Lisette Lombé
L’acceptation est une marche vers la liberté
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
J’aime la mer. Je répète volontiers à mon entourage que je finirai mes vieux jours non loin des vagues. J’aime la mer en été, en famille, en maillot, en vacances mais aussi en hiver, pour d’autres raisons. Moins de touristes, moins d’agitation, moins d’électricité dans l’air. Froid piquant. Grisaille inspirante. Je débarque à la côte belge, bien emmitouflée, avec un besoin urgent d’écrire, de me ressourcer, d’exposer mes joues au sel et au vent, de me sentir humble face à la force des flots et à la ligne fuyante de l’horizon.
Je viens d’envoyer un message à ma mère pour savoir si nous étions venues, ici, à La Panne, lorsque j’étais enfant. Je cherche des couches de souvenirs pour épaissir le réel. Sa réponse est d’abord négative. C’est à Knokke-le-Zoute que nous allions. J’imagine mes parents, habitant un logement social dans une cité, décider de venir se délasser dans la station la plus huppée de la côte. Ensuite, elle m’envoie une photo délavée. Si, nous y sommes venus une fois. Je ne pose pas d’autres questions. Je me suis imposée une vraie déconnexion durant ce court séjour balnéaire. Appel de la digue, appel de l’intérieur des terres, appel de la marée basse.
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Avec joie, j’ai repris mon glanage de paroles de passants et de passantes. Cette attention, à nouveau portée aux mots du présent immédiat, aux vivants, aux détails, me protège de cogitations vaines concernant le passé. Aujourd’hui, matinée ensoleillée. Plage investie plutôt qu’envahie. Une famille. Quatre générations. L’arrière-grand-mère dans un fauteuil roulant, poussée par une femme qui semble avoir mon âge. La vieille dame dit qu’elle occupe la meilleure place: ne plus porter, être portée. C’est bon d’entendre les rires de ses proches autour d’elle et de sentir tout cet amour qui l’enveloppe. J’aimerais vieillir comme elle, entourée et chouchoutée.
Galerie de portraits à ciel ouvert. Un peu plus loin, une femme, qui remplit un grand sac translucide avec des détritus, interpelle les gens en français et en néerlandais. Cette plage n’est pas une poubelle! Un peu plus loin encore, sur un brise-lames humide et glissant, un photographe en équilibre sur un pied. La taille de son objectif fait penser à celui d’un pro. S’il bouge d’un pouce, les mouettes qui l’entourent s’envoleront et il pourra dire adieu à leur gracieux et hypnotique ballet. Le compteur de mon podomètre grimpe lentement. Je m’enfonce dans le sable. Marcher ici demande plus d’efforts que sur le bitume mais la proximité de l’eau rend néanmoins mon pas léger.
‘Je suis calme, juste dans la joie du mouvement.’
Je marche dans le sillage d’une jeune fille, blouson bomber noir, minijupe beige, baskets hautes, longs cheveux blonds et lisses, jambes nues, chair de poule. J’observe les mines interloquées des personnes qui la croisent dans l’autre sens et projettent leur propre frilosité sur ses épaules. Soudain, sur le sable mouillé, un énorme cœur tracé par des amoureux, avec, en son centre, les lettres B+T. Il y a quelques semaines, cela m’aurait douloureusement renvoyée à la fin de mon couple mais là, je me réjouis simplement et sincèrement pour ces deux-là.
La solitude peut s’apprivoiser à condition de l’envisager comme une période d’abstinence régénératrice et une occasion de questionner différentes facettes de notre personnalité: dépendance affective, peur de l’abandon, manque d’estime de soi… Qui d’entre nous peut se targuer de pouvoir faire l’économie de questionner ses zones d’ombre?
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Si vous saviez à quel point je savoure cette première marche à la mer de l’année. Mon podomètre gardera trace de la distance effectivement parcourue mais pas des traces de cette bouffée d’iode, pas des traces de ces statues d’hommes regardant dans trois directions différentes, pas des traces du chemin intérieur, de cette mesure d’une tout autre nature. Je suis calme, juste dans la joie du mouvement. Je pense aux ultimes mots du dernier roman d’Annie Ernaux, Le jeune homme: «On était en automne, le dernier du vingtième siècle. Je me découvrais heureuse d’entrer seule et libre dans le troisième millénaire.» C’est fou comme les textes littéraires peuvent s’entrelacer avec nos vécus et nous rappeler que l’apaisement reste la fin la plus probable.
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