DROIT AU BRUT

Le séjour s'enroule autour de l'escalier central. On y voit ici une table de salon créée par le propriétaire, Thomas Serruys, et une chaise en bois et métal de l'architecte belge Léon Stynen. © JAN VERLINDE

Longtemps abandonnée et envahie par la végétation, cette maison aux volumes d’une grande modernité, dessinée par l’architecte belge Marc Dessauvage au cours de sa trop brève carrière, entame aujourd’hui une seconde vie.

Le secret est bien gardé. Dans ce bosquet de la région brugeoise, se cache un ovni qui rappelle, de loin, la fameuse Maison sur la cascade du maître Frank Lloyd Wright, construite en 1936 en Pennsylvanie et qui fait office de manifeste du modernisme. S’il est très probable que le concepteur, le Belge Marc Dessauvage (lire par ailleurs), ait pensé au monument américain en tirant les plans de cette demeure forestière, en 1972, il ne s’agit néanmoins pas d’une pâle copie de l’oeuvre. Le bâtiment affiche en effet une grande originalité avec ses modules cubiques imbriqués pour former une croix et dont les angles sont dématérialisés par de hautes fenêtres.

L’ouvrage remarquable fut cependant délaissé durant une dizaine d’années, menaçant de disparaître à tout jamais… Jusqu’à ce que Thomas Serruys, un Brugeois spécialisé dans le commerce d’objets vintage et ayant aussi développé une série de tables de salon en métal – des pièces uniques inspirées par des modèles de Diego Giacometti, Jean Royère, Ado Chale ou Christian Krekels -, rachète le bien avec sa compagne, Katharina Smalle.  » Le lieu était en passe d’être englouti par la nature, se souvient l’antiquaire. L’habitation ne figure dans aucun livre de référence sur l’après-guerre et n’avait jusqu’ici pas reçu l’attention qu’elle méritait.  » Pourtant, n’ayant jamais été transformée, la villa avait conservé son caractère unique et son authenticité.  » Erigé dans les années 70, ce projet témoigne de la manière dont on travaillait le béton à l’époque, dans la mouvance du courant brutaliste « , explique Katharina, collaboratrice du bureau d’architectes Que Mas, à Ostende. Ayant grandi dans un logis de ce type, la jeune femme s’intéresse de près à ce style qui reste malheureusement méconnu et sous-valorisé dans notre pays. Et ce alors que la Belgique compte quelques perles du genre. On songe par exemple aux réalisations de Juliaan Lampens, Paul Felix et Jan Tanghe, qui ont développé, dans la foulée de Le Corbusier, des buildings épurés qui font la part belle à ce matériau minéral. Ajoutez-y l’influence du brutalisme brésilien – représenté par des ténors comme Paulo Mendes da Rocha ou Oscar Niemeyer -, et vous voilà dans l’univers de Marc Dessauvage, qui avait à l’époque conçu pour lui-même cette retraite au fond des bois. Un logis où il ne vivra finalement que quatre ans, jusqu’à son décès prématuré, en 1984.

MAISON HANTÉE

Dressée sur un terrain marécageux, alimenté par diverses sources, et enjambant un ruisseau, la structure du bâtiment est constituée d’une série de piliers qui permettent à l’eau de s’écouler en dessous du volume.  » En hiver, il y en a pratiquement jusqu’à la porte ! Le chantier n’a pas dû être une sinécure, car il a dû être mené avec beaucoup de précautions, dans le respect de la nature environnante… « , fait remarquer Thomas Serruys. Tandis qu’un logement classique est généralement construit selon un plan assez prévisible, ici, la manière dont les espaces de vie enlacent l’escalier central et la position des baies rendent l’organisation spatiale complètement différente.  » Les ouvertures donnent une image panoramique du bois environnant. C’est un peu comme de parcourir une à une les séquences d’un film, affirme le propriétaire. Tout semble perpétuellement en mouvement, grâce à la dynamique très particulière générée par la lumière et le vent dans les feuillages. C’est ce qui rend la vie dans ce genre d’endroit si étonnante.  »

L’édifice étant classé, les habitants ont dû préserver son allure, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, conservant l’ossature et les finitions et n’apportant que de légères modifications pour régler les problèmes d’humidité et installer un système de chauffage au sol. Ils ont bien sûr également débroussaillé la jungle du jardin pour dégager des terrasses et améliorer l’apport de lumière naturelle dans les pièces de vie.  » Certains candidats acheteurs auraient voulu la transformer de fond en comble – plâtrer les murs, par exemple, ou à tout le moins les repeindre en blanc – mais ce n’était pas autorisé, relate Thomas Serruys. Elle a d’ailleurs été en vente pendant un bon moment sans guère susciter de réel intérêt, justement parce qu’elle avait l’air passablement délabrée avec son côté « maison hantée », ses châssis béants et les arbres qui menaçaient de l’envahir.  » Dans ce sanctuaire d’une époque révolue, le duo a misé sur un mobilier fait de trouvailles éclectiques et de créations personnelles des deux collectionneurs, donnant à ce que d’aucuns auraient pu qualifier injustement de bunker des airs arty.  » Une oeuvre comme celle-ci pousse à réfléchir à ce que peut signifier l’originalité « , conclut le maître des lieux.

PAR PIET SWIMBERGHE / PHOTOS : JAN VERLINDE

 » CE PROJET TÉMOIGNE DE LA MANIÈRE DONT ON TRAVAILLAIT LE BÉTON À L’ÉPOQUE, DANS LA MOUVANCE DU COURANT BRUTALISTE.  »

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