Loin des effets de mode, cet architecte et ingénieur belge défend depuis une trentaine d’années une approche empathique et durable du bien construire. Le Fonds Mercator vient de lui consacrer une monographie édifiante.

Collé sur la porte d’entrée des bureaux Samyn and Partners (SAI), à Uccle un Post-it :  » Prière de bien s’essuyer les pieds avant d’entrer « . Mesure contre la neige. Ici, on ne rigole pas avec l’ordre et la propreté. Prémices de la beauté, selon le maître des lieux, Philippe Samyn, long monsieur bien peigné, portant haut le n£ud pap’ :  » Il n’y a rien au mur. Ce n’est pas la peine de s’encombrer de distractions inutiles. Les bureaux sont rangés tous les soirs. Après deux avertissements, j’encourage vivement celui qui ne respecte pas ce principe à aller travailler dans un bureau qui autorise le désordre. C’est non négociable « . En tout, SAI, c’est 50 personnes qui ne négocient pas sur ce point. Pour le reste, elles sont perpétuellement invitées à débattre, échanger, communiquer. C’est bien simple, il n’existe qu’une adresse e-mail pour toute la boîte. Transparence totale. Emulation assurée.

Philippe Samyn combat l’entropie. Constructeur, définitivement. Philippe Samyn est en perpétuelle quête de sens. Humaniste, assurément. Chaque chose a sa place, et chaque place a un sens.  » J’habite à proximité d’une colonie de tilleuls, indique Samyn d’un accent bruxellois, côté sud. Ma maison est orientée de telle sorte qu’au mois de mai, quand j’ouvre les fenêtres de ma chambre, ça embaume, c’est délicieux.  » En architecture on appelle ça le génie du lieu. Ce génie-là ne sort pas de quelque lampe magique qu’il suffirait de frotter pour profiter des bienfaits. Non. Le génie du lieu se déloge avec méthode. Philippe Samyn s’y attelle 3 200 heures par an. De Louvain-la-Neuve (La Grande Aula) au pôle Sud (Base antarctique belge princesse Elisabeth). De Leuven (gare) à Lubumbashi (projet pour l’école d’architecture).  » Je suis un aventurier, affirme ce bourlingueur invétéré. Ou plutôt un « savanturier », comme dit mon jeune fils de 12 ans. « 

Loin des effets de mode et des signatures formelles identifiables entre mille, le style de cet architecte né en 1948 à Gand d’un père ingénieur et d’une mère artiste peintre, est, selon lui,  » un style a contrario, basé sur l’écoute « . Philippe Samyn a trois oreilles. Une pour le maître d’ouvrage  » des gens exceptionnels nécessaires à mon inspiration « , une pour le biotope  » Le site. Mère nature « , une pour la tradition culturelle du lieu investi  » élément essentiel à la durabilité et à la pérennité de l’architecture « .

Car si cet ingénieur civil diplômé du célèbre Massachusetts Institute of Technology a, le temps des fantasmes du scientifique frais émoulu, considéré les sciences humaines comme  » secondaires « , il a  » heureusement changé d’avis « . Chacun de ses projets est bétonné en amont par une longue imprégnation de la culture vivante des régions où il construit.  » Je me balade, discute avec les habitants, écoute leurs petites histoires, bouffe dans le petit resto du coin. Je prends des notes, je dessine et je mitraille. Tous les brouillons sont numérotés, conservés.  » Au Chili, dans le désert d’Atacama où il projette de construire un pont, il a un jour rassemblé deux cents artistes locaux  » pour faire connaissance (à). Car pour animer un site, il faut en saisir l’animus « . Une approche empathique de l’architecture que ce père de cinq enfants applique à ses projets les plus divers. En prélude à l’édification de l’aire autoroutière de Wanlin, dans les Ardennes belges, il a ainsi  » passé quelques jours à apprendre l’art de ranger les barres de chocolat et les bouteilles de soda « . Il l’affirme :  » Il n’y a pas de sujet qui ne mérite qu’on ne le pense, le sente, le comprenne . » La durabilité est à ce prix.  » On peut trouver toutes les solutions techniques qu’on veut, quelque chose de durable est d’abord quelque chose que l’on aime profondément, que l’on respecte.  » Donc que l’on prend le temps de comprendre.  » Vous devez vous donner la peine de déceler les indices culturels, c’est la seule manière de parvenir à dessiner quelque chose qui fait sens dans une communauté.  » C’est non négociable.

Philippe Samyn, architecte et ingénieur. Constructions, par Pierre Puttemans et Pierre Spehl, Fonds Mercator, 480 pages.

Baudouin Galler

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