A l’avant-plan, on reconnaît les tables basses Blast de Ronald Sasson design pour Micasa, le fauteuil Jangada en corde et cuir de Jean Gillon, la table d’appoint chromée Slit de Hay, et le prototype du fauteuil Delírios, conçu par Estudio Guto Requena. © Filippo Bamberghi - Living Inside Agency

La tendance déco qui cartonne au Brésil : aménager son appartement comme une jungle urbaine

Dans un appartement moderniste au cœur de São Paulo, l’architecte Guto Requena a créé un havre de verdure et de haute technologie. Une sorte d’étude de cas sur la vie à l’époque du changement climatique.

Avec Marianne Wenzel et Mien Roymans

Vivre à São Paulo est une expérience chaotique et contradictoire. La plus grande métropole d’Amérique latine souffre d’importants problèmes d’infrastructures urbaines et d’inégalités sociales.

La ville n’est pas vraiment indulgente à l’égard de ses 12,4 millions d’habitants qui vivent dans les banlieues, dépendent des services publics et doivent faire jusqu’à trois heures de trajet par jour.

La qualité de vie est un terme réservé à ceux qui habitent dans les quartiers du centre où l’on trouve les meilleures opportunités de travail, d’éducation et de loisirs, ainsi qu’une scène culturelle et gastronomique dynamique. Des atouts qui font de São Paulo une ville en tête de nombreux classements mondiaux.

La façade aux persiennes en bois est un élément caractéristique des bâtiments de Botti Rubin Arquitetos datant des sixties. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Un refuge tropical

Le paysage contribue lui aussi à cette ambivalence. Bien que plus de 50 % de la métropole soit entourée de végétation, le lien avec la flore tropicale n’est pas évident.

Le gris du béton l’emporte sur le vert de la forêt atlantique, un important écosystème brésilien qui a été réduit à 24 % de sa taille d’origine. Les conséquences désastreuses se font sentir dans une ville. Celle-ci est de plus en plus touchée par les vagues de chaleur et les pluies torrentielles.

Dans cette jungle de béton, l’architecte Guto Requena, qui a notamment conçu les intérieurs des bureaux de Google à São Paulo, a transformé un appartement désuet en un refuge moderne et tropical. L’immeuble des années 60 dont il fait partie a été conçu par Botti Rubin Arquitetos et constitue une icône de l’architecture moderniste locale.

Autour de la table U, de Jacqueline Terpins, on trouve des chaises hétéroclites. Le sol en céramique, les pots et plantes rampant au plafond renforcent l’impression de balcon et pergola souhaité. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Une jungle dans la ville

Avec son projet, Guto Requena parvient à mettre en pratique ses vingt années de recherche universitaire sur le rôle de la technologie, de l’automatisation et de la réactivité dans l’architecture.

Il a même décrit sa vision dans un livre : Habitar Híbrido – Subjetividades e Arquitetura do Lar na Era Digital (qu’on pourrait traduire par Vie hybride – Subjectivités et architecture de l’ère numérique).

Faute d’espace extérieur, le propriétaire, qui partage l’appartement avec son mari, l’économiste Hugo Caetano, l’a transformé en une habitation modulaire dotée d’un jardin intérieur.

« Nous avons intégré de nombreuses merveilles technologiques, comme des cloisons et des rideaux automatisés. Le bureau et la lampe qui l’accompagne, selon que nous voulons travailler ou recevoir des amis, peuvent pivoter vers la fenêtre ou vers le salon. » Et pourtant, l’appartement n’est pas minimaliste, comme on pourrait l’attendre d’un logement technologique comme celui-ci, mais chaleureux. Il y a des tapis et des plantes partout.

« Cette combinaison est une sorte de brésilianité contemporaine », estime l’architecte, qui est né et a grandi dans la campagne de São Paulo. « Au cœur de la jungle », ajoute-t-il.

L’architecte Guto Requena et son mari économiste Hugo Caetano dans le bureau. La chaise Jockey, de Jorge Zalszupin, de L’Atelier, accompagne une table et une suspension d’Estudio Guto Requena, réalisées avec du bois ipê provenant de l’ancien plancher de l’appartement. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Tendance jungle urbaine

Pour créer un grand jardin à l’intérieur, la séparation entre les espaces a été supprimée. Tout est intégré. L’aspect rustique des briques des nouveaux sols en céramique donne l’impression de se trouver dans une partie abritée d’un véritable jardin. « Le plancher en bois d’origine était gravement endommagé par de nombreuses années d’exposition directe au soleil », se souvient l’architecte.

