Chocolat, frites mayo ou spaghetti bolo: pourquoi avons-nous besoin de comfort food?

© Diane Hendrikx

Chocolat, frites mayo ou spaghetti bolo : à chacun son pêché gourmand réconfortant. Mais pourquoi avons-nous tant besoin de ces aliments doudous ? Les raisons sont multiples, au carrefour de la psychologie, de la culture, de la biologie…. et du plaisir, cela va de soi.

A en croire le Wall Street Journal, 2020 était l’année de la renaissance… de la lasagne, et ce n’est pas Nora qui s’en plaignait:  » La variante la plus populaire reste la recette de ma nonna, avec sa béchamel, ses petits blocs de mozzarella et ses champignons. J’aime cette combinaison de sauce et de pâtes… mais aussi le souvenir de l’immense plat que ma maman retirait du four et que notre famille dévorait jusqu’à la dernière miette. C’était toujours un repas de fête, préparé pour nous gâter et qui continue à me réconforter.  »

Comme elle, chacun porte en lui l’un de ces mets qui remonte le moral. De la crêpe au sucre au spaghetti bolognaise, en passant par les chicons au gratin ou la dame blanche, ces  » aliments doudous  » – la fameuse  » comfort food  » de nos voisins d’outre-Manche – nourrissent le corps et l’âme. D’après Nora, le concept n’existe pas dans la Botte –  » Probablement parce que pour nous, la cuisine est toujours chargée d’émotion « , dit-elle. Sa traduction italienne du livre Comfort Food, du médiatique Jamie Oliver, a donc conservé son titre d’origine, assorti du sous-titre Porta in tavola la felicità (Invitez le bonheur à votre table).

« Nous apprenons à associer certains aliments à des soins attentionnés ou à l’amour qu’on nous porte, à la sécurité ou aux jours de fête.  »

Marie-Laurence Grézaud et Bernard Fontanille

À chacun son doudou

Le meilleur remède contre les peines de coeur serait donc de se blottir sous la couette, avec un pot de crème glacée ? Pas forcément. Une foule de mythes circulent à propos des aliments doudous, et l’un des plus faciles à démonter concerne le genre de plat qui console. Les desserts, les préparations trop grasses, chips et autres régressives  » crasses  » ont certes leurs adeptes. Mais on retrouve aussi dans ce palmarès rassérénant  » les saveurs de notre enfance  » qui suscitent un irrépressible sentiment de nostalgie parce qu’elles rappellent la douceur du premier foyer, une maman ou une mamy gâteau.

D’après les recherches de Brian Wansink du Food and Brand Lab de l’université de Cornell (Etats-Unis), les préférences diffèrent par ailleurs entre les sexes : les hommes citent, dans leur top 3, la glace, la soupe et les pizzas ou les pâtes, alors que les femmes optent pour la glace, le chocolat et les biscuits. L’explication? Les premiers associent ces favoris au fait d’être choyés, tandis que les secondes privilégient des en-cas sucrés parce que le potage ou les spaghettis sont, pour elles, synonyme de tâches ménagères – courses, cuisine, vaisselle… Le même labo a également découvert que nous avions deux fois plus tendance à manger de telles choses lorsque nous sommes de bonne humeur que lorsque nous sommes tristes : dans 74 % des cas, nous fêtons nos succès ou nos petits bonheurs en nous offrant une gâterie, tandis que l’ennui (52 %) et la solitude (39 %) nous poussent à moins grignoter.

Fondamentalement, les aliments-doudous n’ont d’ailleurs rien à voir avec la faim, expliquent Marie-Laurence Grézaud et Bernard Fontanille dans leur ouvrage Ces aliments qui rendent heureux (Michel Lafon).  » Notre premier lien affectif, celui que nous nouons avec notre mère, se focalise presque entièrement sur la nourriture. Plus tard, nous apprenons à associer certains aliments à des soins attentionnés ou à l’amour qu’on nous porte, à la sécurité ou aux jours de fête. Les bonbons de grand-mère lorsque nous lui rendons visite, la tartine qui nous console après une chute, le morceau de chocolat qui nous récompense : ce sont autant d’associations qui deviennent une sorte d’automatisme. Notre histoire personnelle, la culture, le lieu et la famille au sein desquels nous avons grandi, nos souvenirs et expériences génèrent tous des liens de ce type.  »

Sans forcément évoquer des réminiscences concrètes, les plats qui y correspondent apportent dès lors, inconsciemment, une impression de sécurité, d’avoir quelqu’un pour s’occuper de soi, d’être à sa place.

