Nicolas Schuybroek, architecte de la boutique Aesop à Lyon: « C’est extrêmement complexe de concevoir quelque chose de simple »
Nicolas Schuybroek est l’un des architectes belges les plus talentueux, son travail empreint de rigueur rend grâce aux justes proportions. Il signe la toute nouvelle boutique Aesop à Lyon. « Peu de marques peuvent se targuer d’avoir un tel niveau de maîtrise d’un univers et d’avoir réussi à le faire avec autant de consistance et de cohérence au fil des années », dit-il. Interview.
Vous signez une boutique en symbiose avec la ville…
Nicolas Schuybroek: La localisation est dingue, sur un angle de la Place de la République à Lyon qui reste l’une des plus belles places en France, avec cette architecture assez homogène, néo-classique, faite de moments de respirations, de succession de places et de points d’eau, quelque chose de très agréable et aéré.
On a combiné cela avec un lieu brut, avec de fenêtres qui permettent la connexion avec l’espace public, l’espace urbain et la lumière naturelle, ce jeu de perspectives naturelles entre l’intérieur et l’extérieur n’existe que rarement dans les boutiques Aesop, en tout cas pas à ce point-là. Elle était brute, comme si elle avait été épurée, avec de la mousse ignifuge sur le plafond, une chape au sol et de gros murs de bétons irréguliers.
On a travaillé sur cette base, on a gardé cette boîte un peu grotte, brute, entièrement refloquée et on est venu insérer un sorte de paravent de 2, 70 mètres de hauteur, entièrement réalisé en feutre recyclé qui vient emballer le projet. Une série de structures indépendantes évoquent les nombreuses fontaines de Lyon – des comptoirs en bois et un grand lavabo central habillé d’étain, matière typique de la ville, les derniers grands fabricants d’étain se trouvent à Lyon. On a réussi à construire un espace où les éléments se juxtaposent avec des changements de textures très minimal, très dessiné mais très chaud malgré tout. Avec un énorme respect du détail…
Le souci du détail, c’est votre marques de fabrique…
J’ai toujours cette obsessions pour les proportions, le rapport de forces entre certaines lignes qui doit créer quelque chose de très dessiné, minimal et la façon dont les matériaux vont entrer dans ce dessin mais évidemment sans détail soigné, léché, très minimal, cela ne marche pas.
« Je dirige mon attention du plus grand au plus petit», dites-vous. C’est votre manière de penser ?
Un peu par la force de choses, à la base, je suis architecte, pas architecte d’intérieur. On part toujours d’un contexte plus global et d’une échelle plus grande qui vient influencer étape par étape les plus petits éléments. Cela dit, il arrive à un moment donné qu’on arrête ce processus, qu’on reparte de quelque chose de plus petit vers quelque chose de plus grand mais la façon de travailler reste très architecturale et contextuelle.
Vous souvenez-vous de votre première émotion architecturale ?
J’avais 12 ans, j’ai visité l’abbaye de Sénanque, c’était l’été, avec ses champs de lavande en fleur, il y avait cette perception d’un calme et d’un minimalisme forcément assez patiné, très chaleureux qui émanait de ces pierres… C’était vraiment quelque chose de fabuleux comme expérience. Mais est-ce ce type de première émotion qui a ensuite influencé mon parcours ? Pas directement. C’était plutôt l’influence assez forte de l’architecture contemporaine en vigueur.
Vous êtes plutôt Le Corbusier ou plutôt Charlotte Perriand ?
C’est comme choisir entre papa et maman ! Mais j’irais plutôt vers Perriand parce qu’il y a un regard plus organique, féminin, moins radical, moins castrateur peut être que celui que Le Corbusier portait sur l’architecture et sur le mobilier en général, c’est une personne certainement tout aussi talentueuse, probablement plus humaine et généreuse que Le Corbusier mais soyons honnête, il a réalisé des choses exceptionnelles, qui ont encore une influence un siècle après… Mais heureusement aussi qu’un certain nombre de ses projets ne se sont jamais réalisés.
Vous figurez dans liste « AD100 Les créateurs de l’année » dévoilée début décembre. Mais en réalité, depuis 2013, vous en faites régulièrement partie. Quel sentiment ?
Cela fait toujours extrêmement plaisir de voir son travail reconnu, on ne va pas se mentir. Il importe que nos projets soient publiés dans des magazines parce que c’est la seule façon de les faire connaitre car majoritairement il s’agit de projets privés qui ne se visitent pas. Ce genre d’appréciation et de regard de la part de la presse permet d’être sur un piédestal, et c’est très agréable.
Quels sont vos projets du moment ?
Il y a une assez grande variété de projets en construction aujourd’hui, quelques-uns s’achèvent, d’autres sont dans des phases de stand-by, une maison en béton à Bali et un projet d’architecture invisible à Dubaï, une extension d’une maison privée entièrement construite sous le sable, un projet qui sort totalement de l’ordinaire. En Belgique, on a trois projets résidentiels neufs, un projet très particulier d’un restaurant en dehors de Bruxelles et un très grand domaine de chasse dans les Ardennes qui devrait rentrer en construction l’été prochain. Et dans un mois, on termine la rénovation de l’ancienne maison du marchand d’art Larry Gagosian à New York pour un collectionneur et puis on fait un projet de scénographie pour Aesop à milan en avril avril prochain pour le Salone del mobile.
Vous aimez la danse pour ce qu’elle offre de puissance visuelle avec peu de moyens. Serait-ce la définition de votre travail ?
Oui mais il y a un mais ! Parce que le peu de moyens, c’est une arme à double tranchant. On dit souvent sous forme de boutade que notre travail pourrait s’apparenter à de la simplicité apparente, alors que la mise en place au niveau du dessin, des proportions est complexe. Il est en effet extrêmement complexe de concevoir quelque chose de simple… c’est le paradoxe absolu, continuel et quotidien de ma vie – construire quelque chose d’extrêmement bien pensé, proportionné et c’est la conjonction des bons matériaux qui provoque de la douceur mais le système qui se cache derrière est infiniment complexe, c’est un système de strates qu’on va ressentir mais qui ne sont pas visibles.
Un rêve architectural ?
Deux ! Une chapelle, pour la petite échelle, un lieu de retraite, de méditation, un objet fini en soi. Et un projet muséal, pas nécessairement de grande échelle mais d’une échelle assez maîtrisée. Voilà deux sujets qui me tiennent à cœur.
Nicolas Schuybroek Architects: www.ns-architects.com
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