Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(1)  » La Mode racontée à ceux qui la portent « , éd. Hachette/Littératures.

 » J’aime, j’aime pas, j’aime, j’aime pas « . Tom Ford, le futur ex-directeur artistique du groupe Gucci,  » le grand ayatollah « , comme l’ont baptisé les envieux, décide, tranche, rejette. Peu de projets, parmi les centaines qui lui sont proposés, trouvent vraiment grâce à ses yeux. Il voit tout, il sait tout, il contrôle tout. Dans la haute cour modeuse, qui compte ses demi-dieux, ses petites vedettes, ses génies, ses artisans, ses parasites, ses deuxièmes ou troisièmes couteaux, voire même ses paresseux, c’est une star.

C’est dans cet univers impitoyable que la journaliste Marie-Pierre Lannelongue a mené une passionnante enquête (1). On peut ainsi, dans les coulisses feutrées des salons, croiser des personnages à la notoriété variable mais tout aussi fascinants que troublants. Une savoureuse galerie de portraits pour une saga aux nombreux rebondissements.

Prenez au hasard le sanguin, mais surdoué Signor Bertelli qui, avec sa femme Miuccia, a créé Prada. Le voilà tout sucre tout miel dès qu’il s’agit de reprendre dans ses filets la créatrice Jil Sander. Ou bien la rigide, la terrorisante Anne Wintour, celle-là même qui a la haute main sur le magazine  » Vogue  » américain et qui, d’un seul bâillement ostentatoire, peut réduire à néant un défilé et donc toute une collection. Il y a aussi l’hypertalentueux et inoxydable empereur Karl, aux vacheries brillantes et cruelles. Sans oublier les vestales de la rue Montaigne à Paris aux langues bien pendues, avides de ragots ou de fâcheries.

On plonge aussi du côté de Zara City ou Zarapolis, au fin fond de la Galice, là où le mystérieux Armancio Gaona, dix-huitième fortune au hit-parade de  » Forbes « , établit sa stratégie pour envahir la planète. On l’accuse de copier les grands. Pis, le copieur va parfois plus vite que le copié. Espionnage industriel, vols ? On soupçonne certains photographes ou rédactrices de mode de trahir. Bref, le secteur a la tête qui tourne et nous aussi.

Car quand il est question de gros sous, la mode ne fait pas dans la dentelle. Avec l’entrée en Bourse de ses grands groupes, les règles du jeu sont implacables. Et quand on sait que les marges bénéficiaires oscillent de 5 à 10 % dans la grande distribution, pour atteindre 20 % dans le luxe… Mais Marie-Pierre Lannelongue se veut rassurante. Coups bas, entourloupes, certes, mais aussi créativité, dynamisme. Résultat : nous voilà aujourd’hui bien mieux habillé qu’hier. Et même si toutes ces stratégies visent avant tout à nous faire dégainer notre carte de crédit, à nous de savoir doser judicieusement attrape-nigauds et vrais plaisirs.

Christine Laurent

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