Visite d’un appartement brutaliste d’architecte à Anvers
L’architecte Bram Van Cauter vit et travaille dans la Riverside Tower, l’un des immeubles les plus hauts d’Anvers. Il connaît cette tour comme sa poche pour y avoir rénové plusieurs appartements. Avec lui, le béton est roi.
La Riverside Tower imaginée par Léon Stynen et Paul De Meyer il y a cinquante ans est bien connue de tous les Anversois. Si ce n’est grâce aux illustres concepteurs eux-mêmes — parmi leurs créations, citons le casino d’Ostende, l’immeuble de bureaux Télex à Bruxelles, l’église Sint-Rita à Harelbeke et le centre artistique De Singel à Anvers — c’est grâce au penthouse avec jardin sur le toit, au sujet duquel circulent les histoires les plus folles.
Le treizième étage mérite pourtant, lui aussi, une attention particulière. Si l’on observe attentivement la façade, on remarquera une légère variation dans la disposition des fenêtres. C’est là que se trouvent les duplex. Bram Van Cauter a découvert leur existence lors d’un stage chez Crepain-Binst voici quinze ans. «Le bureau rénovait alors celui du côté sud. Je l’ai aperçu sur le plan, j’ai été fasciné et je me suis directement rendu sur place après le travail. Et je me suis solennellement promis que si j’avais un jour l’occasion d’acheter un appartement ici, je n’hésiterais pas une seconde.»
Béni soit le treizième
Mais quand cette occasion pour un flat au septième étage s’est présentée, Bram Van Cauter a toutefois hésité. «Chaque étage raconte une histoire différente. Jusqu’au sixième, vous êtes nichés au milieu de la verdure et des arbres. Plus haut, vous regardez au-dessus de la canopée et le lien avec la ville s’établit. Plus vous montez, plus votre vue sur l’Escaut s’élargit. Une fois le seizième passé, cette connexion avec Anvers disparaît à nouveau. Assis, on ne voit que le ciel et les nuages. Pour moi, le treizième offre le meilleur des deux mondes.» Une argumentation qui amuse Doris Vanistendael. L’admiration de son compagnon pour l’immeuble est attachante, et il le connaît comme sa poche. Il a ainsi fini par acheter non pas au septième mais au quinzième, où il a également vécu pendant un certain temps. Il a dirigé le Studio Okami avec son associé Hans Vanassche depuis le dixième, et remodelé avec lui les seizième et quinzième étages avant d’adopter ce duplex il y a deux ans, en pleine deuxième vague de Covid.
Doris Vanistendael est, elle aussi, liée à l’édifice. Cela fait maintenant dix-sept ans qu’elle vit et travaille à l’étage tant convoité. Le duplex qu’elle habitait a été rebaptisé (s o o n), et abrite sa galerie où, entre le vernissage et le finissage des expositions, il est possible de dormir au milieu des œuvres d’art. «Ce n’est que lorsqu’on a vécu ici que l’on se rend compte de l’impact que le soleil et la vue peuvent avoir sur la qualité de vie», explique-t-elle après avoir évoqué son ancienne aversion pour les tours résidentielles. D’en bas, elles ressemblent à des pigeonniers surpeuplés et impersonnels. Mais à l’intérieur, l’espace est impressionnant. Hors de question de vivre ailleurs, même après tout ce temps. «Chaque année, nous fêtons Noël dans le hall d’entrée et nous festoyons entre les pilotis avec du vin chaud. Les voisins s’entraident et se connaissent tous», poursuit Bram. C’est d’ailleurs comme ça qu’ils se sont rencontrés. «Une communauté aussi soudée, c’est la cerise sur le gâteau.»
Les hauts et les bas
L’appartement qu’ils habitent ensemble aujourd’hui était autrefois un bureau. Les poutres en béton et les colonnades du salon sont des vestiges des salles de réunion. «C’est aussi explicitement indiqué dans l’acte de base du bâtiment, précise le propriétaire. Les avocats, les artistes et les architectes ont toujours été les bienvenus. C’est grâce à Paul De Meyer, qui a vécu dans le penthouse jusqu’à sa mort. Probablement parce qu’il s’agissait d’activités qu’il pratiquait lui-même ou qui lui étaient utiles.»
