Visite d’une maison insolite du célèbre architecte Claude Parent
En 1963, un industriel commande une maison inédite, près de Versailles. Son architecte, le Français Claude Parent, était en quête de sensations fortes, d’une architecture qui bouge. Cette année célèbre le centenaire de sa naissance, l’occasion de revenir sur l’une de ses constructions les plus originales.
Au début des années 60, le directeur de société Gaston Drusch souhaite construire un logis pour sa famille avec trois enfants, près de Versailles. C’est le designer de ses engins électromagnétiques qui lui suggère un jeune architecte, Claude Parent (1923-2016), qui signera dès lors cette maison.
Après des études d’architecture inachevées, celui-ci fait partie des huit professionnels inscrits à l’Ordre des architectes, sans posséder de diplôme. Il travaille dans différents domaines, avant d’ouvrir son agence en 1952. «Jeune, je rêvais d’avions, de belles voitures, de bateaux. Je voulais être ingénieur. J’ai échoué. J’ai alors essayé tous les métiers: de dessinateur de mode à publicitaire, en passant par illustrateur de livres ou critique d’art», racontera-t-il.
Il est le premier de la discipline en France à rompre avec le Modernisme, dès le milieu des années 50. Ce touche-à-tout collabore également avec le peintre Yves Klein au début des années 60, et à des projets d’architecture de l’air et de l’espace.
La rencontre décisive entre Claude Parent et Gaston Drusch marque le début d’une longue histoire entre les deux hommes. «Ils étaient deux êtres brillants, leurs intelligences s’accordaient. Il y avait une sorte de connivence. C’était l’une des rares amitiés de mon père», confie Jacques Drusch, l’un des enfants.
Un an de discussions quasi journalières entre le concepteur et le client sera nécessaire pour aboutir à la réalisation d’une maquette très détaillée, qui sera exécutée à l’identique. Le résultat est une œuvre très originale, où maître d’ouvrage et architecte ont participé à parts égales, encouragés par une estime réciproque.
Si Parent défendait une unité structurelle esthétique autour de la diagonale, Drusch rappelait les exigences fonctionnelles. Résultat: pour exprimer le déséquilibre, un parallélépipède abritant le salon est renversé sur une arête, comme métaphore de la liberté d’usage de cet espace.
La fonction oblique de Claude Parent
La Maison Drusch est une étape cruciale dans la carrière de l’architecte. Elle incarne l’aboutissement de ses recherches sur le mouvement. C’est ici qu’il explore le basculement des volumes pour la première fois, ce qui le mènera à la création du concept de «fonction oblique», avec le philosophe Paul Virilio.
Livrée en 1965, la demeure affirme son indépendance vis-à-vis des constructions voisines, avec un profil inédit. Elle oppose deux corps de bâtiment: le premier, une aile horizontale et plutôt fermée, avec cuisine, chambres, salles de bains et garage ; le second, oblique et quasiment transparent, héberge le salon sur deux niveaux. La bascule de cette structure crée un contraste saisissant entre impression de légèreté et pesanteur de la masse de béton armé.
Au sud, les deux volumes abritent une piscine dont les lignes font écho avec le reste de l’habitat. Elle projette la maison en miroir, dans son reflet. «L’été, quand j’étais enfant, il arrivait que des copains nous rendent visite. Nous montions sur le toit de la maison, et nous sautions dans la piscine! Les amis adoraient», se souvient Jacques Drusch.
Une maison ambiance sixties
Très tôt dans sa carrière, Claude Parent milite pour l’intégration de l’art dans la société et dans l’architecture. Pour l’aménagement de la Maison Drusch, il continue à conseiller son client et imagine un aménagement sur mesure, en plein dans l’esprit des années 60.
Dans le séjour, on retrouve trois fauteuils Eames et la table de la salle à manger est signée par le designer Roger Fatus. Au mur, l’artiste Michel Carrade a peint un grand lavis à l’encre de Chine, dont le mouvement ample fait écho à l’escalier de la loggia. «C’est ma mère qui a apporté tout le côté pratique dans la maison, comme placer des placards hors des chambres», raconte le fils.
Si les deux corps de bâtiment sont très différenciés par leur forme, l’espace intérieur est pensé avec homogénéité depuis les chambres jusqu’à l’étage de la mezzanine. Les surfaces libres entre les divers espaces sont entièrement vitrées, apportant une forte impression de transparence et de communion avec l’extérieur.
Cette maison de l’architecte Claude Parente rappelle combien ses constructions et ses écrits traduisent une grande liberté formelle. Ses réalisations sont de véritables performances architecturales, mêlant esthétique nouvelle et innovations techniques.
Expo Hommage à Claude Parent, centenaire de sa naissance, Galerie 8+4 à Paris, jusqu’au 11 mars. Réédition de deux ouvrages fondamentaux à ce jour épuisés: Vivre à l’oblique (1970) et Errer dans l’illusion (2001), Bernard Chauveau Edition.
En bref
Claude Parent
Il naît en 1923 et meurt en 2016 à Neuilly-Sur-Seine.
Avec André Bloc, il rejoint le groupe Espace qui réunit l’élite artistique de l’époque, et intègre le comité de rédaction de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui.
En 1961, il construit la villa d’André Bloc au Cap d’Antibes et la Maison de l’Iran (1961-1970) à la Cité Universitaire.
En 1963, il fonde avec Paul Virilio la revue Architecture principe et énonce la théorie de la Fonction Oblique avec des projets utopiques de villes régies par ce principe.
En 1996, il habille le bâtiment néoclassique du pavillon français à la Biennale de Venise, avec deux blocs de béton massifs scindés par une gigantesque ligne de faille
De nombreux architectes se forment dans son atelier, comme Jean Nouvel, et de grandes figures de l’architecture contemporaine internationale s’inspireront de son œuvre, à l’image de Rem Koolhaas ou Bernard Tschumi.
En 2009, une grande exposition sur son œuvre est organisée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine à Paris, avec une scénographie signée Jean Nouvel.
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