Ce dernier a réutilisé ce qu’il pouvait de ce sol en le transformant en meubles et accessoires. « Le nouveau revêtement est beaucoup plus pratique lorsque l’on a autant de plantes. Il y a toujours bien de l’eau qui coule quelque part sur le sol », dit-il.

La tendance « jungle urbaine » a été massivement adoptée par les jeunes hipsters de São Paulo depuis la pandémie.

Guto Requena dans sa cuisine, équipée de son propre potager. Les carreaux sont de Lepri Cerâmicas, le plan de travail de Mekal, la robinetterie de Docol et l’horloge de Vitra. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Le rôle de la végétation

Mais s’ils ont été inspirés par des influenceurs et des magazines pour remplir leurs maisons de plantes, la démarche de Guto Requena va plus loin.

« Cela fait longtemps que je tiens compte de la biophilie dans mes projets. Le sujet n’a pas fait l’objet d’études scientifiques approfondies depuis si longtemps. Or, la végétation n’améliore pas seulement le bien-être, elle augmente aussi la quantité d’oxygène dans l’environnement, ce qui améliore la créativité. Elle réduit également la pollution de l’air, et évite par exemple l’irritation des yeux », explique-t-il.

Dans la suite principale, le banc Equador, d’Ovo, offre un support devant le lit, tandis que sur les tables de chevet d’Estudio Guto Requena, en ipê, reposent les lampes Kelvin Led, conçues par Antonio Citterio pour Flos. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Dans son mini-biotope, on peut voir comment il a divisé de petites parcelles de forêt tropicale. Il y a non seulement des pots près des grandes fenêtres, mais aussi le long des murs, suspendus au plafond, jusqu’à un potager dans la cuisine.

Tout est équipé d’un système d’irrigation automatique.

Le concepteur est fier du résultat, mais ne cache pas les inconvénients pour autant : « Les plantes contiennent des grillons et des vers, qui sont parfois des parasites indésirables. Elles demandent du travail, c’est pourquoi un jardinier vient tous les mois. Jusqu’à trois fois par semaine, nous inspectons les pots pour vérifier l’humidité, et nous fertilisons périodiquement. Le but est de faire de ce lieu une véritable forêt d’intérieur. »

Salon, salle à manger et bureau se fondent dans un même espace mais peuvent aussi être isolés par des coulissants. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Hey Google

Cet appartement a été surnommé par les autres résidents « les jardins suspendus de Babylone ». Guto Requena aime à parler domotique tout en préparant une boisson avec du basilic frais provenant du potager de la cuisine.

Le miroir de la salle de bains des invités est d’Estudio Guto Requena et le lavabo d’Uma Concreto. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

« Les prises sont toutes automatisées et à leur tour connectées à Google Alexa, que nous avons programmé petit à petit. Allumer ou éteindre les lumières, ouvrir et fermer les rideaux, contrôler l’accès, l’irrigation… Ici, nous sommes entourés de technologie. »

Et de poursuivre : « Mais elle n’est ni envahissante, ni difficile à utiliser. Il faut toutefois rechercher tout l’équipement, les systèmes et les microcontrôleurs adéquats. Le secteur a beaucoup évolué au Brésil. Il y a plus d’options au niveau des produits et un plus grand nombre de professionnels spécialisés. La pandémie a certainement contribué à cette accélération », note-t-il.

Et de conclure : « L’avenir qui m’intéresse et que j’apprécie est celui qui nous reconnecte avec la nature ainsi qu’avec notre mémoire émotionnelle. A chaque nouvelle installation technologique que je conçois, je me dis : si elle peut rassembler les gens et les faire sourire, c’est qu’elle est juste. »

Dans le hall, le panneau en sucupira est décoré d’un bas-relief rappelant les persiennes de façade et dialogue avec une chaise Noize d’Estudio Guto Requena, et, sur le côté, une sculpture Odoya-Iemanjá, de Nádia Taquary. © Filippo Bamberghi – Living Inside Agency

Bio expresse : Guto Requena (44 ans)

Il est urbaniste et titulaire d’un master de l’Université de São Paulo.

Il a écrit Habitar Híbrido – Subjetividades e Arquitetura do Lar na Era Digital, publié en 2019.

L’Estudio Guto Requena, fondé en 2008, crée des projets primés au niveau international, basés sur les technologies numériques, en mettant l’accent sur la durabilité et en se concentrant sur la fourniture d’expériences innovantes et émotionnelles.

Son équipe a conçu des projets pour des marques telles que Google, Facebook, Mercedes Benz, Hermès, LG, Heineken, Coca Cola, Nestlé, Samsung et Nike.
gutorequena.com

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