Visite de la maison personnelle du photographe d’architecture Jan Verlinde

La table à manger a été fabriquée par Jan Verlinde. Il l’a agrémenté d’un banc de Matière Grise, de chaises Flötotto et de lampes de l’atelier Pol Standaert. Au mur, une photo de Jan montrant Istanbul. © JAN VERLINDE

A quoi ressemble le logis d’un photographe d’architecture? Celui de Jan Verlinde, qui travaille pour Le Vif Weekend, est rempli d’idées puisées au fil de ses reportages. Il nous invite chez lui.

« Si ça te va, je nous prépare un bon spaghetti. » C’est la première fois que nous recevons un tel message à la veille d’un reportage sur un intérieur. C’est Jan tout craché : il sait toujours rendre les choses plus agréables. Egalement dans les habitations qu’il a photographiées d’ailleurs.

Parce que le photographe est du genre à oser déplacer certains objets avant de déclencher son objectif. Parfois par nécessité, comme pour ce shooting où il a d’abord dû dégager les montagnes de jouets d’enfants et les restes du petit-déjeuner avant de se mettre au travail.

Mais le plus souvent purement pour l’image. Parce qu’un trop grand écran de télévision perturbe sa composition, mais parfois aussi parce que tout est vraiment trop bien rangé.

Styliste d’intérieur

Cette approche n’a jamais fâché les habitants. « J’ai toujours pu laisser l’intérieur comme je l’avais modifié », dit-il en riant. Il a de qui tenir, son père aussi aimait la déco et créer des aménagements.

« En fait, je me vois bien faire du restyling professionnel. Travailler avec ce que les gens ont chez eux. Mais arriver tout de même avec quelque chose de complètement différent. » Jan sort les casseroles et les poêles de l’armoire pour commencer à préparer les pâtes et parle en même temps de façon volubile de ses premières années.

Dans le coin bureau, on reconnaît les influences de Maarten Van Severen, Lionel Jadot et Axel Vervoordt. Il a combiné une chaise Ero S de Philippe Starck avec des appliques Diabolo Stilnovo et une lampe de table Heksa de Dijkstra. © JAN VERLINDE

Comment, en tant que fils d’architecte, il a voulu au départ suivre la voie de son père, ce que ce dernier lui a déconseillé. C’était les années 80. A la radio, Joy Division tournait en boucle. Notre pays traversait une crise de la construction et les architectes parvenaient difficilement à trouver du travail. Il a alors décidé de voyager pendant quelques mois et sa rencontre avec un photographe au Portugal l’a poussé à étudier la photo à Bruxelles.

Au centre de la bibliothèque, se trouve un portrait de Jan réalisé lors de la cueillette du jasmin pour Dior. Il est entouré de souvenirs de voyages. © JAN VERLINDE

En 1987, après ses études et son service militaire, il a pris son courage à deux mains et est parti en Angleterre avec son portfolio sous le bras, en rêvant d’une carrière dans le monde de la pub. « Les plus belles photos venaient de ce secteur à ce moment-là. A Londres, il y avait ces gigantesques panneaux sur lesquels s’affichaient les grandes marques. Il y avait du budget pour expérimenter. The sky was the limit. » Il y travaillera finalement une année, jusqu’à ce qu’on lui propose un poste à Bruxelles, à Sint-Lucas.

Défi créatif

Quand nous lui demandons si son travail a influencé son propre intérieur, il arrête la cuisson.

« Parler et touiller dans les casseroles, je ne peux pas faire les deux en même temps, s’excuse-t-il. Si je n’avais pas été photographe d’intérieurs, est-ce que j’aurais acheté ces chaises ? Ou ramené cette lampe chez moi ? Je ne pense pas. Je suis entouré par des références et des souvenirs des shootings que j’ai fait. »

Un fauteuil Klin de Sergio Rodrigues côtoie une table en terrazzo de Miehuus sur laquelle repose un plateau de Zaha Hadid. Le poisson et le buste sont de l’atelier Pol Standaert. © JAN VERLINDE

L’inspiration pour son coin bureau dans le salon vient d’un atelier de Boxy’s, un concept innovant de Maarten Van Severen. Là se trouvait aussi une table avec un plateau en verre coloré. L’idée du support noirci, il l’a piquée chez Axel Vervoordt, et la couche de cuir sur la table chez Lionel Jadot, tout comme l’étoile qu’il a peinte lui-même à la main sur son plancher.

