Fini le minimalisme scandinave, la tendance est désormais aux vieux meubles
Le style scandinave et épuré va-t-il disparaître? Nombreux sont en tous cas ceux qui misent sur des meubles anciens pour leur intérieur. Notamment parce que l’avenir de la planète nous incite au ré-emploi.
Ce vieux lustre doré et garni de cristaux, vous l’avez repris sans trop savoir pourquoi lorsqu’il a fallu vider la maison de votre grand-oncle. Après plusieurs discussions animées sur cet héritage familial avec votre partenaire, vous l’avez finalement accroché chez vous dans la salle à manger, faute de mieux… Et aujourd’hui, cette suspension prétendue ringarde semble avoir parfaitement trouvé sa place dans votre intérieur. Elle se marie bien avec vos meubles contemporains et apporte un supplément d’âme à votre logis.
L’histoire vous parle? A en croire Pinterest, nous allons voir à l’avenir de plus en plus de meubles anciens et nouveaux se mélanger dans nos maisons. Dans ses prévisions de tendances pour 2023, le site de partage de photos annonçait en effet l’essor de ce qu’on appelle les hipstoric homes. «Les gens vont trouver de nouvelles manières de mettre à l’honneur les vieux objets chez eux», affirmait le rapport sur la base de quelques résultats de recherches fortement à la hausse, telles que «intérieurs éclectiques vintage» (+850%), «déco maximaliste vintage» (+350%) et «antique room aesthetic» (+325%). «Nous rejetons les produits de masse et donnons une nouvelle interprétation au vintage et aux vieilles choses, résumait alors Pinterest. Le résultat? Des espaces pleins d’émotions qui associent l’expression de soi et la nostalgie historique.»
Cette tendance, l’architecte d’intérieur Gert Voorjans l’accueille à bras ouverts, lui qui n’a fait que cela durant toute sa carrière, même à une époque où les aménagements minimalistes régnaient en maître. «Ces vingt dernières années, nous avons été inondés d’intérieurs épurés. Des plates-formes comme Instagram et Pinterest font que nous sommes influencés visuellement de la même manière partout dans le monde, avec pour conséquence que nous avons des habitations presque identiques. A un moment donné, les gens en ont marre», analyse-t-il.
Dès lors, alors que les générations précédentes décidaient de se débarrasser de toutes leurs vieilles affaires, on voit arriver aujourd’hui une nouvelle génération qui commence à les apprécier. «Je n’aime pas le mot nostalgie, mais cela part d’une sorte d’aspiration pour ce sentiment chaleureux qui va de pair avec les meubles antiques, poursuit notre compatriote. Nous vivons dans un monde très rapide, où de tels objets du passé nous ramènent dans un certain sens à la tranquillité et au rythme d’autrefois.»
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Nouvelle vie
Lorsque Stijn, 27 ans, a acheté l’année dernière une maison de maître à Gand, il a demandé à l’ancien propriétaire s’il était d’accord de lui laisser une ou deux vieilles armoires en bois. «A mes yeux, elles faisaient partie de la maison», dit-il. Le fait qu’une des portes ne se fermait plus complètement et que les meubles présentaient quelques taches d’usure contribue selon lui à leur charme. «Dans un ancien bâtiment comme le nôtre je trouverais dommage et peu inspiré d’installer seulement du mobilier très épuré. Même si je ne veux évidemment pas vivre dans un logis qui ressemblerait à celui de mes grands-parents. Ce que je trouve chouette, c’est que ces objets ont une histoire. Ils contribuent au caractère chaleureux de l’endroit.»
Pour Gert Voorjans, le pouvoir de séduction de ce genre de ces pièces anciennes est lié au savoir-faire dans la finition et le choix des matériaux. «Ce sont des objets qui ont été faits par une personne. Tout risque bientôt d’être fabriqué par des machines ou des imprimantes 3D et cela nous pousse à rechercher des choses dont nous sentons qu’elles sont liées à une histoire.» Et d’insister sur le fait que ces éléments d’aménagement ne sont pas figés pour autant: «Beaucoup donnent une nouvelle interprétation à ces antiquités, par exemple en faisant regarnir un siège, ou en repeignant une table dans une couleur flashy. On peut y imprimer sa marque.»
Cela dit, l’expert ne croit pas non plus au retour complet de l’antique. «Je ne pense pas que tout le monde ait besoin de lourdes armoires en bois sombre, on ne doit pas s’attendre à un come-back total», dit-il. Ce que confirme Sanne van Delft du magasin anversois de la chaîne de seconde main Kringwinkel, qui avoue avoir du mal à écouler encore ce genre de vieilles armoires. «Mais on remarque cependant que les gens recyclent plus qu’avant, nuance-t-elle. Ils placent de nouvelles poignées sur les portes, ou appliquent une couche de peinture. Et ensuite ils montrent fièrement leurs projets «pimpés» sur Instagram. Je n’oserais cependant pas affirmer que c’est plus qu’une tendance passagère.»
