Hommage au peintre Jean Glibert, l’homme qui mettait l’architecture en couleurs
Difficile de décrire vraiment le job de ce Bruxellois, connu pour avoir » mis en couleurs » – mais pas au sens où on l’entend usuellement – plus de 200 projets belges. Un peintre en bâtiment, donc, mais aussi et surtout un créateur atypique: retour sur le parcours de Jean Glibert, qui nous a quittés ce 20 janvier 2024, et que nous avions eu le plaisir de rencontrer en 2017, en amont de son expo à Bozar.
Son monde est peuplé des couleurs qu’il a mises en espaces, au fil des décennies, dans divers projets d’architecture. Pourtant, lorsque Jean Glibert nous reçoit en 2017, dans son atelier du quartier Dansaert, c’est tout de noir vêtu, dans une pièce immaculée, presque vide si ce n’est quelques étagères, devant un MacBook blanc qu’il ne touchera pas – il n’a jamais adhéré à l’informatique ; il préfère continuer son chemin de ses mains. Petites lunettes sur le nez, le quasi-octogénaire pose ses règles, ce long entretien ne sera pas enregistré. Nous voilà pendus au fil de son récit morcelé, avec digressions et sauts dans le temps, pour mieux comprendre son métier inclassable, lui que Bozar a surnommé « peintre en bâtiment », en titre de l’expo qui lui sera dédiée prochainement (*), mais qui commença sa carrière en tant « qu’artiste peintre », comme il le souligne d’entrée de jeu.
C’est en effet dans les années 50 que le Bruxellois trouve sa voie, en s’inscrivant à La Cambre pour étudier les arts visuels.
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« Cette école fut fondée dans l’esprit du Bauhaus, qui encourageait artistes, architectes et corps de métiers à oeuvrer ensemble dans une vision pluridisciplinaire de la création, rappelle notre interlocuteur. On était 270 pour 20 ateliers et on se connaissait tous. Je n’avais pas de cours lié à la construction mais je baignais quand même dedans. » Le jeune homme fait ainsi ses premier pas dans le grand champ de la culture. « J’avais vu quelques expos avec mes parents mais je ne me rendais pas compte de ce qui existait ailleurs. A l’époque, en Belgique, on ne parlait par exemple pas des Américains. La première fois que j’ai vu un Barnett Newman, je n’en revenais pas », se souvient-il.
De fil en aiguille, l’élève s’oriente vers l’art mural et préfère coucher ses dessins sur briques ou panneau plutôt que sur toile. Il commence ainsi à peindre certaines parois de l’abbaye de La Cambre. Une fois diplômé, il rejoint les décorateurs de la BRT/RTB pour mettre en forme les plateaux télé de ce qui était encore notre chaîne nationale.
Quand le choix de ton facilite la compréhension
« Tout se faisait en noir et blanc et nous avons commencé à introduire la couleur. C’était un apprentissage car une teinte projetée est différente d’une teinte pigment », raconte celui qui peu à peu va s’intéresser à l’architecture. « J’avais cette intuition de vouloir agir non pas pour des constructions privées mais pour le plus grand nombre. Pour moi, dans un hôpital par exemple, les tons choisis jouent un rôle important dans la compréhension des volumes et des atmosphères. On pourra imaginer un couloir aux nuances chahutées car les gens ne font qu’y passer. Par contre, il faudra quelque chose de plus reposant si les occupants sont amenés à rester huit heures devant la même cloison », illustre-t-il. Lorsque le métro bruxellois prendra de l’ampleur, Jean Glibert tentera sa chance et finira par décorer la station Mérode.
En parallèle, l’atypique peintre devient professeur à La Cambre.
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« L’atelier Vitrail devait être remplacé. Mais moi, cela ne me plaisait pas de faire des bondieuseries, se souvient-il. Le cours est devenu « Espace, lumière, couleurs ». C’était une période très enrichissante ; il y avait une vraie collaboration entre nous et les étudiants. » Côté projets, le concepteur multipliera les partenariats avec les bureaux d’architecture et participera avec eux à de nombreux concours et appels d’offre, concrétisant ainsi son idéal, inspiré du Bauhaus, de travail pluridisciplinaire… Il compte aujourd’hui à son actif plus de 200 réalisations, du pont de la gare du Midi à Bruxelles à des auditoires à Liège ou des immeubles dans le quartier européen. Et toutes les échelles le passionnent.
