À l’écoute des enfants transgenres
Etre garçon dans un corps de fille, ou inversement: cette question concerne aussi les enfants et adolescents. Pour eux, un suivi particulier est nécessaire afin de les accompagner, mais surtout d’éviter les erreurs. C’est ce que propose la nouvelle Genderteam du CHU de Liège. Explications.
Depuis peu, une Genderteam – comprendre une équipe de médecins ayant pour but d’aider une personne transgenre dans sa transition – s’est créée au sein du CHU de Liège. Celle-ci reste unique en Wallonie et s’est spécialisée dans le suivi et l’encadrement d’enfants et adolescents transgenres. La cellule est portée par la professeure Anne-Sophie Parent, endocrinologue pédiatrique et le professeur Alain Malchair, pédopsychiatre de formation. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec ce dernier. Avec lui, on a abordé le cas particulier du suivi de jeunes transgenres, des écueils de la détransition (soit le retour à l’identité de genre assignée à la naissance après une transition), de la nécessité de prendre son temps, du passing (voir encadré) et de l’importance qu’une telle cellule existe en Belgique francophone.
Pourquoi avoir créé une seconde Genderteam à Liège, au sein du CHU?
Il y a principalement deux raisons qui ont poussé à la création de notre cellule. La première c’est que celle de Gand est complètement saturée. Les délais y sont terriblement longs et dans le cas de dysphorie de genre, cette attente peut vraiment augmenter la souffrance que la personne transgenre expérimente. La seconde raison, c’est la langue. La barrière de la langue était assez compliquée à gérer à Gand et cela n’aidait pas les personnes transgenres francophones. On a donc décidé de créer, sous l’impulsion d’une convention officielle entre le SPF et le CHU, une seconde Genderteam belge, en Wallonie, en 2019 pour pallier tout cela. Et évidemment, cette consultation est ouverte à tous.
A quel moment peut-on vraiment déterminer la nécessité d’entamer une transition de genre chez l’enfant?
C’est déjà très difficile de cibler avec précision quand commence la dysphorie de genre. Elle est là et c’est comme ça. Nous remarquons quand même quelques cas dans la petite enfance mais c’est assez rare.
Je dirais plutôt que c’est surtout au moment de l’adolescence ou de la pré-adolescence que ça peut se déclarer ou, du moins, se confirmer. C’est vrai que parfois, des parents nous disent: « oh, mais vous savez, vers ses 3 ans, on sentait bien qu’il y avait quelque chose. Elle ne voulait jamais mettre des robes », etc.
Parfois, c’est à l’école primaire que la dysphorie de genre apparaît. Mais pour la plupart de nos patients, le processus se confirme au début de la puberté, lorsque le corps commence à changer. La dissonance devient vraiment forte et la dysphorie de genre est évidente.
Par contre, la démarche peut aussi se lancer plus tardivement. Vers 16 ans, par exemple. En tout cas, la volonté de vouloir entamer une transition de genre vient principalement de l’enfant qui exprime son mal-être et sa souffrance.
Qu’est-ce qui différencie un adulte d’un enfant ou d’un ado dans cette transition de genre? Est-ce que le processus est adapté ou modifié pour convenir aux personnes mineures?
Si la transition sociale n’est pas tellement différente dans le cas de transition infanto-juvénile, les processus au niveau de la transition légale et de la transition médicale (voir encadré) sont quelques peu modifiés. Comme on a affaire à des personnes mineures, le champ des possibles est parfois plus réduit et l’accord des parents doit être obtenu à chaque étape.
D’abord, la transition légale se fait en deux étapes. De 12 à 16 ans, il s’agit d’un changement de prénom officieux. Un Julien va devenir Julie, mais il sera toujours inscrit Julien M sur sa carte d’identité et non Julie F.
De 16 à 18 ans, il existe une démarche plus importante qui est le changement d’état civil où l’on va modifier, sur les actes de naissance, le prénom et l’état civil. Ce changement est officiel.
Au niveau de la transition médicale, elle se divise aussi en deux étapes. Si on fait les choses avec rigueur, c’est d’abord une inhibition endocrinologique hormonale du sexe d’origine (NDLR: un traitement médical gelant le développement des caractères sexuels secondaires) et puis, dans un second temps, l’introduction alors d’une hormonothérapie vers le sexe de destination.
Certains vont, de façon un peu anarchique, directement vers le sexe de destination, ce qui est une démarche médicalement très contestable, surtout chez les adolescents et les jeunes qui sont en pleine mutation hormonale pubertaire.
