2020, annus horribilis? Reste à voir ce que nous réserve 2021…

Le discours du 24 novembre 1992 de la reine Elizabeth II marque l'apparition dans le langage courant du terme "annus horribilis". © Pool Photograph/Corbis/Corbis via Getty Images
Mathieu Nguyen

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

On le voyait venir de loin, et ça n’a pas raté: rarement les éditorialistes, chroniqueurs/ses et autres commentateurs/trices n’auront aussi gaillardement dégainé la locution « annus horribilis » qu’à l’occasion de la mise en bière de cette fichue année 2020. Au vu du pourcentage de gens ayant vécu une dizaine de mois plutôt pourris dernièrement, l’adhésion populaire semblait acquise et le risque calculé. Reste juste à voir si 2021 ne nous réserve pas un lot de calamités encore plus gratinées, auquel cas nos collègues plumitifs, forcés de surenchérir, regretteront peut-être d’avoir succombé à cette petite facilité. Qui pourrait leur en vouloir? L’année écoulée fut horrible sous bien des aspects, et il n’y a pas de mal à saupoudrer ses écrits d’un peu de latin, c’est une manière finalement assez smart de leur donner un côté « des siècles vous contemplent ».

Saupoudrer ses u0026#xE9;crits d’un peu de latin, c’est une maniu0026#xE8;re finalement assez smart de leur donner un cu0026#xF4;tu0026#xE9; u0022des siu0026#xE8;cles vous contemplentu0022.

Pourtant, l’apparition de cette expression dans le langage courant est nettement moins ancienne qu’on pourrait le croire, puisqu’elle remonte à un passé assez récent, il y a un peu moins de trente ans. En ce 24 novembre 1992, la reine Elizabeth II était censée prononcer un discours marquant son jubilé de rubis, soit le quarantième anniversaire de son règne. Et alors que l’on s’attend à une cérémonie certes convenue mais plutôt gaie, sa Majesté semble un brin moins « happy and glorious » que prévu, et pas seulement à cause de sa robe d’un vert étrangement foncé. Dès la deuxième phrase de son discours, la punchline claque, ponctuée de rires polis: 1992 a été pour elle une « annus horribilis ». Qu’est-ce qui a bien pu tourmenter à ce point cette chère Lilibeth? Facile: à la fois l’incendie du château de Windsor, à peine quelques jours plus tôt, et des révélations en série sur les tribulations conjugales de sa petite famille – on ne rappellera pas quoi ou qui pour ne pas spoiler la saison 5 de The Crown, mais pas besoin d’avoir vu la série pour savoir que le Palais n’a qu’un goût très modéré pour ce genre de fantaisie.

Cette expression, désormais célèbre, est en fait l’adaptation du titre d’un poème de l’auteur britannique John Dryden, Annus Mirabilis, et dédié à la période 1665-1666. Si cette date capte immédiatement l’attention des pyromanes et des satanistes, c’est pour deux bonnes raisons: c’est à ce moment que survinrent la Grande peste et le Grand incendie de Londres, désagréments qui réduisirent en cendres 20% de la population londonienne et 80% de sa City. Pas de quoi pavoiser, a priori, même si l’on comprend qu’à ce niveau-là de poisse, on en viendrait aussi à célébrer à grands cris notre seule survie. Enfin, si l’on ne connaît pas suffisamment la bio de ce monsieur Dryden pour déterminer s’il était médaille d’or d’optimisme ou de déni, on ne manque pas de s’interroger sur la fascinante opposition existant entre le fait d’affronter la peste bubonique et celui de déplorer quelques coucheries. Que l’on soit puissant ou misérable, la vie n’est décidément qu’une question de point de vue. On se contentera donc de conclure que le poète anglais était simplement en avance sur son temps, avec son ode à la résilience, pas moins de quatre siècles avant que le terme ne fasse florès dans les rayons bien-être des librairies. Puissent les 340 jours à venir nous donner des raisons de partager son euphorie.

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