Daniel Auteuil joue les faux homosexuels dans  » Le Placard « , mais garde son parler vrai dans la vie réelle. Rencontre avec un quinqua épanoui.

Il semble rajeuni, Daniel Auteuil. Celui dont quelques rôles denses ou tragiques ( » Mauvaise Passe  » et  » Sade « ,  » La Fille sur le pont  » et  » La Veuve de Saint-Pierre « ) avaient souligné la maturité artistique et physique a retrouvé ses airs de jeune homme pour incarner le héros du  » Placard « . Dans la nouvelle comédie de Francis Veber, Auteuil joue un comptable plutôt pâle et ennuyeux, qui va être licencié par la société qui l’emploie. Un voisin lui glisse alors une idée: s’il faisait l’objet d’une (fausse) dénonciation d’homosexualité au sein de l’entreprise, celle-ci pourrait craindre, en le virant, d’être accusée d’homophobie. Et ce d’autant qu’elle fabrique des préservatifs et ne saurait souffrir un boycott de la part des organisations  » gay « … Entouré notamment d’un Thierry Lhermitte manipulateur et d’un Gérard Depardieu macho, Daniel Auteuil fait merveille dans son premier emploi  » léger  » depuis plusieurs années. Lors de notre rencontre parisienne, il semblait très en forme, plein d’appétit pour de nouveaux rôles dont le suivant sera nettement moins souriant. L’harmonie qui émanait de lui n’empêchait pas l’humour – qu’il a aiguisé – de décocher quelques flèches.

Weekend Le Vif/L’Express: Votre personnage du  » Placard  » voit le regard des autres changer à l’annonce de sa prétendue homosexualité. Avez-vous, vous aussi, vu le regard des gens autour de vous changer, lorsque vous êtes devenu célèbre?

Daniel Auteuil: Bien sûr! Mais j’avais déjà constaté ce phénomène sur les autres, quand j’étais jeune. Enfin, plus jeune (rire). J’avais remarqué, par exemple, que les premières apparitions à la télé de certains chanteurs, rediffusées alors qu’ils étaient devenus célèbres, semblaient toutes pleines de promesses qui n’étaient pas forcément apparues au moment même. Comme à l’inverse nous n’aimons tout d’un coup plus tel ou tel chanteur et le revoir dès lors ne dégage plus aucune magie. Vu de l’intérieur, lorsque je l’ai vécu moi-même, le changement de regard est une expérience très particulière. Les regards de sympathie, d’admiration, de désir…

De désir? Vous voulez dire que d’un seul coup, cela devenait plus facile avec les filles?

Eh oui! Voilà! Bien sûr… (Il tousse.) Là je ne ris pas, pour faire le mec sérieux, qui est au-dessus de tout ça… Mais je suis tout à fait d’accord (rire)! C’était bien plus facile…

Est-ce important d’avoir autour de soi quelques personnes dont le regard ne change pas, lui, malgré le succès?

Bien sûr. Mais en même temps, l’importance du regard des autres ne doit pas être surestimée. Si je suis mal, le fait qu’on me regarde avec compassion sera bien sympathique, mais cela ne changera rien fondamentalement, je vais continuer à être mal.

Pouvez-vous jouer de ce regard des autres?

Je pourrais, oui. Car ce regard, c’est une forme de crédit qu’on m’accorde. Si, par exemple, j’étais paresseux (je ne le suis pas), et que je rate une scène, je pourrais me dire que ce n’est pas grave, que cela n’entamera pas ce crédit. Mais je m’efforce de l’éviter (rire).

Il y a aussi le regard de ceux qui ne vous aiment pas…

Oui, mais bizarrement je n’en fais donc pas l’expérience. Non, le regard des autres, pour moi, c’est une expérience agréable, très agréable. Je le vis vachement bien. Et j’EN vis vachement bien (rire)!

Qu’est-ce que cela vous a fait de retrouver un personnage de timide?

C’était le premier depuis longtemps, en effet. Au moins vingt ans. J’avais vraiment tout fait pour évacuer cette timidité. En fait, j’ai fini par réaliser que je n’étais pas timide. J’étais sauvage (rire)! J’étais réservé. La timidité, je l’avais absorbée en montant sur scène très tôt, dès l’âge de 16 ans. Mais c’est devenu comme un fond de commerce lorsque j’étais jeune… Je n’aime pas me revoir à l’écran. Parce que cette timidité n’était pas vraie, elle était jouée. Depuis, j’ai fait des progrès. Ce que je restitue à l’écran aujourd’hui est bien plus intégré à ma propre personnalité. Je tiens des rôles de composition on ne peut plus différents, mais je les fais de l’intérieur. C’est assez marrant!

