À Courtrai, dans le château du créateur Charbel abou Zeidan

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Le salon d'hiver avec sa peinture murale du XVIIIe siècle, une sculpture suspendue de Bart De Zutter, des chaises Barcelona de Knoll, un canapé de De Sede et une table de sa création. © Jan Verlinde

Charbel abou Zeidan, directeur créatif de la marque de sacs Octogony, a quitté le Liban, et un emploi dans la haute couture, pour s’installer à Courtrai. Les raisons? Un amoureux belge et une somptueuse demeure où se marient l’ancien et le moderne.

En tant que ville belge du design, Courtrai peut être considérée comme une terre d’accueil pour les concepteurs de meubles et d’intérieurs. Mais pour un créateur de mode de la trempe de Charbel abou Zeidan, le choix de cette localité est moins évident. Lorsqu’on découvre le véritable palais dans lequel il vit depuis douze ans, on comprend toutefois mieux pourquoi il a posé ses cartons en bord de Lys, auprès de Pascal Meersschaert.

Celui-ci n’est pas seulement l’ami de Charbel. C’est aussi la raison qui a poussé notre homme a quitter son poste de styliste en chef chez Elie Saab, le couturier libanais, chouchou de la royauté et des stars, pour s’installer dans nos froides contrées…

L’histoire d’un château

Cette double habitation de type éclectique, datant des années 20, serait l’œuvre de Jules Carette, à qui l’on doit également l’église de Bissegem. Elle a été initialement commandée par un célibataire convoité de la région, l’industriel Gervais Oosterlynck. L’entrepreneur flamand était actif dans l’industrie textile, tout comme Pascal l’est encore aujourd’hui.

Ce dernier a d’abord travaillé dans la société familiale, spécialisée dans le jacquard, que son grand-père avait fondée un peu plus loin dans la rue. Puis, il a lancé sa propre affaire, Wovens, qui tisse des tapis haut de gamme. «Les gens de la région pensent souvent que j’ai grandi sous ce toit quand j’étais enfant, mais aucun gamin n’a jamais vécu ici, à l’exception de mon fils et de ma fille», insiste-t-il.

Sur le mur du fond est accrochée une série d’œuvres d’Etienne Van Doorslaer.
Sur le mur du fond est accrochée une série d’œuvres d’Etienne Van Doorslaer. © JAN VERLINDE

Du célibataire Oosterlynck, la villa est passée à un couple également sans mômes mais a aussi été occupée par les Nazis. «Il y avait même un canon sur le toit à l’époque», raconte Pascal. A la fin des années 90, le père Meersschaert a acheté la propriété. Après quoi elle a été exploitée comme salle des fêtes et restaurant. A l’époque, il n’a modernisé que la cuisine. Le reste est resté dans son jus.

Jeux de contrastes

Quelques années plus tard, Pascal a à son tour acquis la maison et procédé à une rénovation en douceur. Le fourneau professionnel s’est transformé en une cuisine vivante et chaleureuse, adaptée à sa famille. Les vieux murs ont été repeints. «Dans des couleurs neutres, parce que l’ensemble était déjà chargé», souligne Pascal en riant.

Le salon d’hiver n’a rien perdu de sa superbe. Et heureusement, car ses parois ont une valeur patrimoniale. Les paysages peints qu’on y voit datent de 1895 et viennent de Crocodile, une pharmacie emblématique de Courtrai. C’est l’architecte qui les aurait intégrés dans la Villa Oosterlynck.

Ce décorum contraste fortement avec le hall d’entrée, qui combine une sculpture murale moderne de Wolfram Ullrich et un tapis géométrique de Wovens avec des sièges Pumpkin violet et fuchsia de Pierre Paulin. Ils rappellent l’appartement que le propriétaire a temporairement partagé avec Charbel à Paris, là où ils se sont rencontrés.

Un tapis, des sculptures et des oeuvres de Charbel sont rassemblés dans le hall de l’étage supérieur. Copyright : Jan Verlinde

Enlèvement amoureux

«En fait, je l’ai kidnappé pour l’emmener en Belgique», plaisante Pascal. Comment cela s’est-il passé? «Quand nous avons fait connaissance, j’étais au sommet. En tant que créateur chez Elie Saab, j’avais le meilleur poste du Moyen-Orient en termes de haute couture», se souvient Charbel. Le créateur a collaboré huit ans avec cette maison connue pour ses robes de princesse fluides et ses drapés.

Florence Welch, Madonna, Dita Von Teese et de nombreuses autres célébrités se sont toutes produites dans l’une des tenues de Charbel pour la griffe. Un exploit pour quelqu’un qui n’avait aucune formation en mode!

La cuisine a été réalisée sur mesure lorsque Pascal a acheté la villa. Elle sert occasionnellement d’atelier, car le couple étudie l’art. Les chaises sont vintage, le tapis est un dessin de Charbel pour la gamme de tapis Wovens, lancée par Pascal.
La cuisine a été réalisée sur mesure lorsque Pascal a acheté la villa. Les chaises sont vintage,
le tapis est un dessin de Charbel pour Wovens,. © JAN VERLINDE

Depuis l’enfance, le Libanais est en effet passionné par ce monde qui faisait rêver. Il aimait déjà créer et réaliser des moodboards. Mais en l’absence d’un enseignement de qualité dans ce domaine à Beyrouth, sa ville natale, il a étudié l’architecture et s’est plongé dans la photographie.

C’est en croisant fortuitement Nicolas Jebran, cet autre couturier libanais lié à Beyoncé et Lady Gaga, que le Belge d’adoption a finalement bifurqué vers les étoffes. Jebran a été tellement impressionné par les illustrations du portfolio de Charbel qu’il lui a rapidement offert un emploi dans sa team créative.

