Constance Guisset, designer: « L’insatisfaction permanente, c’est ça le moteur »

© Renaud Callebaut

En direct de son atelier, entretien avec l’une de nos créatrices françaises préférées, qui vient de signer son premier flacon pour Ginza, la nouvelle eau de parfum de Shiseido.

La lumière intérieure doit continuer de briller. On est inquiets, frustrés de pas pouvoir se voir ou se toucher, mais on doit essayer de cultiver cette lumière pour traverser ces moments; ne pas toujours chercher la force ailleurs, et puiser dans ses propres ressources, même si c’est difficile. J’ai créé une carte de voeux pour 2021, qui disait « Expansion de notre soleil intérieur »: on ne peut pas se réchauffer au soleil des autres, donc on doit trouver un moyen de faire grandir le sien. Depuis, j’ai lu Et la lumière fut de Jacques Lusseyran, que je recommande à chacun.

L’oxymore est très présent dans mon travail. L’idée d’avoir en même temps de la rigueur et de la fantaisie, une tension et une mollesse; comme dans Vertigo, une suspension à la fois souple et géométrique. Cette idée d’équilibre se retrouvait dans le brief de Shiseido, et dans cette description d’une féminité en puissance, j’ai senti qu’il y avait de la place pour une proposition de ma part. On a réussi à faire cohabiter une dimension très primaire et une délicatesse, un raffinement; il y a une douceur tranchante, à la fois un côté Excalibur et un côté sensuel qui se dégagent de ce flacon. Les gens ne peuvent pas s’empêcher de le toucher, de le manipuler.

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Quand on est créateur, on y pense tout le temps. On lit un livre, on regarde un film, ça nous nourrit. On se laisse aller à nos émotions, mais en même temps, on est toujours en train de créer indirectement. Et c’est difficile à comprendre pour quelqu’un d’extérieur que l’on ne soit pas à 100% disponible « dans la vraie vie », on reste toujours dans sa vie de création. C’est éprouvant, et très compliqué à expliquer; ça brouille un peu le rapport à la vie courante. Un de mes enfants est assez doué pour les choses manuelles, et un jour je lui ai demandé ce qu’il voulait faire plus tard, il m’a répondu « Pas artiste, je veux que ça reste un plaisir ». Il m’a inquiétée évidemment, je me demandais c’était quoi le message (rires). Et pourtant il voit bien que j’ai une chance folle et que j’adore mon boulot.

Le jour où j’ai décidé d’être designer, la première chose qui m’a frappée, c’est à quel point mon regard avait changé. Je passais d’un monde où je vivais avec des objets, à un autre où j’étais obligée de me poser des tas de questions: d’où ça vient, pourquoi c’est fait comme ça, quelles sont les formes qui m’intéressent, comment c’est fabriqué? C’est comme si j’avais toujours eu cette porte en moi, et que je m’autorisais à l’ouvrir, ce qui a été un grand changement et une grande richesse. Après, c’est un peu fatigant parce que j’ai toujours un avis sur n’importe quel objet, je n’ai pas d’indifférence possible – ou alors vraiment un tout petit peu. On a un biais permanent sur le monde, qui nous pousse à tout décortiquer, à adopter une vision plus profonde de tout ce qui nous entoure.

L’insatisfaction permanente, c’est u0026#xE7;a le moteur.

Il faut toujours se méfier du moment où l’on commence à être content. Je ne dis pas qu’il ne faut pas être enthousiaste, quand un nouvel objet à moi arrive après deux ans de développement, je suis super heureuse – même si je vois tous les défauts et tout ce que j’aurais dû faire autrement. Mais pour un créateur, se regarder créer, se repaître de soi-même, c’est le plus dangereux. J’ai très peur de m’appuyer sur le passé, ça ne m’intéresse pas du tout, ça m’ennuie, j’ai envie de tourner la page et d’avancer. L’insatisfaction permanente, c’est ça le moteur.

Personne ne me l’a jamais demandé, mais j’aimerais bien dessiner un robot. Intégrer une équipe qui pense un objet d’intelligence artificielle, réfléchir à sa présence physique, déterminer si elle doit être plus humaine, plus animale ou plus abstraite, pour être rassurante, fonctionnelle mais sans personnification, etc. Ou alors dessiner un monstre de cinéma. Alien, Predator ou les autres, on leur met toujours des bras, des dents… Pourquoi? Une créature incroyable pour moi, c’est le Blob, qui n’a aucune forme. Il y a plein de possibilités et d’interactions à imaginer, ça m’éclaterait.

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