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D’un shooting à Londres, il est revenu amoureux d’une chaise de Philip Starck, qu’il a pu dénicher plus tard. Et récemment, il est tombé sur un sofa de Citterio pour Flexform.

Mais tout ne rentre pas toujours dans son budget. C’est un peu la malédiction du métier : voir continuellement de somptueux objets de design et des pièces de collection qu’on ne peut pas se permettre soi-même. « Ce n’est pas dramatique, ça m’a juste poussé à être plus créatif. »

L’ère analogique

Au milieu de la bibliothèque où sont soigneusement rassemblés livres, candélabres, vases et autres souvenirs de voyage ou de travail, la place d’honneur revient à une photo de Jan. Un portrait de deux femmes en train de rire, prise lors de la cueillette du jasmin pour Dior, dans la lumière de l’aube.

Au-dessus de la table de la salle à manger qu’il a lui-même conçue se détache une autre de ses œuvres : une vue d’Istanbul. Parce que notre hôte était aussi souvent sur la route pour des reportages de voyages. Le pont vers la ville turque n’existe plus aujourd’hui, raconte-t-il.

Si je n’avais pas été photographe d’intérieur, aurais-je ces chaises ?

Jan Verlinden

Ça le ramène à la manière dont la photographie fonctionnait à cette époque. Analogiquement. Avec un trépied, un Polaroid, trois appareils et autant d’objectifs sur le terrain et ensuite une table lumineuse pour repérer les images les plus intéressantes sur les planches-contacts.

Du salon, on voit le jardin avant qui donne sur le quartier de l’entre-deux-guerres. Au-dessus du fauteuil d’angle de Meridiani est suspendu un mobile de Calder. Le lampadaire est un Jieldé Loft D9406. © JAN VERLINDE

« Il fallait un solide background, des connaissances techniques et du budget pour se procurer tout ce matériel. Aujourd’hui, on voit tout sur écran et tout le monde peut se dire photographe. »

Raconter des histoires


En face, nous reconnaissons une image d’un intérieur restauré par Gaston Eysselinck, habité par Joris Verdoodt. Notre collaborateur a beaucoup hésité sur la photo d’intérieur à accrocher là. Il aurait pu tout aussi bien choisir une image du Moulin de la Tuilerie, autrefois habité par le Duc de Winsor et Wallis Simpson, ou une de la maison d’Eddy Jambers.

« Je photographie de manière très ciblée. Mon image doit raconter une histoire. Pour y arriver, d’abord je fais un tour, je me laisse guider par la lumière et après seulement je saisis mon appareil. Et quand je réarrange, c’est toujours en fonction de l’image. »


De retour dans la cuisine, un grand sourire éclaire son visage. « Cette pièce aussi est née d’un mélange de différents shootings. » Pour le comptoir, il est allé puiser chez l’architecte Nathalie Van Reeth et pour le sol chez le fabricant de carrelages Dominique Desimpel. Les pieds viennent eux de chez Agnes Emery, une des premières à avoir importé des objets du Maghreb en Belgique.

La cuisine est un mélange d’inspirations tirées de ses nombreux reportages d’intérieurs. A l’arrière plan, les chaises Kangourou bleu vif d’Ernest Moeckl. © JAN VERLINDE


Le mauvais temps nous empêche de nous promener dans le jardin, qu’il a aménagé lui-même, au cœur de l’Interbellumkwartier à Bruges. Nous regardons la pluie qui s’écoule sur les chaises bleu vif de la terrasse. Jusqu’à ce que Jan se retourne soudain et tape dans ses mains. « Bon, alors, on mange ou pas? »

En bref : Jan Verlinde

Il est né en 1963 à Bruges, où il vit actuellement.

En 1986, il achève ses études de photographie à Sint-Lucas à Bruxelles et part à Londres travailler dans le monde de la pub.

Il revient à Bruxelles en 1989 où il débute comme assistant à Sint-Lucas. Monte son propre studio photo comme activité complémentaire.

Jan Verlinde dans son intérieur. © JAN VERLINDE

Dès 1990, il travaille pour Le Vif Weekend et Knack Weekend. Avec le journaliste Piet Swimberghe, il réalise des reportages entre autres chez Peter Marino, Giorgio Armani et Dolce & Gabbana.

Ses photos ont été publiées à l’international dans de nombreux magazines, d’Architectural Digest à Wallpaper.

janverlinde.com

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