Direction Arles et la splendide villa Benkemoun, chef d’oeuvre architectural des années 70
A la périphérie d’Arles, la Villa Benkemoun déploie ses courbes et couleurs libres, typiques des années 70. Restaurée avec soin, cette maison fait figure de chef-d’œuvre.
Si l’on connaît Arles pour son célèbre festival de photographie qui s’y déroule chaque été, la commune provençale recèle également quelques pépites architecturales, à l’image du récent LUMA de Frank Gehry ainsi que de cette audacieuse villa familiale construite pour la famille Benkemoun, en 1974. Arrivés d’Algérie en 1962, le couple et leurs trois enfants posent d’abord leurs valises à Marseille, avant de s’établir à Arles.
A l’époque, Pierre Benkemoun, huissier de justice, et sa femme Simone, institutrice, forment un couple modeste qui n’envisage nullement la construction d’une telle maison. Mais dix ans plus tard, à la faveur du contexte économique des Trente Glorieuses et à force de travail acharné, le rêve d’une villa moderne devient réalité.
Pour sa construction, le duo fait appel à un autre Arlésien de fraîche date, l’architecte Emile Sala. «Ils étaient très amis, déjà avant la construction, raconte Brigitte Benkemoun, fille des commanditaires et propriétaire actuelle des lieux. Je me souviens du jour où Emile est venu présenter les premiers plans de la maison, et où mon père a arrondi le dessin d’une des cloisons, à main levée.»
Une habitude pour Sala, qui prônait une architecture participative, où les projets étaient conduits main dans la main avec les maîtres d’ouvrage, pour répondre au mieux à leurs désirs.
L’esprit ouvert des années 70
A l’époque des premiers pas sur la Lune, les lignes courbes et le cercle sont en vogue, affirmant la modernité. Ces accents organiques teintent toute la maison, lovée autour d’un patio central abritant un jardin intérieur. Les frontières entre intérieur et extérieur sont fines, nous laissant passer de l’un à l’autre avec aisance, selon le principe de la promenade architecturale de Le Corbusier.
«C’était une maison joyeuse et accueillante où il y avait du monde en permanence. Sa forme aux bras grands ouverts représente la vie qui s’y passait. Ma mère avait ce talent d’improviser un repas pour vingt personnes en deux heures! Je me souviens des fêtes costumées, des paellas…», évoque avec sourire Brigitte Benkemoun.
Arrivée sur place à l’adolescence, l’aînée de la fratrie n’a pas toujours été aussi enthousiaste au sujet de la demeure: «A 15 ans, on veut ressembler à tout le monde. On ne veut pas d’une maison aussi tape-à-l’œil. Il a fallu qu’on s’apprivoise, elle et moi. En définitive, je pense qu’elle m’a ouvert l’esprit.»
A l’origine, elle ne pensait pas la rendre accessible au public. «Après le décès de mes parents en 2016, la maison était en mauvais état, nous avons fait d’importants travaux techniques. Nous n’avions pas pris d’architecte, c’est mon mari (NDLR: le réalisateur Thierry Demaizière) qui a tout restauré. Petit à petit, nous nous sommes rendu compte qu’elle pouvait avoir plusieurs usages. J’ai été rapidement sollicitée pour des shootings et des événements. La vie de la maison s’est un peu improvisée, au fur et à mesure.
Outre ces activités, la villa accueille des expos d’artistes en lien avec l’histoire et l’époque de la maison, qui y laissent toujours une œuvre en souvenir. Comme le maître verrier Jeremy Maxwell Wintrebert, qui a réalisé les suspensions en forme d’œil du salon, spécialement pour la villa, ou le céramiste Guy Bareff, auteur du socle d’origine de la cheminée. «Et prochainement le peintre Jacques Soisson, qui fut très proche de Dubuffet», précise la propriétaire.
Un intérieur rétrofuturiste
Pour l’aménagement, toujours en place aujourd’hui, l’architecte fit appel au décorateur Robert Heams avec qui il avait déjà collaboré au casino de Berck-sur-Mer. La cheminée, sculpturale, est l’œuvre de l’artiste Max Sauze, qui l’a habillée d’un manteau en feuilles de métal.
«La maison n’était pas un musée, elle était vivante. Et c’est ce que nous avons voulu conserver aujourd’hui», explique Brigitte Benkemoun. Le mobilier est emblématique de l’époque, à l’image des fauteuils orange dessinés par Geoffrey Harcourt pour Artifort, ou du lit rond de Brigitte.
Les douches arrondies évoquent des cabines spatiales et les tonalités vives et audacieuses des différentes pièces confèrent un caractère rétrofuturiste à la maison, véritable manifeste de modernité.
«Evidemment, une maison ça vous change», poursuit Brigitte Benkemoun. L’autrice de Je suis le carnet de Dora Maar (Stock) prépare un livre sur la villa pour ses 50 ans en 2024, qui évoquera aussi l’histoire de sa famille. Elle conclut: «Je crois que cette maison fait voir la vie plus grande. Elle ouvre les possibles. Sans elle, je ne pense pas que j’aurais eu la même vie. En la construisant, mes parents ont osé s’embarquer dans une aventure hors norme, alors moi aussi j’ai toujours dû savoir que je pouvais oser sans rien m’interdire.»
Une maison-sculpture d’exception qui incarne le rêve méditerranéen, labellisée «architecture contemporaine remarquable» depuis 2012.
La Villa Benkemoun se loue dès 6 500 euros la semaine. Une exposition du peintre Jacques Soisson (1928-2012), figure éminente de l’art brut, s’y tient du 8 au 24 septembre. villabenkemoun.fr
En bref Emile Sala (1913-1998)
Emile Sala (Moïse-Emile Sala de son vrai nom) naît en 1913 à Merry-la-Vallée en France et meurt en 1998.
Il étudie l’architecture à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris et exercera en France de 1940 à 1986.
En 1960, il épouse Françoise Coignet, arrière-petite-fille de François Coignet, pionnier du béton armé en France.
Il s’installe à Arles en 1961, où il construit des équipements publics, écoles, locaux commerciaux et industriels dans la ville et sa région.
En parallèle, il mène des études d’urbanisme, notamment pour l’extension de la ville de Constantine (1960).
En 1960-70, il réalise une série d’opérations de logements à vocation sociale.
Le programme de la maison individuelle lui permet d’exprimer tout son talent, comme à la Villa Benkemoun.
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