Les clés pour rendre les citadins heureux

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Nos villes influencent notre humeur. Elles peuvent nous rendre heureux autant que nerveux et déprimés. Alors que le bonheur revient au coeur des préoccupations, les experts se penchent sur notre environnement de vie et ses conséquences.

En septembre, l’un des grands axes de Gand s’est transformé en terrain de jeu pour enfants, DJs, promeneurs, et amateurs de yoga. Les voitures avaient laissé leur place aux food-trucks et autres aubettes.

Quel effet votre ville a-t-elle sur vous ? Comment vous sentez-vous lorsque vous vous baladez dans ses rues ? Entre ses gratte-ciels ? Ses quartiers aux maisons identiques ? Ses bâtiments à l’architecture audacieuse ? Que pensez-vous de ces rues que vous arpentez à vélo, bruyantes et (mal)odorantes, mais toujours animées ? En résumé, quelle influence votre environnement a-t-il sur vos émotions et votre santé mentale ?

Dans certaines métropoles du monde, les voitures sont bannies chaque dimanche. C’est le cas à São Paulo et à Bogota, par exemple. Serait-ce concevable ici aussi ?

Suite à ces interrogations, les objectifs des architectes, designers et urbanistes sont devenus un peu plus complexes cette dernière décennie. Cependant, à l’échelle mondiale, le sujet n’est pas encore assez pris en compte, même si tout le monde est d’accord sur un point : les villes ont un impact sur nos ressentis. Elles peuvent nous rendre nerveux et anxieux, mais aussi nous stimuler et nous motiver. Le défi pour les villes de demain ? Contribuer au bonheur du plus large panel de profils possible, grâce à l’urbanisme, à l’architecture et aux espaces publics.

Stress’o’mètre dans le rouge

Cela fait quelques années que les formes d’habitats sont le sujet de nombreuses analyses et discussions dans le monde scientifique. Des groupes d’étude comme Healing Places et Central for Urban Health mais également des festivals urbains comme Make the City Better à Amsterdam et Let’s Gro à Groningen rassemblent des dizaines d’experts venus comparer leurs points de vues et leurs théories. Alfred Kazemier est l’un des organisateurs de Let’s Gro, qui en est aujourd’hui à sa septième édition : « Au départ, nous avons pensé ce festival comme un comprimé effervescent contre l’acidité. Nous assistions à une crise, et tout le monde était aigri et négatif. Nous cherchions donc un peu de positivité et d’énergie. Mais vu le nombre de réactions et d’idées qui en ont découlé, nous nous sommes rendus compte qu’il fallait que cela devienne un rendez-vous tradition annuel. Let’s Gro est en fait un reflet de la ville, de ses qualités et ses défauts, et se remettre ainsi en question est fondamental. »

« De quelle manière notre ville vous rend-t-elle heureux ? » Voici la question que la ville de Groningen a posée à ses citoyens. Le futur parc Meerstad revient régulièrement dans les réponses.© DR

De plus, certains experts cherchent aujourd’hui à montrer scientifiquement les effets de notre environnement sur notre humeur. Par exemple, environ 350 Gantois se promènent pour l’instant munis d’un petit appareil mesurant leur rythme cardiaque, leur tension artérielle et autres réactions physiques. Le but ? Savoir quand leur stress augmente, quels lieux l’influencent positivement et négativement, et quelles sont les conclusions que les professionnels des soins de santé, mais également les architectes, peuvent tirer de cette expérience. Selon la futurologue Catherine Van Holder : « La santé a longtemps été associée à un bien-être physique, mais aujourd’hui, cela va beaucoup plus loin et l’équilibre mental, émotionnel et même holistique entre en jeu. L’argent et la prospérité ne font plus tout, et le PIB n’est plus vu comme la donnée fondamentale pour évaluer le bon fonctionnement d’une société. »

Bonheur inattendu

Quels sont les ingrédients pour devenir un citadin heureux ? Selon le groupe de réflexion Center for Urban and Mental Health, – composé d’architectes, de designers, d’ingénieurs, de sociologues, de neuroscientifiques et des psychologues venus des quatre coins du monde -, il existe – et ce n’est pas si surprenant – un lien entre les espaces verts et notre bien-être mental. Dans la liste des éléments favorables à notre épanouissement, on retrouve également la variété architecturale, l’effervescence visuelle ainsi que le calme et la possibilité de se retrouver et de passer du temps ensemble. « Et jouer sur l’inattendu », ajoute Peter Vanden Abeele, le maître-architecte de Gand, « Le calme et l’homogénéité sont des facteurs utiles et même nécessaires, mais si vous voulez que vos concitoyens aient vraiment le sourire, il faut les surprendre, créer quelque chose d’atypique. Organiser un jour sans voitures sur la B401, la bretelle qui relie la voie rapide au centre de Gand, était un défi réussi ! Et ça nous fait réfléchir : dans certaines métropoles du monde, les voitures sont bannies chaque dimanche. C’est le cas à São Paulo et à Bogota, par exemple. Serait-ce concevable ici aussi ? » Le spécialiste continue en nous parlant d’un autre beau projet, l’installation artistique de l’Atelier Bow Wow pendant la triennale d’art contemporain à Bruges en 2015 : « Tout ce qui se passe dans le ‘Triangle d’Or’ de la ville est pris d’assaut par les touristes. L’oeuvre de Bow Wow est une sorte de critique de cette situation, mais elle n’a pas reçu l’attention qu’elle méritait. C’est dommage, car elle a permis de réconcilier les jeunes avec leur centre-ville et est devenue un espace public sympa et très apprécié. »

