Go with the Flo

© KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Le 12 mai dernier, la population était partagée entre ceux qui profitaient du récent déconfinement et ceux qui pestaient contre ses éventuels effets. Vu le contexte, on trouva bien quelques bonnes âmes pour s’attarder sur le fait que cette journée était également la Journée internationale de l’infirmière, mais, franchement, avec un mois de recul, on ne nous enlèvera pas de l’idée que l’on n’a pas assez parlé de Florence Nightingale, née tout juste 200 ans plus tôt. Car c’est bien sa date de naissance qui fut choisie pour célébrer le personnel soignant, et au vu de ses états de service, il aurait difficilement pu en être autrement.

Pourtant, c’était plutôt mal barré pour elle. Dans l’Angleterre victorienne, l’infirmière ne s’acquitte que de basses besognes, son standing social se situant à mi-chemin entre le souillon alcoolique et le cheval de trait. Pire, vers 1844, alors que la jeune Florence reçoit l’appel mystique l’enjoignant à consacrer sa vie aux autres, Dickens régale ses lecteurs avec Sarah Gamp, archétype de la vieille carne qui marquera durablement l’image des infirmières outre-Manche. Bref, même pour ses parents progressistes, qui lui avaient offert une éducation soignée, presque suspecte pour l’époque, c’est  » niet « . Mais Florence s’entête et entame sa formation. Sa compréhension visionnaire des soins s’avérera particulièrement utile durant la Guerre de Crimée, où les maladies infectieuses fauchaient bien plus de troupes que les balles. Après avoir suivi ses directives, les hôpitaux militaires virent leur taux de mortalité passer de 42 à… 2%. Pareil exploit lui valut le statut de célébrité nationale, et l’on s’en remit à son autorité quand elle décida de réformer le système des soins de santé – du cursus des nouvelles recrues jusqu’à l’architecture des bâtiments hospitaliers. Nombre de ses recommandations furent appliquées dans le monde entier, et sont toujours de mise à l’heure qu’il est.

Miss Nightingale ne craignait ni de peser dans le du0026#xE9;bat politique, ni de mettre les autoritu0026#xE9;s face u0026#xE0; leurs responsabilitu0026#xE9;s, arguant que l’interpru0026#xE9;tation partisane des chiffres relevait de la plus risible absurditu0026#xE9;.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle était aussi une statisticienne de renom, que sa redoutable efficacité était due à la collecte et l’analyse d’une quantité de données inédite pour l’époque. Elle fut par ailleurs la première personnalité à présenter des graphiques au grand public, un exercice qui s’est depuis immensément répandu dans les médias, et qui s’avère plus d’actualité que jamais. A la réflexion, on finit par comprendre que certains dirigeants aient été plutôt frileux à l’idée d’honorer Miss Nightingale, activiste acharnée qui ne craignait ni de peser dans le débat politique, ni de mettre les autorités face à leurs responsabilités, arguant que l’interprétation partisane des chiffres relevait de la plus risible absurdité. En 1864, elle s’est d’ailleurs permis de fustiger un commissaire spécial à la santé, qui bidouillait les chiffres pour occulter d’éventuelles causes de surmortalité – toute ressemblance avec des faits réels est purement intentionnelle. Finalement, si d’aucuns ne lui ont pas rendu l’hommage qu’elle méritait, c’est sans doute aussi parce qu’ils sont un peu ennuyés de rappeler qu’il y a déjà deux siècles, la plus illustre autorité sur la question a formulé un paquet de préceptes destinés à défendre le personnel soignant afin d’améliorer les soins de santé, et que par court-termisme, calcul électoral et/ou couardise, on n’est toujours pas fichu de les appliquer.

mathieu.nguyen@levif.be

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