Nathalie Campion, sculptrice céramiste: « Nous sommes des êtres ultrafragiles mais nous devons tenir bon »

Elle est venue tard à la céramique. Nathalie Campion a d’abord été une « businesswoman parisienne » avant de sculpter le grès. La terre pour horizon.

La nature et les êtres humains ne font qu’un. Elle se nourrit de nos corps – quand on meurt, on est amené à se désintégrer et à nourrir les arbres. La forêt a été mon premier contact avec le tactile et le sensitif. J’ai grandi entre la Flandre et les Ardennes, à Houthem, où ce n’était que des champs, avec des poules et des chevaux, et à Tintange, dans la maison de mes arrière-grands-parents, où j’ai passé une enfance très solitaire. J’étais la dernière d’une fratrie de cinq, j’ai appris à vivre en solo et avec une grande liberté, je partais dans la forêt comme je voulais, quand je voulais… Elle m’a toujours apaisée, c’est mon havre de paix.

‘Nous sommes des êtres ultrafragiles mais nous devons tenir bon et garder les deux pieds sur terre…’

La terre est un champ d’expérimentation. Je l’ai découvert toute petite, j’allais dans les rivières et les étangs, je ramassais de la terre glaise, des têtards, je faisais des pâtés. C’est un medium très tactile, très sensuel. Et le premier geste est impulsif. Je me souviens de ce jour où, alors que je vivais à Paris, que j’étais productrice d’événements et que je travaillais comme une folle, je me suis dit que j’avais envie de retoucher de la terre.

Certains professeurs sont extraordinaires. Je me suis inscrite à un cours de céramique à côté de chez moi, à Paris, c’était il y a huit ans. Je suis tombée sur une prof qui a tout fait, sauf me donner cours. Elle a mis un paquet de terre devant moi et m’a dit: « Allez-y. » Elle m’a complètement laissé faire. Elle m’a autorisée à partir dans ce que je voulais, tout en étant présente. Je prenais des cailloux, je rajoutais du sable, c’était des espèces de montagnes-bonhommes, des petits fantômes complètement ratés… La nature et l’humain se trouvaient déjà dans mes sculptures.

Le grès, c’est physique. Je travaille avec de l’Indian Stone, qui vient de France. Je peux le triturer à l’extrême et en même temps le travailler avec beaucoup de délicatesse, pour toutes ces lamelles fragiles que je viens poser sur mes formes très brutes, faites de manière presque animale. Il a cette double vocation pour moi. Je trouve aussi qu’il révèle très bien les émaux et puis il est un peu chamotté, ce qui permet à la structure de tenir.

Le noir et le blanc sont des couleurs intransigeantes. Elles révèlent les silhouettes et les formes. Tout défaut y apparaît. Elles sont aussi très antagonistes et les oppositions, cela fait partie de ma personnalité, de mon travail. La vie n’est que paradoxes. Nous y sommes confrontés tout le temps ; nous sommes des êtres ultrafragiles mais nous devons tenir bon et garder les deux pieds sur terre… C’est toute cette humanité qui transparaît dans mes pièces, enfin, je l’espère.

Toute relation humaine est riche. Et l’on se nourrit toujours mutuellement. Depuis plus de quinze ans, je travaille avec le fleuriste Thierry Boutemy, il est d’une richesse intérieure exceptionnelle. Avec lui, j’ai appris la patience. Et j’ai découvert le plaisir, comme productrice, de faire des projets extraordinairement beaux avec deux petites mains.

Nos convictions nous habitent. Mes questionnements s’inscrivent dans mon travail. Mais je ne suis pas pour autant conceptuelle, je suis instinctive. Je ne me suis jamais dit que j’étais une artiste mais aujourd’hui, je dois l’assumer. J’ai exposé mes pièces pour la première fois en 2019, cela m’a projetée dans un univers que je ne connaissais pas du tout, ou alors en tant que touriste mais pas en tant que partie prenante… Cela m’a retournée, j’avais toujours travaillé pour le compte des autres et là, j’étais propulsée sur le devant de la scène, c’était de mon travail et de moi dont on parlait. J’étais perdue mais je me suis dit que j’allais y aller, que j’aimais ce que je faisais, que je ne devais plus attendre. Au début, le geste est innocent puis, quand on prend ce genre de décision, il faut travailler avec ses tripes, sans se mentir.

La colère est un moteur de création. Et je suis colère, c’est ma manière d’avancer. C’est aussi surtout parce que je prends les choses à coeur et que le constat global n’est pas génial. Je suis colère quand je vois des fillettes abusées, des femmes maltraitées, des forêts entières qui brûlent. Mais étrangement, quand je fais de la céramique, je suis très calme.

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