La raw food, la nouvelle gastronomie thérapeutique tendance

© Kris Vlegels

Des produits bruts et très peu cuits, c’est la nouvelle promesse de longévité qui rallie people et gourmets en détox. Enquête sur cette nouvelle gastronomie thérapeutique.


Avant, on mangeait pour rester en vie ou se faire plaisir. Mais ça, c’était avant. Car, aujourd’hui, la raw food nous promet mieux : vivre plus jeune, plus fort, plus longtemps.

Venu tout droit de Californie, où naissent tous les mouvements healthy, ce  » régime  » – au sens quasi politique du terme – présente, à première vue, tous les atours de la fadaise fashion. La reine du lifestyle, Gwyneth Paltrow, est une  » raw foodiste  » prosélyte, Donna Karan, la créatrice de mode la plus yogi, mange raw depuis vingt ans, et Demi Moore, qui n’est pas à une tentative psycho-kabbalistique près, s’y est évidemment mise. Même la jeune génération prend le pli :  » fille de  » la plus lancée du moment, Georgia May Jagger a troqué ses burgers préférés pour cette diète modèle.

Et, déjà l’été dernier, lors de la Fashion Week de Londres, les mannequins arboraient tous un drôle de sac à snacks, la Model Munch Box, contenant de quoi grignoter raw entre deux défilés. Un eat bag créé par la gourou britannique de la détox, Geeta Sidhu-Robb, en collaboration avec le British Fashion Council.

Est-ce à dire que toutes ces jolies personnes picorent exclusivement des crudités et du sashimi, hiver comme été ? Pas tout à fait. Car raw s’entend au sens de brut, non raffiné, non industrialisé, et non pas à celui de 100 % cru, comme on le pense souvent. C’est une alimentation qui vénère les fruits et légumes fraîchement cueillis, mais aussi les graines germées et les oléagineux. Un mode de vie tantôt strictement végétalien (où les repas sont dépourvus de produits d’origine animale, d’oeufs ou de produits laitiers), tantôt plus coulant, qui prône l’importance des enzymes, le mot magique, clé de voûte de cette manière de cuisiner. On les trouve dans les céréales germées et les amandes, dans la papaye et l’ananas, et tous les légumes verts. A condition de ne pas les cuire à plus de 47,8 degrés, sous peine de détruire les précieuses cellules.

Et ce n’est pas une nouvelle lubie de foodies qui s’ennuient : le mouvement a semé sa première graine dans les années 50, à Boston, quand une certaine Ann Wigmore guérit de deux cancers en appliquant les principes de cette  » alimentation haute vitalité, bio, provenant de la terre, révolutionnaire et idéale pour le corps, la santé et le bien-être « , comme la décrit Xavier Boulière, coauteur de Cuisiner cru, 70 recettes raw food (Alternatives). La miraculée ouvre alors le Hippocrates Health Institute, repris en main en 1980 par le médecin vedette Brian Clement.

Aujourd’hui, de nouveau, les enzymes déchaînent les passions de ceux qui veulent manger bien pour se faire du bien. Des  » enzyme therapy centers  » fleurissent aux Etats-Unis, et la nutritionniste Kimberly Snyder a notamment mis Drew Barrymore et Channing Tatum aux enzymes digestives. Et comme la génération Instagram n’aime rien tant que les célébrités et le wellness, il n’en fallait pas plus pour que le raw triomphe avec son cortège de légumes, d’algues, de noix, cacao cru, graines germées, céréales et fruits bio. A consommer liquides ou solides, sans risque de carence, nous assure-t-on.

 » La viande et les laitages ne sont pas nécessaires pour obtenir les protéines et le calcium requis, et ils sont bourrés d’hormones et de substances chimiques « , certifie le Dr Brian Clement. Vegan, bio et pas forcément froid, grâce à la cuisson courte à basse température. Les règles sont évidemment nombreuses et strictes (boire de l’eau tempérée, en dehors des repas uniquement), précises (manger le melon seul, en début de repas pour faciliter la digestion, commencer le dîner par une salade et le souper par un potage…). Il s’agit pour ces mangeurs modernes d’activer de nouveaux réflexes, aidés en cela par des outils tout neufs : le déshydrateur (un four à ventilateur), le blender, pour les soupes et les smoothies, l’extracteur, pour les jus, et le cuit-vapeur à thermostat réglable. Des contraintes qui valent la peine et qui n’empêchent en rien le plaisir, affirment les adeptes.

Fantaisie et flexibilité

Car, loin de l’ascétisme initial, le raw à la sauce 2014 privilégie une forme de sensualité.  » C’est un challenge, qui demande une grande maîtrise technique. Car l’enjeu est, si j’ose dire, de réinventer les saveurs et les textures « , avance Christine Courau, chef chez Detox Delight et animatrice d’ateliers raw. Elle enseigne la maîtrise du croustillant des pains, muesli, chips et cookies déshydratés. Du croquant ou fondant des légumes, détaillés de mille manières. Du moelleux des gâteaux sans gluten. De l’onctuosité des fromages d’oléagineux (Dr Cow propose même un bleu à base de noix de cajou et d’algue !)… L’éventail des textures est primordial car  » mâcher favorise la satiété, la digestion et garantit la santé des dents « , martèle Geeta Sidhu-Robb.

Du côté du goût, les papilles se réinitialisent, comme lorsqu’on arrête de fumer. Dépourvus d’additifs salés, gras et sucrés, les aliments retrouvent leur saveur originelle. Et on en découvre d’inédites, car la nouvelle garde du raw est pleine de ressources.  » On ne reconnaît pas les carottes râpées dans mon carrot cake. C’est parce qu’en fait ce ne sont que les fibres et qu’on n’en mange jamais « , s’amuse Camila Prioli, chef du restaurant parisien éphémère Happy Crulture.

Fantaisie et flexibilité seraient donc les clés d’entrée de la raw food, dans un pays formaté par une longue tradition carnivore.  » Aux Etats-Unis, la démarche est médicale, en Europe, c’est un truc de gourou, résultant de la démocratisation de la détox « , remarque Stéphane Jaulin, créateur de l’Appartement 217, à Paris,  » rawfoodiste  » formé par Brian Clement.

Un caprice de l’air du temps, écho aux  » cinq fruits et légumes par jour « , prêt à remplacer un bio qui n’excite plus personne ?  » On est shooté au wellness, il y a une superstition dans la nourriture « , concède Marc Grossman, propriétaire de la cantine Bob’s Kitchen, dans la capitale française, qui propose un bento raw. Et son jus tout vert pressé à froid (pour préserver les enzymes, vous suivez ?), composé de céleri, de citron, d’épinards, de gingembre, de kale (le chou miracle), de persil et de pomme, se vend comme de la limonade.

Si quelques restaurants ont déjà tenté l’aventure comme le Tan, à Bruxelles, de nouvelles entreprises se lancent dans le prêt-à-manger : Biscru et Gourmie’s fournissent des snacks, Rrraw s’est spécialisé dans le cacao. On peut même faire ses courses en ligne. Dans un pays où l’on veut un burger le lundi et une détox le mardi, ce  » flexitarisme  » savoureux a toutes les chances de s’installer.

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