Rencontre avec Renaud Salmon, l’homme qui souffle à l’oreille des parfumeurs

Isabelle Willot

Depuis 2019, ce Belge originaire de la région de Liège s’est installé à Oman. Il est le directeur artistique d’Amouage, l’une des maisons de parfums les plus désirables du moment.

Le défilé qui a tout changé

« On peut aimer le luxe sans renier ses valeurs. Je suis né dans une famille plutôt traditionnelle, à Hony, près de Liège, où l’on cultivait la simplicité. Ado déjà, j’étais attiré par les belles marques, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter mes parents. J’ai vite su que j’avais envie de travailler pour ces maisons et cela m’a poussé vers des études de commerce. Pendant mon premier stage chez Delvaux, j’ai assisté au défilé des écoles de mode organisé par Le Vif Weekend, à Tour & Taxis. Cette année-là, Anthony Vaccarello avait remporté le prix. Je suis reparti avec des étoiles plein les yeux. Et la certitude que je voulais évoluer dans cet univers ».

La force des collages

« La nature est une source infinie d’inspiration. Et celle qui m’entoure à Oman est sublime. Cette philosophie qui remonte aux grands romantiques est au cœur de mon processus créatif. J’emporte partout mon appareil photo. Je crois dans la force des collages pour faire éclore des idées. J’imagine des mood boards pour les parfumeurs. Vous y retrouvez aussi bien des photos de la mer turquoise que de Grace Jones ou des dessins d’Antonio Lopez. Je laisse mes briefings complètement ouverts: rien n’est calculé, seule l’émotion est recherchée ».

Les parfums Amouage issus de la collection Library

Le respect du patrimoine

« Je ne suis pas le genre de directeur artistique qui arrive et qui efface tout. Mon rôle est de protéger le patrimoine. Tout en en redessinant les contours. La famille royale qui possède Amouage ne m’a donné qu’un seul objectif: en faire la maison de parfum la plus désirable du monde. Ce qui la rend unique, ce sont ses origines. Oman est une terre de parfums, tout comme Grasse en Europe. Sa force, c’est de faire venir à elle tous les grands parfumeurs d’aujourd’hui qui amènent leur savoir-faire et trouvent ici des ingrédients uniques – encens, rose de montagne, ambre gris… »

Je ne me suis jamais interdit de rêver grand.

Le discours vrai

« Le parfum doit rester magique. Les pseudo-discours que l’on entend sur les matières premières brouillent le message. Trop de marques font croire qu’elles travaillent des ingrédients rares et précieux… alors que quand on y regarde de plus près, il n’y en a même pas deux gouttes dans un flacon. On risque de créer une totale déconnexion entre ce que l’on vend et le rêve que l’on propose ».

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Renaud Salmon aime travailler avec des Belges, comme l’artiste Louise Mertens

La complexité du monde

« Vivre à l’étranger vous force à remettre sans cesse en question vos acquis. J’ai vécu sur trois continents et ça m’a permis de retrouver à chaque déménagement une énergie créative. On se sent bien sûr un peu effrayé au début. Mais on repart avec un œil neuf. C’est une expérience humaine, et familiale aussi – car je suis toujours parti avec ma femme et mes enfants – exceptionnelle. Cela me donne une image plus diverse de la complexité du monde. Dans mon travail, cela m’a permis de dépasser pas mal de préconceptions en matière d’olfaction. Ici par exemple, les hommes portent des parfums à la rose. Ça a changé ma manière de me parfumer et de concevoir des fragrances ».

La mode d’Hedi Slimane

« La mode est longtemps restée une passion inassouvie. Comme je suis très grand, j’ai eu beaucoup de mal à m’habiller. Jusqu’à ce que je découvre en 2012 la silhouette skinny d’Hedi Slimane pour Dior. J’ai dépensé mes économies pour m’offrir le premier costume dans lequel je me suis senti bien. Pendant mes années chez Procter & Gamble puis chez Coty, j’ai eu la chance de travailler avec Dolce & Gabbana, Sarah Burton chez Alexander McQueen, Marc Jacobs… J’ai peu à peu étoffé ma garde-robe, en commandant des pièces sur mesure. J’admire le travail des créateurs belges ou de ceux qui sont passés par nos écoles: Peter Mulier, Matthieu Blazy, Raf Simons… »

La chance de l’outsider

« Il y a du bon à être un outsider. Ça fait la force des Belges, qui sont finalement nombreux dans le luxe, parfois à des postes discrets. Je ne me suis jamais interdit de rêver grand. Venir d’un village sans connexion avec ce milieu et mener cette vie me rend fier. Je sais qu’il a fallu un peu de chance mais cela démontre qu’avec du travail, de la volonté et une consistance dans la vision, on peut découvrir le monde grâce à sa passion et en vivre bien ».

Le besoin de reconnection

« New York vous prend autant d’énergie qu’Oman ne vous en donne. M’installer ici a été une libération. J’ai le meilleur métier du monde. Je travaille beaucoup mais ce n’est pas l’impression que j’ai car je me fais plaisir. J’aime la vie trépidante que je mène mais parfois j’ai besoin de me reconnecter avec moi-même et à la nature. A Oman, quand je cours en montagne comme je le fais pendant mes trails, mon esprit se détache et les idées fusent. Je prends aussi pleinement conscience de la chance que j’ai ».

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