Une oeuvre d'art qui devient un espace public : cette installation par l'Atelier Bow Wow à Bruges a réconcilié les jeunes avec le centre historique.
Une oeuvre d’art qui devient un espace public : cette installation par l’Atelier Bow Wow à Bruges a réconcilié les jeunes avec le centre historique. © DR

La ville de Groningen, au nord des Pays-Bas, a directement posé la question à ses habitants : comment la ville vous rend-t-elle heureux ? Les réponses tournaient souvent autour des espaces de rencontre et de détente, du sentiment de sécurité, de la qualité de l’air… Mais on remarque aussi que le futur parc Meerstad revient souvent dans les réponses. Ce projet de dix hectares a été développé en collaboration avec un artiste visuel. Toutefois, la superficie ne compte pas plus que cela, selon Catherine Van Holder : « Les Copenhagen Islands sont des îlots flottants de 20 m², en bois, accueillant chacun un tilleul. Pour l’instant, il n’en existe qu’un prototype, mais l’objectif est de laisser naviguer neuf îles dans le port. Celles-ci deviendront alors une sorte de lieu de repos pour les kayakistes, les nageurs, les amoureux du bain de soleil et tous les autres. Ils redonneront de la vie au port et le rendront plus démocratique. Quand l’espace public s’installe à des endroits inattendus, c’est là que ça plaît ! »

Toujours à l'état de prototype, ce projet d'îles artificielles dans le port de Copenhague devrait bientôt voir le jour.
Toujours à l’état de prototype, ce projet d’îles artificielles dans le port de Copenhague devrait bientôt voir le jour.© DR

Passer du temps ensemble

Peter Vanden Abeele nous explique également que « ce qui rend les gens heureux, c’est d’avoir le sentiment de pouvoir participer à la vie de la ville. Pas uniquement en donnant leur avis, mais également en disposant d’endroits où créer et être pris au sérieux. Cela va plus loin que le club de bricolage entre amis. Je vois souvent des initiatives super dynamiques et fortes. Et en tant que municipalité, il faut les soutenir. A Gand, je peux par exemple citer De Pastory : en 2015, des habitants d’un même quartier se sont associés pour préserver l’ancien presbytère. Le bâtiment et les jardins ont été entièrement rénovés et accueillent aujourd’hui de nombreux évènements, des fêtes, des spectacles, mais également un jour de coworking hebdomadaire et une garderie d’enfant. »

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Dans le jardin de Dé Pastory, presbytère sauvé et réaffecté par la population locale.

D’après Alfred Kazemier, Let’s Gro partage la même philosophie : « En fait, nous ouvrons juste la porte à la créativité, et nous laissons les citoyens s’exprimer. Ainsi, une ancienne sucrerie connaît un second souffle en se transformant en boîte de nuit, hôtel et espace pour start-ups. Installer une garderie dans des containers ? Mais oui ! En plus du festival, nous organisons deux fois par an des élections en ligne, pour permettre aux citoyens de choisir entre différents architectes et designers renommés, pour des projets architecturaux concrets qui verront le jour dans leur quartier. La décision repose donc entièrement entre les mains des habitants et cela fait peur aux entreprises. Mais ça fonctionne et c’est très amusant ! L’an prochain, nous ferons d’une station essence désaffectée un lieu de verdure, en nous voulons intégrer le plus possible nos concitoyens dans l’aventure. »

Nouvelle vie pour cet ancien presbytère gantois grâce à l'enthousiasme du quartier.
Nouvelle vie pour cet ancien presbytère gantois grâce à l’enthousiasme du quartier. © DR

Respirer

Nous ne nous rendons pas souvent compte de l’impact que de petites choses peuvent avoir sur notre humeur et notre comportement. Juste quelques bancs permettent de créer des liens entre les habitants, d’éviter la solitude et l’isolement. Un potager urbain devient un lieu de détente où souffler un peu, surtout quand on n’a qu’un balcon pour jardiner. Une plaine de jeux devient un terrain d’aventure pour les enfants qui n’ont pas de jardin où courir et s’amuser en plein air. Et avec un nouveau skate-park, fini l’ennui. Selon Peter Vanden Abeele : « Le Flamand type n’aime pas vraiment la ville : une maison avec jardin et une voiture garée dans l’allée semblent être le rêve de beaucoup. Peut-être est-ce simplement dû au fait qu’il pense que c’est là la norme. Et oui, de fait, la densité démographique est élevée dans les métropoles, et quand la proximité augmente de trop, on a l’impression de perdre quelque chose. A Gand, nous avons trouvé une chouette solution : quand la pression est trop forte, il faut prendre le temps de respirer et nous avons créé de nombreux espaces publics où il fait bon prendre son temps. Verdure, espace, installations adéquates, tout invite à passer un bon moment… et à se laisser surprendre. Plus l’offre sera grande, moins les Belges auront envie de rester tous seuls dans leur jardin. »

Par Klaar Wauters

Catherine Van Holder (°1979)

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A vécu un an comme Digital Nomad en 2010.

Etait membre du groupe de réflexion Copenhagen Institute for Futures Studies

Est futurologue chez Pantopicon et travaille entre autres sur des projets pour le MAS et la ville d’Anvers.

Donne fréquemment des conférences et des cours en tant qu’invitée.

Alfred Kazemier (°1968)

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Est directeur de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire à Groningen.

Organise Let’s Gro chaque printemps.

Est spécialisé dans la participation citoyenne

Peter Vanden Abeele (°1979)

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Est ingénieur-architecte et urbaniste reconnu.

Donne depuis 2005 des cours dans différentes universités et hautes écoles.

Etait le maître architecte de Gand en 2017.

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