Amour du vertige

MATHIEU NGUYEN © frédéric raevens

« Un nouveau type social allait naître dans la tour, une personnalité nouvelle, plus détachée, peu accessible à l’émotion, imperméable aux pressions psychologiques de la vie parcellaire, n’éprouvant pas un grand besoin d’intimité : une machine d’une espèce perfectionnée qui tournerait fort bien dans cette atmosphère neutre.  » En 1975, quand J.G. Ballard clôture sa  » trilogie du béton  » avec I.G.H. ( » Immeubles de Grande Hauteur  » ou High-Rise en VO), il s’imagine des  » villes verticales  » autosuffisantes dans lesquelles cohabitent des milliers de citadins, chacun occupant un étage conforme à son rang, des cimes aux plus bas niveaux. Inutile de préciser que sous la plume acérée de l’auteur britannique, ce petit monde hiérarchisé ne manque pas de joyeusement s’étriper et que cette vision paranoïaque des ensembles démesurés d’habitations viendra renforcer un imaginaire millénaire : la recherche d’altitude est un contexte anxiogène, le théâtre haut perché d’histoires qui finissent toujours mal, de la tour de Babel à La Tour infernale. Mais après tout, que connaissait Ballard de cette existence en semi-apesanteur, lui qui passa la majeure partie de la sienne dans son pavillon de Shepperton, charmante bourgade du nord du Surrey ? On est en droit de se poser la question, bien qu’à sa décharge, reconnaissons que cette aversion pour les biotopes anonymes,  » environnements construits non pour l’homme, mais pour son absence « , trouve certainement sa source dans les désastreuses politiques urbanistiques censées répondre à la crise du logement au cours de la seconde moitié du xxe siècle.

Autrefois symbole de du0026#xE9;shumanisation et de modernitu0026#xE9; du0026#xE9;voyu0026#xE9;e, l’habitat superposu0026#xE9; se ru0026#xE9;invente en un nouvel art de vivre.

De nos jours, si l’on évite désormais de défigurer centres urbains et périphéries en y plantant des barres de ciment, nous n’avons pas relevé les défis du passé pour autant – attractivité, explosion démographique, exode rural, on connaît les raisons pour lesquelles nous sommes sans cesse plus nombreux à nous masser en agglomération. Dès lors, voir s’envoler le prix du mètre carré encourage certains à lever les yeux, pour reprendre la course vers les sommets. Autrefois symbole de déshumanisation et de modernité dévoyée, l’habitat superposé se réinvente en un nouvel art de vivre, porteur de pistes enthousiasmantes pour l’avenir de nos sociétés – on a longtemps pensé que la vie loin du sol isolait, elle pourrait finalement contribuer à retisser du lien entre les gens. Dans ce numéro, retrouvez les désirs de culminance d’hommes et de femmes pas pressés de redescendre sur terre, et peut-être vous surprendrez-vous à envier leur place, où le regard porte vers l’horizon, et non sur la façade d’en face.

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