Tiré du best-seller de Waris Dirie, le film de Sherry Hormann Desert Flower raconte le destin incroyable d’une fillette gardienne de chèvres devenue top model. Une femme mutilée dans sa chair, qui a osé lever le tabou de l’excision, et se bat aujourd’hui pour que cesse cette torture.

Le chiffre donne froid dans le dos : plus de 6 000 fillettes sont encore victimes chaque jour d’excision. En Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, mais aussi en Europe. Cette torture indicible, pratiquée au nom de traditions d’un autre âge, Waris Dirie l’a vécue. Cette souffrance est devenue son combat. Et le film, Desert Flower (*), tiré de sa biographie, un vecteur hautement médiatique pour, espère-t-elle,  » toucher le monde entier « . Très impliquée dans la production, l’ex-top a tenu à ce que l’excision soit évoquée de manière plus qu’explicite. La scène insoutenable, les hurlements de la fillette qui interprète Waris enfant, vous prennent aux tripes et ne vous lâchent plus.  » Tant mieux, dit-elle froidement. C’était notre but. Emouvoir les gens pour qu’ils sortent du cinéma en se demandant ce qu’ils peuvent faire pour arrêter cela.  »

Cette maman de deux garçons en est convaincue : c’est en donnant aux femmes plus d’indépendance financière qu’elles auront les moyens de tenir tête à ceux et celles qui veulent s’en prendre à leurs filles. Fantasque, elle refuse de répondre aux questions qui ne l’intéressent pas : sa vie de mannequin, c’est du passé. Et surtout matière à devenir un autre best-seller en cours d’édition. Mais elle s’emballe dès qu’on la lance sur la burqa et toutes les formes de violences faites aux femmes.  » Tu sais ma s£ur, il faut cesser d’effrayer les gens au nom de Dieu !  » Tope là !

Vous êtes-vous retrouvée dans l’image glamour que le film de Sherry Hormann donne de vous ?

J’ai beaucoup aimé le film mais ce n’était pas mon intention de me retrouver dedans. C’est une fiction. Qui ne peut que tenter de se rapprocher d’une réalité forcément plus brute, plus intense, probablement plus tragique mais plus heureuse aussi. Si j’ai accepté que l’on tourne un film sur ma vie, c’est uniquement pour que l’on reparle haut et fort de l’excision.

Est-ce vrai que c’est votre fils Aleeke qui a choisi l’actrice Liya Kebede qui vous incarne à l’écran ?

Si on veut ! Un jour, la production m’a envoyé un DVD avec trois profils d’actrices différentes. J’étais en train de la visionner et soudain, mon fils s’est écrié :  » Maman, c’est toi qui passe à la télévision !  » J’ai eu un choc. Je me suis souvenue alors que je l’avais déjà croisée lors d’une soirée chez Iman ( NDLR : la femme de David Bowie) à New York. Mais une fois que la décision a été prise de lui offrir le rôle, je ne l’ai revue que le dernier jour du tournage, à Berlin, pour ne pas l’influencer.

Avez-vous déjà parlé de votre enfance à vos deux garçons ?

Non, ils sont encore trop petits. Mais je le ferai bientôt. Je ne les ai jamais emmenés en Afrique. Et ils n’ont aucune idée de la manière dont j’ai vécu. Je ne crois pas qu’ils puissent même l’imaginer.

Au fond de vous-même, vous sentez-vous toujours nomade ?

Bien sûr. Je suis et je reste nomade dans l’âme. Je ne sais pas tenir en place. Même ici, dans cette pièce, je me sens enfermée, j’ai besoin de bouger. Je n’aime pas regarder ou faire la même chose trop longtemps. Et si je suis heureuse de tout ce que cette vie m’a appris quand j’étais enfant, elle ne me manque pas pour autant.

Revenons à l’excision. La pratique est tellement ancrée dans les traditions que les mentalités semblent impossibles à changer. N’êtes-vous jamais découragée ?

Non, toutes les cultures, où que ce soit dans le monde, ont eu leurs coutumes atroces. Et pour certaines, on est bien parvenu à en venir à bout. Je ne vois pas pourquoi au xxie siècle on ne pourrait pas éliminer à jamais l’excision de la surface de la Terre. C’est un comportement inhumain qui n’a aucune raison d’être. Rien ne justifie que l’on mutile des femmes et des petites filles. Mais pour que cela s’arrête, il faut une volonté politique. Chaque citoyen a le pouvoir de faire pression sur ses dirigeants.

Mais en Afrique, les femmes ont-elles vraiment le choix ?

Elles sont de plus en plus nombreuses à dire non. A refuser que l’on touche à leurs filles. Mais là aussi il faut des lois qui les protègent, qu’elles puissent trouver un refuge si elles quittent le mari ou le frère dont elles dépendent, avec leurs enfants. Les femmes se libéreront du joug des hommes par l’émancipation financière. Et l’éducation. Tant que vous être illettrée, on peut vous faire croire ce que l’on veut. Une fois que vous savez lire, vous prenez conscience de vos droits. Les femmes doivent être libres de choisir leur vie.

Les défenseurs de la burqa invoquent justement le droit des femmes à pouvoir disposer d’elles-mêmes pour s’opposer à son interdiction en Europe. Qu’en pensez-vous ?

Mais la burqa, c’est une violence de plus faite aux femmes. C’est un linceul hideux, terrifiant. De quelle liberté parle-t-on pour celle qui vit derrière une prison de tissu ? Relisez le Coran, Dieu n’a jamais voulu cela. S’il (ou elle) a donné aux femmes la beauté, ce n’est pas pour qu’elles se cachent, c’est pour que cela se voie au grand jour. Alors, pas d’hésitation, la burqa, c’est non.

Pour aider les femmes africaines à prendre leur indépendance, que proposez-vous concrètement ?

Via ma fondation, je projette de créer un fonds d’investissement qui leur soit réservé prioritairement. Pour leur donner accès au microcrédit afin qu’elles puissent démarrer un business. Les femmes du tiers-monde n’ont rien mais elles vous remboursent toujours si vous leur prêtez de l’argent, croyez-moi.

(*) Sortie le 17 mars, www.waris-dirie-foundation.com

Par Isabelle Willot

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