Et puis après 18 ans, il peut y avoir une démarche chirurgicale. Mais pas avant.
Quel est justement l’impact de ce traitement hormonal?
Il y a deux stades. L’inhibition du sexe d’origine est réversible: il suffit de l’arrêter pour que la production d’hormones reparte. Par contre, si on démarre l’hormonothérapie vers le sexe de destination, celle-ci crée une atrophie des organes sexuels d’origine qui ne sera pas réversible.
Mais chacun peut s’arrêter à n’importe quel niveau. Certains s’arrêtent au niveau de la transition sociale, d’autres au niveau de la transition hormonale en considérant alors que la modification du corps et de l’apparence du corps va suffire. D’autres encore souhaitent aller jusqu’au bout.*
Au vu de l’importance de ces décisions et de leurs conséquences, comment encadrez-vous ces transitions et les traitements qui y sont associés?
On prend notre temps parce qu’il s’agit de démarches qui doivent être totalement individualisées. Notre rôle n’est pas de donner des pilules à tout-va. Les gens ne sortent pas de la première consultation avec une prescription d’hormones.
Nous ne sommes pas là pour les freiner ou les décourager. La question n’est pas de psychiatriser la démarche transidentitaire, mais plutôt de s’assurer qu’il s’agisse bien d’une démarche transidentitaire et donc d’éviter des choix malheureux. Si on a voulu recevoir des jeunes transgenres, ce n’est pas pour les décourager systématiquement. C’est plutôt dans l’idée de les accompagner dans leur transition. Il se fait simplement que nous souhaitons le faire de façon très rigoureuse avec beaucoup de de prudence et de précautions.
Eviter l’écueil de la détransition
D’une violence inouïe, ce processus de retour en arrière laisse des traces irréversibles et est encore bien trop souvent tu. Parfois, les transitions se font trop vite. Ou pour les mauvaises raisons. Or la prise d’hormones engendre des changements irréversibles sur le corps, que ce soit au niveau de la voix, de la pilosité ou de l’anatomie sexuelle. Cette détransition ne signifie pas revenir au point de départ. Il n’existe plus ce point de départ. Il faut donc apprendre à composer avec un corps qui a changé et trouver un nouveau point d’équilibre. Dans un tel contexte, et au vu du poids des décisions lourdes de conséquences que ces jeunes transgenres doivent prendre, leur suivi et encadrements paraissent primordiaux. C’est ce que rappelle le Professeur Malchair. « On essaie de les accompagner de notre mieux. Si on est présent, c’est qu’on est persuadés que ça a un sens. Mais on veut à tout prix éviter les erreurs. »
Question de vocabulaire
* Par dysphorie de genre on entend un sentiment d’inadéquation entre le sexe assigné à la naissance et l’identité de genre, créant ainsi une dissonance qui peut mener à une réelle souffrance psychique.
* Si chaque processus est unique on peut distinguer trois grandes parties dans chaque transition de genre:
La transition sociale: consiste à exprimer son genre autrement que selon les normes et rôles associés au genre assigné à la naissance.
Par exemple, l’adoption d’un prénom et de pronoms adaptés à ce prénom choisi.
La transition légale: permet la reconnaissance légale de la personne transgenre pour ce qu’elle est réellement. Elle traite donc du prénom de la personne ainsi que du genre sur les documents d’identité et de l’état civil de la personne.
La transition médicale: est franchie en deux temps. Il y a d’abord la prise d’hormones féminisantes ou masculinisantes. Ce traitement hormonal va permettre le développement de caractères sexuels secondaires (de la poitrine chez les femmes ou une pilosité plus abondante chez les hommes, par exemple). Dans un deuxième temps, des opérations chirurgicales de confirmation du genre peuvent prendre place.
Aucune de ces étapes n’est obligatoire. Une personne trans peut donc seulement transitioner légalement ou socialement sans pour autant le faire médicalement. Cependant, l’aspect médical, comme le rappelle le Professeur Malchair « reste quand même important sur le plan de la transition même sociale en amont, puisqu’il permet, le développement des caractères sexuels secondaires. Et donc évite parfois la confusion ou l’étiquette ‘travesti' ».
* Par aller au bout, on entend la volonté d’un bon passing, terme utilisé lorsqu’une personne transgenre est de prime abord identifiée par les autres comme une personne cisgenre (dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance). Il parait cependant pertinent de rappeler que toutes les personnes transgenres n’y adhèrent pas ou ne s’inscrivent pas dans une telle démarche.
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