Anne Mie Depuydt architecte jeux olympiques
Anne Mie Depuydt rêvait d'être danseuse avant de devenir architecte. Elle a copiloté la construction du village olympique des Jeux de Paris © Renaud Callebaut

Rencontre avec l’architecte Anne Mie Depuydt, copilote du village olympique des Jeux de Paris

L’architecte belge Anne Mie Depuydt a travaillé avec son cabinet UAPS sur le village des sportifs des prochains Jeux Olympiques de Paris. Pas moins de 14000 sportifs pourront y résider.

L’architecte Anne Mie Depuydt se destinait à devenir ballerine. «Je rêvais d’intégrer Ballet Vlaanderen, nous confie-t-elle. Je suivais des cours de danse à Courtrai et à Gand. L’été, je faisais des stages à Bruges, à raison de neuf heures par jour. Les profs venaient d’Amérique, de France, comme Roland Petit de l’Opéra de Paris. A 18 ans, j’ai voulu m’inscrire au Nederlands Dans Theater. Puis je me suis demandé si je n’étais pas déjà trop âgée et si je ne serais pas frustrée de n’être qu’un membre parmi d’autres dans une compagnie de danse. J’ai alors choisi de devenir architecte. Mais j’ai continué à danser.»

La structure en bois est combinée à des façades faites d’éléments 
en céramique. Coller de la 
céramique sur du bois, à 28 
mètres de hauteur, relevait de 
la prouesse technique.

A ses yeux, il n’est pas illogique qu’un danseur devienne architecte. Dans les deux disciplines, tout tourne autour de l’espace: «Dans un ballet, vous sautez, vous roulez au sol, vous indiquez les douze points de l’espace. Vous faites un pas de deux, on vous lance en l’air, vous redescendez, vous vous appropriez l’espace. Tout cela a influencé mon architecture, sans aucun doute.»

Née « dans le mobilier »

Dans ses bureaux situés au premier étage d’un bâtiment sur les Grands Boulevards avec vue sur le cinéma Art déco Le Grand Rex, elle nous reçoit, vêtue d’une élégante jupe en denim signée Junya Watanabe. Elle est née «dans le mobilier», dit-elle. Son père était fabricant de meubles. «Nous habitions à côté de notre magasin. Le week-end, je le regardais dessiner des intérieurs et je l’accompagnais également dans les foires internationales, à Cologne, Bruxelles, Courtrai.»

Lorsqu’elle a envisagé d’abandonner son rêve de ballerine, la décoration d’intérieur s’est imposée comme une évidence. Jusqu’à ce que son professeur de physique, en dernière année d’humanités, la fasse changer d’avis. «Tu vas faire de l’architecture, lui a-t-il lancé. Architecte d’intérieur, c’est un beau métier, mais en tant qu’architecte, on peut faire beaucoup plus.»

Bye bye Belgium

En décembre 1987, fraîchement diplômée, elle part pour Paris. «A bord d’une Coccinelle VW dorée, dit-elle en riant, et non dans un modèle couleur bois, comme je l’ai lu dans une interview précédente.» Elle fait un bref stage chez un ancien collaborateur de Le Corbusier, Robert Rebutato. Elle travaille ensuite pendant cinq ans pour l’architecte Dominique Perrault, notamment sur la Bibliothèque nationale François Mitterrand.

Le premier projet d’urbanisme d’envergure d’Anne Mie Depuydt: l’Ile de Nantes, une île de la ville de Nantes, enserrée entre deux bras de la Loire. © Jean-Dominique Billaud/Samoa

Elle dirige ensuite l’antenne parisienne d’OMA, le cabinet de Rem Koolhaas. De tous les projets auxquels elle a alors collaboré, seule la Maison à Bordeaux a été construite. Une habitation légendaire dont la chambre est en même temps un ascenseur, meublée de créations signées Maarten Van Severen. «Rem n’était pas reconnu à Paris à l’époque, et lui-même se concentrait beaucoup plus sur l’Amérique à ce moment-là. Ici, en France, personne ne s’intéressait à son supposé cynisme.»

Une architecte Villa Médicis

S’ensuit une collaboration de courte durée avec l’architecte Paul Andreu et Aéroports de Paris, où elle prend en charge un concours pour l’aéroport de Madrid, puis, à l’invitation du ministère français de la Culture, elle fait une année de recherche à la prestigieuse Villa Médicis à Rome. De retour à Paris, elle crée sa propre agence, UAPS, d’abord avec Erik Van Daele – mais à distance, car lui reste en Belgique.