Chocolat, frites mayo ou spaghetti bolo: Pourquoi avons-nous besoin de comfort food?
© Diane Hendrikx

Effet de groupe

Dans le cadre de son Food and Brand Lab, Brian Wansink a réalisé une série d’entretiens visant à comprendre pourquoi une personne donnée favorisait un aliment réconfortant spécifique.  » Une femme avait par exemple l’habitude de mélanger du pop-corn et des M&M’s, car elle aimait cette combinaison sucré-salé… Mais aussi parce qu’elle le faisait déjà, durant ses études, avec celui qui allait devenir son mari. Ce snack continuait à susciter chez elle un sentiment de bien-être.  »

Ces associations ne remontent donc pas forcément à notre enfance et il est possible que d’autres aliments accèdent au statut de doudous suite à un événement agréable. Le chercheur a également découvert que certains plats apparaissent comme un prolongement de la personnalité – certains s’identifient par exemple comme des mangeurs de miso -, qui peut donc créer un sentiment d’appartenance.

Shira Gabriël, professeur à l’université de l’Etat de New York, à Buffalo (Etats-Unis) et spécialiste de renommée mondiale dans le domaine de la comfort food confirme, elle aussi, que le sentiment de sécurité qu’apporte cette nourriture pansement dépasse largement le cadre de la satisfaction physique. Ses recherches, basées sur le réconfort offert par un paquet de chips et sur le lien unissant ses sondés, ont révélé que derrière ce concept se cache aussi une dimension sociale.

« Il n’est jamais trop tard pour développer de nouvelles associations positives ou pour faire d’un plat ou d’un produit votre nouveau doudou.  »

Brian Wansink

Les participants qui créaient facilement des liens émotionnels forts entre eux étaient aussi ceux qui retiraient le plus grand bénéfice de la consommation de cet en-cas ; tandis que ce dernier avait moins d’impact sur ceux qui gardaient leurs distances et étaient dans l’évitement. Comme si les chips conféraient, à ceux qui ont besoin d’interactions, de la compagnie quand ils se sentent seuls.  » Celles et ceux qui ont des liens familiaux positifs et des amitiés solides vont dès lors, plus que les autres, se tourner vers des aliments de ce genre, analyse la spécialiste dans le podcast The Food Chain sur BBC Sounds. Un croque-monsieur qui vous rappelle les bons moments de votre enfance peut faire un bien fou… alors que si vous avez eu une enfance malheureuse, il est moins probable que vous vous consoliez avec un tel toast.  » Les individus qui ont souffert dans leur jeunesse retireraient donc un bénéfice moindre des aliments doudous, alors même qu’ils pourraient en avoir plus besoin que les autres.

Le cerveau de l’opération

Si la psychologie joue un rôle déterminant dans notre rapport à la nourriture, d’autres facteurs entrent en ligne de compte, soulignent les auteurs de Ces aliments qui rendent heureux : si nous nous tournons volontiers vers des produits gras, sucrés ou salés, c’est aussi parce qu’ils ont un effet réel sur notre cerveau.

Spécialiste de la communication entre l’intestin et le cerveau, le professeur Lukas Van Oudenhoven, de l’université de Louvain, a travaillé sur cette question.  » Il est important de distinguer ici la consommation ponctuelle d’un aliment et les habitudes à long terme, insiste-t-il. A brève échéance, nous savons tous que nous sommes plus irritables lorsque nous avons faim, même s’il existe des différences individuelles. Nombre de personnes sentent aussi que des aliments caloriques, gras et sucrés, influencent leur humeur. Cela s’explique en partie par le fait que ces produits sont savoureux, mais ce n’est tout. Certains aliments, une fois dans notre système digestif, guident en réalité nos émotions. Lors de notre étude, pour contourner les aspects psychologiques, les souvenirs et les facteurs purement sensoriels, nos patients ont reçu de l’eau ou une solution de graisse directement dans l’estomac. Ils ont ensuite été exposés à de la musique et à des images déprimantes. Conclusion ? Les sujets qui avaient reçu (à leur insu) la solution grasse étaient deux fois moins tristes que ceux à qui nous avions administré de l’eau. Même à faibles doses, les graisses incitent des cellules spécialisées du système digestif à produire des hormones qui vont envoyer des signaux vers l’hypothalamus. Nous savions déjà que ce mécanisme jouait sur la sensation de satiété, mais nous avons découvert que son impact se manifeste aussi sur le plan émotionnel.