«Et un jour, vous rencontrez l’amour de votre vie… et vous vous retrouvez à Courtrai, poursuit Charbel. Professionnellement, c’était un vrai défi. Je ne connaissais personne et personne ne me connaissait. En Belgique, il y a une mauvaise image d’Elie Saab, comme s’il ne créait que des robes de mariée. Alors que pour lui, j’ai dessiné de belles silhouettes épurées portées par les artistes les plus cool du monde.»

Penser plus large

Cette signature minimaliste et architecturale, on la retrouve dans les sacs à main et les bijoux haut de gamme qu’il conçoit pour la société belge Octogony depuis 2020. Dans les formes, le logo et le nom de la marque, on reconnaît un octogone. Il s’agit d’une référence aux fenêtres de l’immeuble emblématique CBR de Constantin Brodzki, à Bruxelles. C’est là qu’il a rencontré la directrice générale de la marque Marie Mys.

Mais un long chemin a précédé cette étape décisive. Des années au cours desquelles il a lancé sa propre collection de prêt-à-porter, Lebrahc, et un projet artistique autour de la calligraphie arabe.

L’entrée majestueuse avec son piano à queue et son lustre a été peinte dans un ton sable qui contraste joliment avec les moulures anciennes d’une part et les meubles colorés de l’autre. A gauche sont accrochées trois œuvres de Charbel abou Zeidan de la série Beyond words − Arabic Caligraphy. A droite, on aperçoit une sculpture murale de Wolfram Ullrich. Le tapis est une création de Wovens et le fauteuil, un Pumpkin de Piere Paulin pour Ligne Roset.
L’entrée majestueuse avec son piano à queue et son lustre a été peinte dans un ton sable
qui contraste avec les moulures anciennes d’une part et les meubles colorés de l’autre. © JAN VERLINDE

«Les marques de mode cherchent des juniors tout juste sortis de l’école ou les directeurs de la création des labels les plus cool du moment. Lorsque je suis arrivé en Belgique, j’avais 34 ans et la Belgique avait une vision négative de mon ancien employeur. Je n’entrais donc dans aucune case. Toute ma vie, j’ai pensé que les choses allaient pour moi dans la bonne direction… Jusqu’à ce que j’arrive en Belgique. Cette mentalité cloisonnée est inconcevable.»

Charbel est libanais, l’investisseur à l’origine de la marque est bruxellois, le PDG et les vendeurs sont flamands. Et avec leurs pop-up stores dans des lieux architecturaux, ils voyagent dans tout le pays… Ce qui semble compliqué dans notre petit pays! «En Belgique, il semble que nous ne soyons jamais assez belges. Ou simplement trop flamands, ou encore trop francophones. A en devenir fou», dit-il.

Charbel abou Zeidan (debout) et Pascal Meersschaert devant une création de Jos de Mey.
Charbel abou Zeidan (debout) et Pascal Meersschaert devant une création de Jos de Mey. © JAN VERLINDE

Le succès d’Octogony

A l’international, Octogony est considérée comme une marque noir-jaune-rouge prometteuse, loin de ces querelles de clocher. Après le grand magasin Printemps et les journalistes du Monde et de Vanity Fair, Patricia Field, la styliste qui s’est fait un nom en tant que costumière de Sex & The City, a également choisi la griffe et utilisé Octogony dans la dernière saison d’Emily in Paris. Les portes de la culture pop s’ouvrent donc pour la deuxième fois à Charbel.

Dans la chambre, diverses peintures, notamment de Willem Van Hecke et Karel Appel, ainsi qu’un triptyque de Charbel.
Dans la chambre, diverses peintures, notamment de Willem Van Hecke et Karel Appel, ainsi qu’un triptyque de Charbel. © JAN VERLINDE

Milan lui fait signe, tout comme Séoul. Et l’on murmure que la marque − qu’il a conçue sur la table de sa cuisine − est en passe de devenir le nouveau Delvaux. «Avec mes créations, je ne veux pas suivre les tendances ou évoquer des références, je veux faire quelque chose de qualitatif et de très réfléchi. Une pièce qui a un impact sur une silhouette sans avoir besoin d’un logo criard pour le faire. En ce sens, je comprends la comparaison», conclut-il.

En bref : Pascal Meersschaert (55 ans)

Il est né et a grandi à Courtrai.

Après des études d’ingénieur, il commence à travailler dans l’entreprise familiale fondée par son grand-père. A 25 ans, il reprend l’entreprise de tissage de tapis New Franco-Belge, qu’il cède à Le Tissage d’Arcade en 2012.

Entre-temps, il crée Wovens, une collection de tapis en jacquard de haute qualité, tissés à la machine et que l’on retrouve notamment chez Codimat Collection.

wovens.eu

En bref : Charbel abou Zeidan (45 ans)

Il a grandi au Liban et étudié l’architecture et la photographie à Beyrouth.

En 2003, il devient créateur en chef du couturier libanais Nicolas Jebran, puis travaille pour Elie Saab pendant huit ans.

Il arrive à Courtrai en 2012 et y lance sa marque de mode, Lebrahc, dissoute en 2018.

Parallèlement, il lance un projet artistique, Beyond words − Arabic Caligraphy, pour lequel il transforme des mots d’espoir en arabe en peintures et collages.

Il est toujours créateur et consultant free-lance et est directeur créatif de la marque belge de sacs et de bijoux Octogony depuis 2020.

Il conçoit pour le moment le design des bureaux de Kwerk, un concept de coworking de luxe qui compte six adresses à Paris.

octogony.com, charbelabouzeidan.com

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