Tout l’intérieur a été décapé et sablé jusqu’à la structure en béton brut. Et cela n’a été possible que grâce à la qualité du travail de Stynen et De Meyer. Dans la plupart des buildings d’habitation, les tuyaux et les techniques passent par les faux plafonds et le long du béton. Ici, les distances sont extrêmement courtes grâce à un placement judicieux des fonctions en plan, ce qui était une véritable innovation en 1972.
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Bram a fait casser les cloisons intérieures. Les murs porteurs ont été cimentés, puis traités à coups de pierres. Une expérience de l’entrepreneur visant à mélanger subtilement les nouvelles et les anciennes parois. «On pense généralement que le béton crée immédiatement un environnement froid et gris. Alors que ce sont précisément les défauts du matériau qui font la tactilité. C’est un détail qui me manque dans nombre d’intérieurs propres et lisses.» Il frotte avec bienveillance le mur de la cuisine en béton coffré, légèrement convexe. Plus tard, il attire l’attention sur la délimitation des carrés au plafond — l’ouverture par laquelle la grue passait pendant la construction mais qui a été bouchée par la suite — et sur le patchwork de briques le long de la fenêtre. «Les ouvriers se sont probablement trompés. Les fenêtres ne correspondaient pas à celles de l’étage du dessous. Ils ont alors dû réparer leur erreur. Toutes ces choses racontent l’histoire du bâtiment. Les hauts et les bas. En tant qu’architecte, je suis confronté à ces situations sur le terrain. C’est là que se trouvent la poésie et la chaleur, et non dans le Gyproc.»
Insta famous
A noter: l’inconvénient de vivre dans une telle tour est que lors de rénovations ou d’un déménagement, tout doit passer par l’ascenseur interne. Et cela entraîne parfois des frustrations. Pas pour Bram et Doris. Ici, tout a été choisi ou fabriqué pour pouvoir entrer dans l’ascenseur. L’escalier en acier a été soudé et peint sur place. L’îlot de cuisine en acier inoxydable, une création de l’architecte qui est la version améliorée d’une table basse, a été dimensionné pour accueillir à la fois le four qui y est caché et passer dans l’ascenseur. Et en l’absence d’une sortie d’ascenseur au quatorzième, le canapé vintage et le magnifique bureau George Nelson ont été montés à l’étage par un modèle à crémaillère manuel et branlant.
Pour l’aménagement, les habitants ont principalement trouvé l’inspiration en ligne, via la plate-forme d’enchères whoppah.com ou sur Instagram. Bram a déniché le remarquable luminaire suspendu artisanal de la salle à manger sur le site du designer polonais Pani Jurek. «Insta est un média riche à tous points de vue. En postant des photos de cette création dans notre intérieur, nous lui avons donné un petit coup de pouce. Cela nous a également permis d’être invités à plusieurs reprises à participer à des conférences à l’étranger. Pour montrer qu’il y a définitivement encore quelque chose à faire avec les vieux logements brutalistes.»
Les entretiens avec les clients du deuxième se terminent d’ailleurs souvent ici. Avec un verre au comptoir de la cuisine et une vue à couper le souffle sur le port d’Anvers, ses milliers de lumières et sa fougue. «Si un tel intérieur ne les effraie pas, alors nous savons que la coopération sera fructueuse.» Une histoire qui promet d’être riche.
En bref Doris Vanistendael (43 ans) et Bram Van Cauter (38 ans)
– Originaire de Louvain, Doris a travaillé dans le secteur des médias et de la musique. Il y a un an et demi, elle a fondé (s o o n), une galerie d’art contemporain dans la Riverside Tower qui fait également office d’Airbnb. Elle expose l’artiste bruxellois Sebal jusqu’au 13 novembre.
– Bram, qui vient de la périphérie de Bruxelles, a cofondé le Studio Okami en 2015 avec Hans Vanassche. Leur premier projet était une villa souterraine en briques pour le producteur de films Dirk Impens, qui a immédiatement donné le ton à l’architecture sans compromis qu’ils conçoivent.
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