Jean Glibert, d’apprenti plafonneur à artiste confirmé
A quelques semaines de l’inauguration de l’expo, Jean Glibert, aidé de son équipe et de trois commissaires, est au four et au moulin. Alors que son monologue s’achève, il tient à nous montrer ses collections de portemines, plumes… » J’ai eu ma période brocantes « , dit-il. Changement radical de décor : dans cette autre pièce de l’atelier, les murs et étagères sont surchargés. Ici, des lattes Ikea et des équerres en plastique qui pendent ; là, des CD et des catadioptres, » pour étudier les surfaces réfléchissantes » ; et partout des dessins, photos… » Je n’ai jamais eu d’ordre, avoue-t-il comme pour contredire notre impression initiale, dans cette cellule toute blanche. Je ne considérais pas que mon travail doive être archivé. Je gardais tout dans des sacs et de vieilles valises. » On imagine le boulot titanesque que fut la préparation de l’événement de Bozar, initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de sa Cellule Architecture – une reconnaissance pour cet artiste devenu concepteur d’espaces. » Ce ne sera pas une rétro, même si certaines parties s’y apparentent. Il y aura aussi des interventions réalisées sur place « , annonce-t-il. On pourra peut-être également y voir l’une de ses peintures car l’homme est revenu à ses premières amours : » Mais pas sur des toiles. Je travaille sur un simple papier, avec les couleurs utilisées pour mes bâtiments et un couteau de plafonneur. » Inclassable est le mot juste.
Retour sur quelques unes de ses oeuvres emblématiques
(*) Jean Glibert, peintre en bâtiment, Bozar, à 1000 Bruxelles.
Du 27 octobre au 7 janvier prochain.
L’immeuble Belmont Court, à Bruxelles
« Pour cet îlot fermé du quartier européen, réhabilité pour Axa par les Architectes Associés, nous devions remplacer les châssis et avons imaginé ce jeu avec des verres colorés. La séquence n’est pas aléatoire, elle suit une logique mathématique qui n’apparaît pas au premier coup d’oeil. De ce fait, ce n’est pas lassant.
A l’intérieur, la lumière qui passe dans les vitrages génère des reflets variés qui, en se superposant, créent d’autres teintes. C’est un non-sens pour moi de dire qu’on aime le bleu ou le rouge.
En réalité, on ne voit jamais une couleur seule, mais par rapport à celles qui la jouxtent. C’est du contraste que découle l’ambiance dans un espace. »
L’école Notre-Dame, à Charleroi
« Je suis en train de travailler sous le ring de Charleroi, pour transformer par la couleur cet espace à la base peu accueillant, dans le même esprit que mon intervention, à Bruxelles, sous le pont de la gare du Midi, peint en rouge.
Récemment, j’ai aussi décoré la façade de l’école Notre-Dame (NDLR : dans le cadre de la troisième édition d’Art Public, qui se tient à Charleroi, jusqu’au 5 novembre prochain, et propose 15 oeuvres d’artistes intégrées dans le tissu urbain)… C’est intéressant de voir ce que l’on peut faire d’un tel lieu hybride. »
Le poste électrique Pouplin, à Liège
« J’ai réalisé ce projet avec Daniel Dethier. Il s’agit de trois petites centrales en béton et nous avons modelé les volumes et placés des spots jaunes invisibles afin de créer un effet plastique intéressant.
C’est vraiment un travail d’équipe qui aboutit à une architecture. Ce n’est pas un bâtiment sur lequel on vient coller ensuite du Glibert.
Les gens qui passent là ne savent probablement pas que je suis intervenu, et j’en suis très content. »
L’amphithéâtre Opéra de l’Université de Liège
« Ce projet de Dethier Architecture consistait à transformer l’ancien cinéma Opéra en amphithéâtres. Nous avons noyé les salles de cours dans un gris foncé et intégré une zone rouge que l’on retrouve en partie dans chaque pièce.
Le grand défi a été de trouver des matériaux d’une même teinte, que ce soit pour le plafond, les murs ou les sièges.
Au cours de mes recherches, j’ai pris conscience que les matériaux aussi pouvaient apporter de la couleur, et qu’il fallait les utiliser avec beaucoup de justesse. Il est toujours possible de faire plus avec des moyens limités, il suffit de les mettre intelligemment en oeuvre. »
La station Mérode, à Bruxelles
» J’avais vu les plans des métros de Paris et Londres. Lorsque celui de Bruxelles s’est développé, j’ai pris rendez-vous à la STIB pour leur proposer mon idée de mettre en place un système de reconnaissance par la couleur.
Au départ, ils ne voyaient pas où je voulais en venir… Mais finalement, j’ai pu intervenir dans la station Mérode. J’ai utilisé un carrelage bon marché 15X15 et imaginé une suite logique pour cette céramique murale.
Il n’y avait pas d’ordinateur et on a tout dessiné à la main. J’ai fait des caisses de 25 carreaux chacune, pour que les ouvriers ne se trompent pas sur chantier. Plus tard, la fresque a dû être détruite, mais j’en ai refait une plus petite. »
Le Centre de la céramique Keramis, à La Louvière
» Je voulais évoquer le monde de la faïencerie au travers du travail des façades. Nous nous sommes inspirés du motif d’un vrai camouflage que nous avons étiré en longueur et en hauteur pour épouser les courbes du bâtiment. Je trouve mes inspirations partout et je garde dans mon atelier quantité d’échantillons de matériaux et d’images qui pourraient être utilisés un jour. »
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