinier collabore avec les meilleurs artisans, entre autres avec un boucher-charcutier de Pondrôme, à 25 kilomètres du restaurant. L’établissement s’appelle Boucherie de la Ferme et ce n’est pas un hasard: la viande porcine et bovine provient en effet de la ferme adjacente, et pour la viande d’agneau et la volaille, le propriétaire travaille avec une autre ferme locale adepte des mêmes principes d’élevage. L’enseigne a été fondée en 1992 lorsque Bertrand Léonard (41 ans) a décidé de ne plus utiliser les méthodes de vente classique pour la ferme familiale et d’opter pour une approche éthique et artisanale en vendant lui-même ses produits. « Nous voulons éviter l’engraissement forcé, insiste-t-il. Nous avons opté pour une alimentation végétale, un élevage naturel en libre parcours, et un traitement respectueux des animaux. Cela demande beaucoup d’argent et de temps. Et il nous faut attendre plus longtemps avant de pouvoir vendre la viande. Je dis toujours: « Notre circuit est court, mais notre élevage prend du temps. » Nos animaux ne sont pas stressés, et leur viande est plus tendre, plus juteuse et plus saine. »
Son épouse est responsable de la partie commerciale tandis qu’il découpe sa bidoche et la transforme en charcuterie dans son atelier, avec ses collaborateurs: « Notre viande ne se retrouve jamais dans une entreprise externe. Nous faisons tout nous-mêmes: désosser, découper, saler, sécher, cuire et fumer. » Et cette nouvelle approche porte ses fruits: « Nos clients viennent de plus loin que nous ne l’aurions imaginé. Les gens cherchent des produits dignes de confiance, c’est évident. » La Boucherie de la Ferme dispose maintenant d’une boutique en ligne pour les commandes et d’un service de livraison à domicile: un charcutier traditionnel qui sait s’adapter à l’ère numérique.
Une production limitée
A Beersel, au sud de Bruxelles, se trouve depuis 1873 la ferme Hoeve Cuvry. Ici, la chaîne entre le producteur et le consommateur est des plus restreintes. Jean-Pierre (68 ans) et Josseline Cuvry élèvent leurs propres cochons, en font de la charcuterie et la vendent dans la boutique adjacente à leur ferme. « Dès leur naissance, nos cochons sont nourris sans OGM, précise le propriétaire. Nous n’utilisons pas d’antibiotiques, d’hormones de croissance, ni de graisses animales. Nous établissons des menus équilibrés à base de blé, d’orge, de maïs, d’avoine et de levure de bière que nous enrichissons de pulpe, de soja, de vitamines et de minéraux. » Cette viande de porc saine est alors utilisée pour fabriquer du boudin noir, des boulettes, du saucisson, du pâté, de la tête pressée, des rillettes, du saucisson au jambon et du cochon braisé. « Nous ne jetons rien, poursuit notre interlocuteur. Et chez nous, il y a toujours de la viande dans nos charcuteries, et pas de l’eau comme dans le jambon industriel. Sans parler d’autres ajouts, car les produits fabriqués en usine peuvent être pleins de mauvaises surprises. Nous devons souvent expliquer pourquoi notre jambon est grisâtre: c’est parce qu’il ne contient pas de nitrites toxiques. »
Nous devons expliquer pourquoi notre jambon est grisâtre: c’est parce qu’il ne contient pas de nitrites toxiques.
Dans les années 70, Jean-Pierre s’est lancé dans l’élevage porcin, avec 120 truies: « Il y avait de plus en plus de têtes, et mon élevage s’est agrandi. Mais nous avons eu des problèmes avec la farine que nous utilisions pour nourrir les animaux. Nous avons eu l’idée de produire notre propre fourrage. Ce n’était pas un choix évident, l’investissement était colossal. En 2000, ça s’est compliqué avec les prix et comme nous chouchoutons nos bêtes, nous n’arrivions plus à couvrir nos frais. Nous avons donc décidé d’ouvrir notre propre magasin. Et nous limitions le nombre de porcs pour être à l’équilibre avec ce que nous vendions. » Aujourd’hui, même les restaurants se disputent leurs produits: « Les gens nous disent qu’ils ont redécouvert le vrai goût de la charcuterie. Le passage à un élevage sain nous a sauvés. Si nous avions continué à travailler comme avant, les différents scandales alimentaires auraient eu notre peau. »
Dans la boutique, on trouve aujourd’hui des produits laitiers, de la viande bovine, de la volaille, du jus de fruits, des légumes, du pain et d’autres produits artisanaux et locaux. Les enfants des propriétaires, Evelyne et David, travaillent avec leurs parents et sont prêts à prendre la relève.
La quatrième génération
« L’industrie de la viande a mauvaise presse, explique Johan Noyen, membre de la quatrième génération de l’entreprise familiale Noyen. Depuis les nombreux scandales, la méfiance règne, surtout envers la viande transformée comme la charcuterie. Parce que le respect des animaux et des traditions se perd. »
A 59 ans, l’homme a donc décidé de redresser la barre de son affaire et de choisir une approche traditionnelle pour produire ses charcuteries. Un véritable retour aux sources: « En 1914, mon grand-père, Julien Noyen, fils de fermier originaire d’Alveringem, a commencé à travailler dans un abattoir à Gand. Après la Première Guerre mondiale, il y a repris une boucherie, la Boucherie du Nord, qui a très vite acquis une bonne réputation. A l’époque, mon grand-père disait que la qualité de la charcuterie dépendait de celle du cochon. » Le clan a ensuite vu son secteur de prédilection s’industrialiser et s’agrandir. Les petites entreprises avaient de plus en plus de mal à suivre…
Pouvoir partager notre passion avec les gens, sans intermédiaire, est une expérience très riche.
Retour de manivelle aujourd’hui: face aux préoccupations environnementales, la clientèle revient à une consommation plus raisonnée et l’artisanat revient sur le devant de la scène. Ce qu’a bien compris Johan Noyen. « Nous ne travaillons aujourd’hui qu’avec des petits commerçants établis dans un rayon de 75 km autour de notre atelier, pour que le circuit reste le plus court possible. Nos cochons sont élevés par Mieke et Luc Verniest (ferme Zwalmbeek), deux agriculteurs travaillant avec amour et respect. Les animaux naissent chez eux et y restent toute leur vie. De plus, Mieke et Luc cultivent le maïs et le blé nécessaires à l’élevage eux-mêmes. J’estime que cela couvre 25% de notre production, et j’aimerais augmenter ce chiffre au cours des prochaines années. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Les consommateurs doivent aussi être prêts à mettre le prix pour des produits de qualité. » Une entreprise traditionnelle doit néanmoins faire avec son temps: « Nous avons notre propre foodtruck, pour vendre nos charcuteries durant divers événements. Nous ne fournissons normalement que les commerçants, mais pouvoir partager notre passion avec les gens, sans intermédiaire, est une expérience très riche. »
Il y a deux ans, l’entreprise a ouvert un nouvel atelier, plus grand, à Sleidinge. Il a été baptisé Boucherie du Nord, et ce n’est pas un hasard puisque c’était le nom de la boucherie du grand-père de Johan. « La boucle est bouclée », ajoute celui-ci.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici