Littérature érotique: pourquoi elle cartonne

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Depuis le succès de Cinquante nuances de Grey, les titres en littérature érotique se multiplient et s’affichent (enfin !) au-dessus du manteau. Analyse d’un phénomène sociétal qui ébranle les non-dits et stimule la sexualité.

Tremblement chez les puritains : la sexualité des femmes de 50 ans n’est pas en berne, et elle ne demanderait qu’à être titillée ! En s’écoulant à plus de 100 millions d’exemplaires à travers le monde, la trilogie d’E.L. James a levé le voile sur une réalité tenue taboue jusqu’il y a peu : les dames « de bonne famille » ont elles aussi des fantasmes polissons. Ceux qui les pensaient frigides réalisent, parfois avec effroi, qu’elles n’étaient peut-être que… frustrées. Nom d’une pipe !

« Les femmes veulent du sexe. D’ailleurs les 40 % d’augmentation du chiffre d’affaires des sex-shops après la parution de Cinquante nuances de Grey aux USA confortent ce constat », s’insurgent, dans une lettre ouverte aux médias, les auteurs du site lavenuslitteraire.com, tout en déplorant vivement le peu de curiosité pour les romans érotiques moins conformistes.

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Même son de cloche chez Catherine Marx, auteure et directrice de la collection Jardins de Priape aux éditions Tabou, qui se désole que la gent féminine n’ose pas (encore) quitter les sentiers balisés du « mummy porn » : « Ce qui fonctionne, c’est ce qui paraît dans le même créneau : toutes les déclinaisons de Regarde-moi, Attache-moi. Ce sont des traductions d’écrivains américains qui paraissent dans des maisons d’édition renommées et qui sont diffusées en grande surface. C’est décevant parce que c’est souvent mal écrit et mal traduit, surtout. Les lectrices aiment visiblement se rassurer en restant dans un même univers. Or à côté de cela, il y a des auteurs francophones avec un imaginaire très diversifié, qui sortent des clichés et viennent nous enrichir sur le plan humain, émotionnel et érotique. »

ÉMANCIPATION FÉMININE

Trop frileuses les femmes ? Penchons plutôt pour la peur du qu’en-dira-t-on. « Il faut se rendre compte de là où on vient : le refoulement millénaire et les complexes qu’on nous a mis dans la tête. Cela ne s’évapore pas en un clin d’oeil, rappelle Elisa Brune, journaliste scientifique qui vient de publier Labo Sexo. Bonnes nouvelles du plaisir féminin aux éditions Odile Jacob. Les femmes d’il y a trois générations étaient à 100 % dans le schéma patriarcal dominateur. On fait du chemin, mais il y a une énorme inertie, y compris dans les non-dits qui font que même si les comportements changent, les mentalités ne se transforment pas aussi vite ! On a beau se conduire comme une femme libérée, on peut le faire avec une série de réserves et d’appréhensions, ou de la culpabilité, qui restent ancrées dans le psychisme. »

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Le succès des aventures de Cinquante nuances de Grey s’expliquerait notamment parce qu’il garde un fond de « morale bien-pensante ». « C’est un roman qui n’a pas beaucoup de qualités littéraires, mais il est habillé dans un scénario parfaitement avouable et convenable : c’est une relation romantique (elle est amoureuse) et morale (elle réussit à le tirer de son addiction), et seule une partie de cet imaginaire est faite de domination. C’est une savante hypocrisie que de rendre la chose inoffensive, souligne Elisa Brune. Ce qui est formidable, c’est que les femmes lisent ce roman dans le bus. C’est ça, la vraie révolution ! »

Le roman fait en effet partie du top 10 des livres oubliés à bord des avions à l’été 2014 (*), derrière la Bible (!) et le roman policier Gone Girl. Mais de là à assumer publiquement son intérêt pour la littérature porno, il y a une montagne à franchir. On susurre dans une librairie réputée de la capitale que ce serait le rayon où l’on dénombre le plus de… vols ! Excès de pudeur ? Les plus timides ont probablement des réserves à l’idée d’affronter le regard du vendeur. Anouk, 39 ans, qui a osé, s’en souvient encore : « Quand j’ai demandé où trouver le rayon spécialisé à la Fnac, le gars s’est retourné et a hurlé « Jeanine, la petite dame ici cherche des livres érotiques ». » La route est encore longue…

« S’il y a une reconnaissance de la dimension sexuelle féminine, le besoin de se projeter dans une intrigue sentimentale pour se déculpabiliser reste toutefois vivace, confirme Catherine Marx. Pourtant, la sexualité, ce n’est pas seulement être amoureux. Nos livres parlent de ces différentes thématiques. Ils s’adressent avant tout aux gens curieux de littérature qui n’ont pas de tabou par rapport au sexe : on ne se cantonne pas à une littérature masturbatoire, ni à celle à l’eau de rose teintée de soufre. »

Que cherchent les lecteurs ? Des choses différentes, qu’ils soient homme ou femme. « On reste encore dans le stéréotype, affirme la directrice des publications Tabou, la plupart de ces messieurs aiment ce qui est excitant, un passage à l’acte rapide. Alors que la majorité des filles apprécient la mise en place d’une atmosphère. Quelque chose de plus enrobé. Cela dit, certaines lisent de plus en plus de bouquins explicites et c’est un point positif. » D’ailleurs, aujourd’hui, un internaute sur trois visitant un site porno serait une… femme !

JE FEUILLÈTE, TU T’EFFEUILLES…

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Toutefois la lecture érotique a un avantage évident sur les films X : une place beaucoup plus importante à l’imagination. « Lorsqu’on regarde un porno, on est complètement passif, on subit (joyeusement) les scènes, explique Alexandra Hubin, docteur en psychologie, sexologue et auteure de Je sexopositive (éd. Eyrolles). Alors qu’à la lecture, on est co-créateur. On peut laisser vagabonder son esprit et tout créer. Ce qui offre une porte d’entrée plus grande pour que cela corresponde à nos attraits. »

Il est essentiel de choisir dans la palette de la littérature érotique, qui va du plus soft au plus hard, le style qui nous corresponde. « Ce n’est pas parce que c’est plus fleur bleue que cela ne crée pas le fantasme, rassure la spécialiste, ce qu’il faut c’est trouver la bonne tonalité à notre univers fantasmagorique. »

Parce qu’il est finalement là, le point clé : le fantasme. L’éveil sexuel. « C’est probablement un des leviers importants d’action sur tout ce qui se passe dans nos têtes, confirme Elisa Brune. Le fantasme est la chose la plus refoulée qui soit, au point que certaines femmes prétendent ne pas en avoir et ne pas savoir. Or, bien évidemment, ils sont là et ont une utilité : ils sont le carburant pour la libido. Le désir ne fonctionne pas sans l’imaginaire, sans l’activité fantasmagorique. L’ouvrage érotique est une source fondamentale pour le fantasme. »

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Comment opter pour le bon roman ? Peut-être en commençant par en choisir un qui a été écrit par une personne du même sexe. « Lors de ma thèse de doctorat, j’ai constaté que cela créerait une plus grande réactivité pour le plaisir sexuel. Car les auteurs féminins, par exemple, vont s’inscrire davantage dans le ressenti, tandis que leurs homologues masculins vont décrire des pratiques, des positions, affirme la sexologue. L’objectif de cette littérature, c’est qu’elle éveille le désir… et nous donne l’envie d’expérimenter autre chose, s’ouvrir à d’autres possibilités. Rester dans la créativité, pleine de découvertes, à l’écoute de l’un et de l’autre. Mais aussi éviter les sentiers battus qui, à force d’être mille fois empruntés, vont perdre de leur charge érotique. » Un secret de longévité du couple, alors, la littérature lubrique ?

VOYAGE AU BOUT DE L’EXQUIS

« J’ai une énorme boîte de courrier de lecteurs. Des compliments de personnes qui racontent avoir élargi leurs connaissances. Qu’ils ont eu envie de faire l’amour, qu’ils se sont décomplexés, qu’ils osent enfin parler, se toucher ou que cela a relancé leur couple », s’amuse Françoise Rey, surnommée « la grande dame de l’érotisme », dont la bibliographie affiche 38 titres hot et dont le dernier, Le bal des cochons, est un recueil de nouvelles truculentes.

La femme de papier de Françoise Rey
La femme de papier de Françoise Rey© DR

Tout a démarré en 1989. Lorsque, en pionnière, elle a osé publier La femme de papier, son premier roman érotique et autobiographique, en son nom… Alors qu’elle était institutrice dans une école de campagne et maman de deux enfants. « J’étais consciente de prendre des risques, mais j’avais décidé de ne plus jamais avoir peur du regard des gens. J’avais ma conscience pour moi – je n’avais ni assassiné, ni volé personne -, et c’était à ce prix-là qu’était la tranquillité. Je n’ai jamais eu aucun problème. »

Françoise Rey a du mordant. Tant dans son débit de paroles que dans son imaginaire. Ce qui fait de bons romans. Les intrigues qui fonctionnent le mieux selon elle ? « Je n’en sais rien. Elles me viennent en fonction de mes rencontres, même furtives : d’un seul coup, une personne peut entrer dans mon casting privé. L’amour en marge est le résultat d’un face-à-face dans une rue à Bruxelles avec deux loubards. Alors que j’avais peur, l’un d’eux m’a dit : « Vous êtes belle, madame. » Nos regards se sont croisés. Je me le suis payé sur papier… Mon univers est au plus près de ce qui est vivant. Je fabrique l’érotisme dont j’ai manqué. »

Parce que cette grand-mère de six petits-enfants ne lit pas de livres érotiques : « Je les trouve gnangnans. Pour le moment, je suis jury dans un concours de nouvelles et je m’ennuie profondément : tout se ressemble, ça tourne en rond. J’aimerais quelque chose qui prenne aux tripes, avec une situation et des personnages plausibles. Jeune, j’ai été très sensible aux Onze mille verges d’Apollinaire, car il était caricatural. J’aimais la puissance du mot. C’était cru, ça m’a incendié le ventre. »

Dernière façon littéro-sexuelle d’ajouter une dose de sensation au creux des reins : l’arrivée du Little Bird. Le premier sextoy féminin directement relié à la lecture d’un roman érotique sur Kindle. Il suffit d’un effleurement pour que le joujou vibre… en adéquation avec la trame littéraire. Parmi les nouveautés de la collection B-Sensory ce mois-ci, Hard Corps Gamer d’Olivia Billington, une auteure belge, qui raconte l’histoire d’Alex, un gamer qui teste un nouveau jeu virtuel : choisir les ébats sexuels d’un couple d’inconnus, Irina et Bastien, prêts à vivre toutes sortes d’expériences érotiques. Voilà un cadeau de Saint-Valentin plus ciblé que le traditionnel bouquet de fleurs…

(*) Etabli par la compagnie British Airways sur ses vols long-courriers.

PAR VALENTINE VAN GESTEL

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