«A ce moment-là, j’avais déjà pris la décision de ne pas rentrer en Belgique», dit-elle. Depuis, elle dirige l’agence seule: «Nous sommes vingt aujourd’hui. Pour la capitale française, c’est beaucoup, et pour moi, c’est suffisant. Je ne peux pas gérer plus de 20 ou 25 personnes toute seule.»

En bref Anne Mie Depuydt

  • Elle a étudié l’architecture à Sint-Lucas à Bruxelles et à Gand.
  • Elle s’installe à Paris, en 1987, et travaille notamment pour Dominique Perrault et Rem Koolhaas.
  • En 1999, elle crée son agence UAPS à Paris, avec laquelle elle remporte des projets d’urbanisme et d’architecture.
  • De 2010 à 2017, elle travaille sur un premier projet d’urbanisme: un quartier sur l’île de Nantes.
  • Depuis 2017, elle planche sur le plan d’urbanisme du plateau de Saclay, un nouveau quartier mixte en région parisienne. Un projet qui s’achèvera en 2029.
  • En 2024, elle inaugure le village olympique.

Anne Mie Depuydt déteste la monotonie et la répétition. «Cela vient de mon expérience chez Perrault et OMA, avance-t-elle. Chaque projet était différent. C’est inscrit dans mes gènes depuis lors.» En France, elle est davantage connue comme urbaniste que comme architecte. Elle doit notamment sa notoriété à un projet pour l’île de Nantes, une gigantesque île de la Loire où un nouveau quartier, qu’elle a cocréé, est sorti de terre.

«Depuis, nous sommes devenus une agence qui compte. Nous travaillons désormais sur des projets d’urbanisme parfois très importants. Et c’est ce que j’aime faire. Mais je peux aussi me satisfaire de quelque chose à petite échelle, comme un mas de 120 mètres carrés dans le sud de la France sur lequel nous travaillons actuellement.»

Un projet d’urbanisme d’UAPS qui continue à se développer: Ivry Confluences, le quartier qui émerge d’une ancienne zone industrielle à Ivry-sur-Seine.

Priorité à la verdure

L’une de ses missions d’urbaniste en cours est le quartier Ivry Confluences, où elle réaménage une ancienne zone industrielle dans un méandre de la Seine. Le site se trouve au pied de la Passerelle aux Câbles, un colossal pont en béton armé construit en 1929, au-delà d’un quartier miteux. C’est un lieu magique à bien des égards. La Seine et la Marne s’y rencontrent.

De l’autre côté se trouve Chinagora, un pastiche en béton de l’architecture chinoise traditionnelle, et au loin, on distingue l’ancienne brasserie d’apéritifs St-Raphaël, une usine de traitement des déchets. Les berges du quartier d’Ivry-sur-Seine devaient être occupées par des tours d’habitation, selon des plans antérieurs. Mais Anne Mie Depuydt les a littéralement reléguées à l’arrière-plan, à une centaine de mètres à l’intérieur des terres.

‘Je peux me 
montrer provocatrice. Démolir les immeubles le 
long de la Seine, c’était osé.’

«Il était question d’avoir un parc de quatre hectares, je lui en ai octroyé dix. Les concours d’architecture étaient déjà terminés. Mais j’ai pensé que c’était une mauvaise idée de privatiser la Seine avec des buildings qui feraient en plus de l’ombre à tout ce qui se trouve derrière. J’ai tout fait arrêter. Cela faisait des décennies que les habitants d’Ivry n’avaient plus accès à la Seine. Ivry est une ville communiste. Je voulais créer un parc dont tout le monde, toute la ville, pourrait profiter. Je pense que je suis audacieuse. En même temps, je suis aussi très perfectionniste. Tout doit être parfait. Mais je peux aussi me montrer provocatrice. Démolir ces immeubles le long de la Seine, c’était osé.»

Un village pour l’avenir

Dans le cadre de son travail sur le village olympique récemment inauguré, à la frontière des banlieues de Saint-Ouen et de Saint-Denis, Anne Mie Depuydt a combiné, au cours des dernières années, ses différents talents. Elle a coordonné – en résumant beaucoup – l’une des quatre grandes zones du projet, le Secteur Quinconces. Là, elle a construit la base du complexe et environ la moitié des tours résidentielles érigées au-dessus, soit 52.000 mètres carrés.

Le village olympique, où résideront les athlètes olympiques et paralympiques, deviendra ensuite un lieu d’habitation et de bureaux.


Le projet a fait l’objet de beaucoup d’attention parce que, pour les prochains Jeux de Paris, le but est d’utiliser principalement des infrastructures sportives existantes, de sorte qu’aucun nouveau grand stade n’a été construit, par exemple. En revanche, le village des athlètes est entièrement nouveau et constitue en même temps une occasion de revitaliser un quartier délabré de la capitale grâce à une architecture durable et inclusive.