Prix doux
Pour l’antiquaire Frank Van Laer, le plus important est que l’opération d’upcycling soit réversible. «On ne peut pas détruire un meuble, prévient-il. Certainement pas quand il a été fabriqué avec savoir-faire. Regardez par exemple ce buffet à deux corps flamand du XVIIIe siècle que je vends dans ma boutique, à Anvers. J’ai enlevé la cire et je l’ai recouvert de blanc. De cette manière on obtient un meuble bien plus aérien, mais tout en conservant sa valeur.»
Le spécialiste observe lui aussi de plus en plus de jeunes qui osent disposer des objets anciens dans leur décoration, «de manière contemporaine et ludique»: «Vu que les prix ont diminué presque de moitié par rapport à il y a quarante ans, plus de trentenaires et quadras investissent dans des meubles du XVIIe ou XVIIIe siècle. Il y a vingt ans, la moyenne d’âge de la clientèle tournait autour de 70 ans, aujourd’hui elle est bien plus basse.»
Steven, 39 ans, est depuis quelques années un client fidèle de Frank Van Laer. Sa dernière acquisition est un bureau secrétaire anglais datant de plus ou moins 1700. «J’ai acheté mon premier meuble antique lorsque j’avais 35 ans, confie cet infirmier à domicile. Ce qui m’attire surtout, c’est que ce sont des objets qui parlent, qui dégagent une certaine intimité. Comme j’aime de plus en plus cette esthétique classique, je suis en train de construire en France une maison de style manoir. J’essaie même de faire fabriquer des armoires neuves, dans ce style, par des menuisiers. Si on veut obtenir autant de détails qu’une pièce antique, cela revient souvent plus cher.»
Le trentenaire remarque que les gens de sa génération semblent mieux savoir ce qu’ils veulent vraiment dans leur intérieur et souhaitent libérer leur créativité. Le passionné essaye déjà de transmettre cet amour des antiquités à ses enfants, même s’ils n’ont que 6 et 3 ans. «Lorsque j’ai acheté récemment un secrétaire, ma fille m’a demandé si elle pourrait l’avoir plus tard», se réjouit-il.
Mix éclectique
Même du côté des marques scandinaves qui ont alimenté pendant plus de vingt ans cette tendance minimaliste, on commence à revoir sa copie. Ces labels se rendent en effet peu à peu compte que les gens aspirent à plus de chaleur et d’influences éclectiques. Et des marques comme &Tradition et Hay intègrent dans leurs collections cette renaissance maximaliste où la couleur et la forme prennent le contrôle. «Depuis la pandémie, les gens souhaitent plus de stimulations et d’authenticité dans leur maison», avance Diane Kervyn de l’Antica Fine Art Fair pour expliquer ce revirement.
La célèbre foire namuroise vient d’ouvrir une toute nouvelle édition à Bruxelles, qui réunit comme toujours différentes galeries belges et étrangères spécialisées en antiquités, en design et en art contemporain. «Nous remarquons aussi que les décorateurs qui y viennent recherchent de plus en plus des pièces de mobilier uniques pour leur clientèle, observe l’experte. On constate qu’ils privilégient un mix éclectique d’objets contemporains et anciens.»
L’heure est donc à la liberté d’aménagement. «Ça me réjouit de voir que de plus en plus de gens semblent se rendre compte qu’avec les mêmes meubles on peut créer des variations infinies, et qu’il ne faut pas toujours acheter du neuf, confirme Gert Voorjans. Je n’ai jamais cru à la tabula rasa, et j’ai toujours vu la valeur des éléments authentiques. Je ne dis pas qu’il faut s’enfermer dans le carcan du passé, mais on peut vraiment donner une seconde vie aux choses.»
Au vu de l’offre et du prix de certains matériaux, beaucoup n’ont d’ailleurs pas d’autre choix. «Dans la situation économique actuelle, je n’ose presque plus faire d’offre. Avant c’était les intérieurs haut de gamme qui coûtaient très cher, mais maintenant même une rénovation de base risque de devenir impayable. On ne pourra quasiment pas faire autrement que de se mettre au recyclage du mobilier existant», insiste l’architecte d’intérieur. Une vision que soutient aussi Frank Van Laer: «Nous vivons dans un monde où le recyclage et l’upcycling des objets vont devenir de plus en plus importants. En tant qu’antiquaire, j’essaie de chercher des meubles de grande qualité qui vont résister aux assauts du temps, ce qui est en un certain sens la plus pure forme de recyclage.»
L’antiquaire estime aussi que grâce au succès de plates-formes comme Pinterest, de plus en plus de personnes pourront estimer les objets anciens à leur juste valeur. «C’est grâce à la popularité d’intérieurs éclectiques et maximalistes que l’on peut apprendre comment intégrer chez soi un meuble ou un objet dans un ensemble. Et la multitude d’émissions télé sur le vintage et les antiquités rend cela encore plus attirant pour les jeunes.»
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L’Antica Fine Art Fair Brussels se déroule jusqu’au 23 avril à Tour & Taxis, antica.be
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