 » Il n’est jamais trop tard pour développer de nouvelles associations positives ou pour faire d’un plat votre doudou. « 

Il en est de même avec les produits sucrés ou riches en glucides, comme la purée de pommes de terre ou les pâtes, car l’intestin les convertit en glucose, qui va là encore influencer notre production d’hormones et donc notre cerveau. Cet effet est de courte durée – jusqu’au prochain repas – mais se manifeste vite, de telle sorte que nous apprenons rapidement que manger gras nous donne un coup de fouet. Un aliment doudou ne va toutefois pas vous remonter durablement le moral, que du contraire, puisqu’un abus peut se solder par du surpoids et un dérèglement hormonal. A plus long terme, chercher le réconfort dans ces aliments n’est pas une bonne stratégie.  »

Chocolat, frites mayo ou spaghetti bolo: Pourquoi avons-nous besoin de comfort food?
© Diane Hendrikx

Consommer des aliments riches en fibres est par contre excellent pour le moral, comme l’a également mis en avant l’expert.  » Nous ne digérons pas nous-mêmes les fibres présentes dans les légumes, les fruits et les légumineuses : cette tâche est déléguée aux millions de bactéries de notre gros intestin, qui se chargent de les faire fermenter et libèrent par la même occasion des substances abaissant la sensation de stress au niveau du cerveau. Les fibres tempéreraient donc notre réponse au stress. Ce processus est toutefois plus lent et se fait sentir non pas après une heure, mais après plusieurs jours, voire une semaine. C’est pour cette raison que nous n’avons pas conscience de ce lien.  »

D’autres habitudes

Reste que la comfort food est souvent mal vue, car associée au gras et au sucré. Sa consommation s’accompagne donc, dans notre culture focalisée sur la santé, d’une dose de culpabilité. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de changer ses habitudes, souligne Brian Wansink :  » Il n’est jamais trop tard pour développer de nouvelles associations positives ou pour faire d’un plat votre doudou.  » Et d’encourager tout un chacun à dresser la liste de ses chouchous gourmands, pour ensuite la modifier.  » Il ne faut pas désespérer si elle ne comporte que des produits caloriques : la clé, c’est de commencer à associer à des événements positifs des nourritures plus saines. La prochaine fois que vous voulez fêter une réussite ou passer un moment romantique, remplacez la glace par un dessert savoureux mais léger. Si vous avez besoin de vous remonter le moral, optez pour une gâterie qui ne soit pas une bombe calorique. Cet aliment ne tardera pas à s’inviter parmi vos favoris.  »

Et ça marche, confirme Irène (51 ans).  » Grande voyageuse, je prends plaisir à goûter des plats inconnus et à les reproduire à la maison. A Hawaii, j’ai découvert le poke, du poisson cru mariné qui se marie à merveille avec de l’avocat ou de la mangue ; en Inde, les currys de légumes ; et au Liban le fatteh (un plat de viande hachée et d’aubergines surmonté de yaourt). Ces trois préparations sont aujourd’hui devenues ma comfort food : elles me réchauffent le corps et l’âme. Le tout sans sucre ni crème fraîche !  »

Le changement se fait parfois d’une façon tout à fait spontanée. Evolution culturelle aidant, il y a fort à parier que le riz au lait a perdu de sa popularité chez les ados.  » Beurk, non merci, grimace Cas (14 ans). Pour moi, rien ne vaut les sushis. Je pourrais en manger des tonnes et après, je suis apaisé.  » Sa soeur Lien (12 ans), elle, est fan des wraps mexicains de sa maman.  » Avec de l’avocat écrasé, de la salade de chou, du poulet mariné, une dose de piment et une sauce aigre au yaourt.  » Plutôt sain !

Bien choisie, la comfort food apporte donc son lot d’émotions positives. Et c’est pour cela qu’il faut lui accorder l’importance qu’elle mérite.  » Les gens se demandent souvent pourquoi ils viennent de se gaver d’aliments-réconfort alors qu’ils n’avaient même pas faim, observe Shira Gabriël. Ce qu’ils ne réalisent pas, c’est que finalement, notre corps et notre cerveau ont trouvé là une belle manière de prendre soin de nous.  »

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