Un double usage à prévoir

Les bâtiments seront utilisés cet été par les 14.000 athlètes participant aux jeux Olympiques et paralympiques, puis loués ou vendus en tant que maisons familiales et bureaux, pour environ 6.000 résidents et autant d’employés.«Cette double fonction était complexe. Dans les appartements à deux chambres, nous avons dû aménager une troisième chambre dans ce qui deviendrait le salon après les Jeux, ce qui a eu des conséquences sur la façade, par exemple», raconte la conceptrice.

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Mais elle n’y a pas vu de problème: «Lorsque je conçois une maison, je pense toujours à la première transformation du client. J’ai un jour fait des recherches sur les habitations en Flandre et je me souviens que le Belge moyen transforme son logement trois fois. Je veillerai donc toujours à ce que, dans le mur qui sépare une chambre d’un salon, par exemple, il n’y ait pas de système de chauffage et pas ou peu de prises de courant, afin que l’on puisse facilement supprimer ce mur plus tard, en fonction des souhaits.»

Le projet architectural 4G est un immeuble de logements dans le quartier d’Ivry Confluences en cours de construction; les travaux commencent en ce moment.


Aujourd’hui, notre compatriote est plus que satisfaite: «C’est le projet qui m’a le plus apporté, ajoute-t-elle encore au sujet du village olympique, car tout y est innovant.» Ainsi notamment de la structure en bois qu’elle associe à des façades constituées d’éléments en céramique. «Coller ce matériau sur du bois, à 28 mètres de hauteur, cela n’a jamais été fait. Cela doit donc être testé officiellement par un institut agréé.»

Un village bioclimatique


En architecture, rien n’a changé depuis le début de sa carrière: «Le monde a évolué et continue de le faire. Et cela va vite. Il faut bâtir différemment, sobrement. On ne peut pas penser en béton et construire en bois. On doit inventer un nouveau langage architectural.» Elle a également appris, en travaillant sur ce projet, à mieux gérer le stress et à le garder pour elle, même lorsque, pendant la crise sanitaire, elle était constamment rivée à son écran, d’une vidéoconférence à l’autre, comme cette fois où elle faisait face à une brigade de pompiers au complet.

Son mantra? «Restez calme, ne vous mettez jamais en colère, car vous n’obtiendrez pas ce que vous voulez. Sur un chantier, je négocie tout le temps. Il faut faire des concessions. Et toujours continuer à motiver les gens. A un moment donné, mon équipe a bossé tous les jours de la semaine jusqu’à minuit pendant trois mois d’affilée. Ils sont payés pour cela, bien sûr, mais il faut avoir envie de le faire.»

‘Le monde évolue, 
on doit inventer 
un nouveau langage architectural.’


Le village olympique est bioclimatique, sans air conditionné, mais avec un chauffage et un refroidissement par le sol, ainsi qu’une protection solaire. «Tout est prévu pour les températures de 2050, lorsque celles de Paris seront semblables à celles de Séville aujourd’hui. Au milieu du terrain se trouve une forêt de 220 arbres.»

Tout a été pensé aussi pour les personnes à mobilité réduite. «Par exemple, les ascenseurs sont lourds, car il faut pouvoir placer deux fauteuils roulants l’un à côté de l’autre ou l’un derrière l’autre.» Le socle abritera une salle de sport géante, destinée aux athlètes professionnels et aux habitants. Pas pendant les Jeux Olympiques toutefois. «L’espace sera alors intégralement occupé par les lave-linge», plaisante-t-elle.

L’intérieur d’un des bâtiments du Village

Prendre de la hauteur

Lorsqu’on lui demande si elle rêve encore d’un projet en particulier, la réponse fuse: Anne Mie Depuydt aimerait construire une tour («Vous trouvez ça bizarre?»), un bâtiment culturel («J’ai une passion pour l’art»), une église ou une chapelle («Prenez l’un de ces monastères du moine et architecte néerlandais Dom van der Laan. C’est de l’espace pour l’espace, rien que de l’espace, et cela me convient»).

Les gratte-ciel ont perdu de leur popularité ces dernières années, et si elle ne compte pas vraiment là-dessus, elle parle néanmoins avec enthousiasme des différentes strates d’une tour: «Il y a la base, et la façon dont on l’intègre dans la ville, puis une partie intermédiaire, et enfin le sommet. L’expérience de l’espace est différente à chaque fois. Ce qui m’intéresse également, c’est la manière dont un bâtiment peut créer un nouveau contexte dans une ville. Enfin, d’une certaine manière, une tour est aussi un objet: gigantesque, mais en même temps saisissable d’un seul coup d’œil.»

uaps.net

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