Vous avez travaillé à un rythme soutenu, ces dernières années.

Oui. J’ai compris que la rareté, cela ne servait strictement plus à rien. Se faire rare pour augmenter le désir qu’on a de vous voir? Ça n’a plus aucun sens avec toutes les rediffusions télé, la vidéo, le DVD. Vous vous arrêtez deux ans? Tout le monde s’en fout éperdument! Là, je viens d’arrêter quatre mois. Eh bien on ne m’y reprendra plus. Je ne somatise pas, l’angoisse de l’acteur devant l’absence, je m’en moque complètement. Non, il se trouve simplement que je m’emmerde (rire)! Et je n’aime pas ça…

C’est donc la télé, qui installe vraiment un acteur?

Depuis quelque temps, oui. Quand je traversais des périodes moins fastes, qu’on ne voulait pas trop de moi, à Avignon, les gens demandaient à mes parents  » Eh bien qu’est-ce qu’il fait, votre fils? On ne le voit plus jamais à la télé… » (rire).

Vous allez bientôt incarner, pour Nicole Garcia,  » L’Adversaire  » (d’après le roman d’Emmanuel Carrère). L’histoire vraie d’un homme qui tue toute sa famille après lui avoir longtemps menti en s’inventant une vie professionnelle totalement imaginaire.

Il a tué ses parents, son épouse, ses enfants… Il avait réussi à établir un cloisonnement total entre ses proches et le monde extérieur qu’il s’inventait. Nous tous, quand nous avons un très gros secret, il se trouve toujours quelqu’un (ne fût-ce qu’un psychanalyste) pour pouvoir l’entendre et le partager avec nous. Ce type a porté son secret tout seul. Cela me fascine, comme me fascine le fait qu’autour de lui, personne n’ait sans doute voulu voir qu’il y avait mensonge.

Cette histoire, elle parle aussi de la peur, de cette peur qui se répand dans toute notre société actuelle.

C’est le sentiment contemporain par excellence, la peur. Elle nous entoure, elle nous étouffe, elle imprègne toute l’information qui nous arrive. Elle touche tous les domaines, la santé, la sécurité, les enfants, la bouffe. Je vis cette peur comme vous la vivez sans doute vous-même. Je contemple ce voile gris que j’ai envie d’arracher. On a envie d’agir mais on reste cloué. C’est en tout cas comme ça que je le ressens. Une paralysie devant cette peur qui monte. Il n’y a rien de drôle… à part le film de Veber (rire)!

Les jeunes comédiens qui ont joué avec vous vous couvrent d’éloges, ceux qui ne l’ont pas encore fait vous citent en tête des grands noms avec lesquels ils aimeraient travailler. D’où vient cette unanimité?

Je la constate, elle me touche, mais que voulez-vous que je vous dise à ce propos qui ne sonne pas prétentieux?

Je reformule ma question. Qu’espérait trouver au contact des grands le jeune acteur débutant que vous avez été?

Ce que je n’ai pas trouvé, et que j’essaie de donner aujourd’hui aux jeunes dont je croise le chemin. Je les mets à l’aise. Montand l’a fait pour moi, mais c’était l’exception.

Cette générosité qu’on vous reconnaît vient-elle de là?

Elle vient de ma passion.

Aussi de votre goût pour l’harmonie?

Oui. Je n’ai aucune énergie pour des rapports conflictuels, pour la compétition, ni pour le pouvoir. Mon énergie, je la tends vers le travail, et vers le plaisir. Notamment celui d’être ensemble et de partager des choses.

L’âge vous a apporté la maturité. Un jour il vous privera de certains rôles…

Il y aura sélection naturelle. Vous savez, je refuse déjà des choses parce que je m’estime trop âgé, parce que certains comportements du personnage me sembleraient incongrus à jouer pour l’homme que je suis aujourd’hui.

Mais le risque ne vous fait toujours pas peur?

Il ne manquerait plus que ça! Vous savez, le risque, pour un acteur, c’est simplement d’être ridicule. Rien de bien dramatique, comparé à d’autres métiers. Moi, les acteurs qui jouent du violon sur les risques fous qu’ils prennent, je les trouve carrément cons.

Propos recueillis par Louis Danvers

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