Diversité de points de vue

© KAREL DUERINCKX

Avant de bifurquer vers le journalisme, j’ai étudié l’architecture. C’était à la fin des années 90, à une époque où la question des racines ne se posait pas encore avec autant d’insistance dans nos auditoires, comme ailleurs d’ailleurs. En y réfléchissant, je pense que tous mes professeurs étaient belges, ou européens… Mais ils nous invitaient déjà à observer le monde ; il aurait été dommage de se limiter à notre minuscule territoire pour prendre le pouls d’une discipline aussi vaste que ne l’est l’art de bâtir. Nous entraînions donc notre oeil à percevoir la différence, à découvrir d’autres cultures, d’autres façons de penser, de construire. Nous avions visité Istanbul, étudié les habitats de peuplades d’Océanie, appris comment le Japon se prémunissait des tremblements de terre et analysé l’histoire des bâtiments à travers les âges et les régions… Nous avions conscience du besoin de s’adapter à un lieu, de la nécessité de parler avec les habitants pour leur dessiner un espace, de lire et regarder ce qui se fait sous d’autres cieux avant de tracer le premier trait.

Lire et regarder ce qui se fait sous d’autres cieux avant de tracer le premier trait.

Lorsqu’il a été question de consacrer ce Black design à la diversité dans le paysage architectural belge, nous avons donc trouvé, sans trop de difficultés, d’anciens étudiants repartis vers leurs terres natales et qui ont pu tirer profit de ce bagage reçu chez nous, pour faire face, de Beyrouth à Bamako, à des situations tout autres. « L’héritage de la Belgique, c’est plutôt dans la manière de penser, la démarche pour aborder une question », nous a confié le Libanais Joe Bitar, formé à Saint-Luc Bruxelles.

Mais quand est arrivée la volonté de rencontrer, pour ce numéro également, des concepteurs de chez nous, aux origines étrangères, nous nous sommes au départ retrouvés devant une page vide. D’abord parce qu’il y en a très peu — il reste des plafonds sociaux, au sein de la scolarité notamment, comme le démontre notre enquête dans ces pages. Mais aussi parce que certains ne désirent pas être étiquetés de la sorte, mettant en avant l’importance des compétences, du brassages d’idées et d’énergies, plus que l’appartenance ethnique. « Personnellement, je trouve que les quotas sont à double tranchant. Depuis quelque temps, je suis de plus en plus sollicitée pour des jurys et des postes vacants, car je coche de nombreuses cases: je suis une jeune femme, j’ai mon propre cabinet, j’écris, j’enseigne et je suis issue de l’immigration. Au bout d’un moment, vous ne savez plus si l’on vous demande votre avis en raison de votre profil ou de vos réalisations », déplore Asli Çiçek, scénographe, professeur et architecte d’intérieur turque, installée dans notre capitale.

Il n’empêche. Dans une nation comme la nôtre, où un habitant sur trois est issu de l’immigration, il semble indispensable que toutes les franges de la population soient représentées au sein des équipes qui pensent nos lieux de vie. Et ce, que l’on parle de culture… ou de genre, comme nous le rappelle, également dans ce magazine, l’architecte bruxelloise Oana Bogdan, originaire de Roumanie: « Les hommes et les femmes ont une expérience différente du monde. La nuit, j’ai peur de me promener seule dans la rue, et j’en tiens compte dans mes projets. » Autant de défis à relever pour tendre vers des espaces plus tolérants et égalitaires.

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